Des dames comme Korian, elles sont nombreuses aujourd’hui dans la société malienne voire en Afrique subsaharienne où la peau noire est source de complexe d’infériorité.
«S’éclaircir la peau est une mode à laquelle les Maliennes sont accro depuis des générations», déplorait récemment une activiste, très fière de son beau teint d’ébène. Une mode qui a ses adeptes très nombreuses dans toutes les couches socioprofessionnelles du pays : femmes et hommes, riches comme pauvres (il y a des produits pour toutes les bourses), belles ou moches, intellectuelles et illettrées, employées et patronnes…
Et même certaines femmes naturellement claires ne résistent pas souvent à la tentation de se blanchir davantage afin de figurer à la bonne enseigne dans le cercle des «Grobinew» (Gros bonnets/Grandes dames) qui ont droit à tous les honneurs et à la considération lors des cérémonies sociales comme les baptêmes et les mariages. Une mode qui est aujourd’hui un fléau révoltant parce que non seulement elle découle d’un complexe socioculturel, mais on ne devinera jamais quels sacrifices certaines endurent pour avoir l’argent de ces produits dépigmentants.
Comment ne pas plaindre ces femmes qui se réveillent avec le chant du coq pour les premiers travaux ménagers et qu’on croise avant l’aube se rendant au boulot (nettoyage…) ou partant s’approvisionner en marchandises dans les marchés de grossistes ? Qu’il pleuve à torrents, qu’il fasse une chaleur d’enfer ou un froid de canard, on les rencontre tôt à pied, à moto, dans les véhicules de transport en commun… Comment ne pas plaindre ces femmes qui passent 7 jours sur 7 devant des fourneaux en toute saison ou qui se promènent lourdement chargées dans la rue pour proposer leurs marchandises de famille en famille… ?
Le hic, c’est quelles sont en majorité des «Blanches artificielles» ! A croire qu’elles souffrent le martyr au quotidien pour se dépigmenter ! Certes, c’est assez réducteur de leur contribution aux charges de leurs familles. Des charges qu’elles assument d’ailleurs de plus en plus seules. Mais difficile non plus de les défendre quand on sait qu’une partie des revenus des durs labeurs est utilisée pour se blanchir la peau.
En dehors de la «considération» qu’il leur fait bénéficier lors des cérémonies sociales, elles sont nombreuses à expliquer leur choix de se dépigmenter par la volonté de rivaliser avec les filles ou les femmes de teint clair. «Vous les hommes, vous ne regardez que les femmes claires. Ne nous en voulez pas donc si nous décidons de rehausser un peu notre teint», nous disait récemment une cousine qui avoue aussi que ce désir de rivaliser lui coûte une fortune. «Pour avoir des produits de qualité, il faut mettre le prix. Et une partie non négligeable de mon salaire y passe», reconnaît-elle.
«Les Ivoiriens aiment les femmes qui brillent la nuit… Elles apportent la lumière, luisent dans la chambre…», confiait une femme ministre de la Côte d’Ivoire dans un entretien accordé à une agence de presse sur le sujet. «Il est vrai que la peau claire attire, à condition qu’elle soit naturelle. Sinon peu d’hommes vont épouser une femme parce qu’elle s’est blanchie la peau. Ce serait forcément pour d’autres raisons, d’autres qualités. En ce qui me concerne, je préfère une femme noire qu’une blanche artificielle, une tchatcho (appellation des femmes dépigmentées)», nous confie un jeune cadre.
«Lors de notre première rencontre, j’ai été surtout fasciné par le teint d’ébène de celle qui sera moins d’un an après mon épouse. Et bizarrement, deux ans après notre mariage, j’ai constaté qu’elle devenait claire. Je me suis alors intéressé aux notices de ses produits de beauté pour découvrir qu’elle avait aussi cédé au complexe de beaucoup de Maliennes. J’ai essayé de l’en dissuader en vain», souligne un jeune opérateur économique.
«Au finish, c’est ce choix qui allait provoquer notre rupture. Comme elle ne m’écoutait pas, j’ai aussi arrêté de lui donner de l’argent en dehors des dépenses du foyer. Et comme le paraître était plus important pour elle que son foyer, elle a rendu l’atmosphère invivable à la maison. Pour éviter l’irréparable, j’ai préféré le divorce parce que, je l’avoue, j’avais de plus en plus du mal à accepter ses reproches et ses insultes», ajoute-t-il.
Ces lotions et autres crèmes pour blanchir la peau noire peuvent pourtant provoquer des dégâts sanitaires irrémédiables pour les utilisatrices et utilisateurs. De nombreux produits éclaircissants fragilisent ainsi la peau jusqu’à provoquer l’apparition de tâches blanches, cicatrices, plaques de boutons, cancers… Ces lotions et autres savons engendrent également des maladies internes comme l’hypertension, le diabète…
Et dire qu’elles investissent volontairement dans les produits qui entament surtout leur capital santé ? Elles triment au quotidien pour détruire leur santé. Nous sommes convaincus, comme beaucoup d’autres, que ces femmes souffriraient moins si elles économisaient les sommes investies dans la dépigmentation. Un poste de dépense qui va crescendo car plus elle s’éclaircie, plus il faut investir pour entretenir cette peau qui ne cesse de se dégrader entraînant la détérioration de la santé de ces pauvres dames.
Au finish, elles sont généralement perdantes sur toute la ligne ! Hélas !
Moussa Bolly
KORIAN : Ou la peau sacrifiée pour plaire
Au moment où des activistes, des féministes, des ONG et des organismes internationaux… s’investissent dans les programmes et projets d’autonomisation de la Femme, il est déplorable de constater que beaucoup de femmes souffrent pour se procurer des ennuis. La dépigmentation est malheureusement devenue aujourd’hui une sérieuse hypothèque à cette autonomisation.
Korian, était une belle jeune dame quand j’ai fait sa connaissance. Lasse d’attendre un époux en vadrouille à Bamako et qui ne se donnait même plus la peine de lui envoyer quelque chose pour nourrir leurs deux enfants, elle a pris son courage pour le rejoindre dans la capitale. Le couple habitait une villa inachevée de Hèrèmakono.
Quand on croisait cette jeune dame, on était tout de suite frappé par sa beauté et surtout cette belle peau d’ébène dont l’éclat avait curieusement survécu aux durs travaux qu’elle a dû faire pour survivre au village. Korian n’avait pas besoin de toute une batterie de produits cosmétiques pour entretenir sa peau qui rehaussait l’éclat de sa beauté naturelle. Visiblement pris au dépourvu, l’époux indélicat va les abandonner une seconde fois. Elle apprendra par la suite qu’il vivait dans un site d’orpaillage dans la région de Kayes.
Avec deux enfants, difficile de tenir les deux bouts sans sources de revenus sûres. Elle a été tentée de s’engager dans une famille comme aide-ménagère. Mais, généralement, les familles ne veulent pas de mères pour ce bouleau. Elle a été donc contrainte de sortir tôt pour sillonner le quartier en quête de linges à laver.
Courageuse et consciencieuse, elle se fit vite connaître au point que les femmes qui n’avaient pas d’aide-ménagère venaient la chercher chez elle. Et l’une d’elle n’hésita même pas à la recommander à son entreprise qui cherchait une femme de nettoyage pour un nouveau bureau. Le salaire était consistant et le revenu garanti à la fin du mois. Sans compter les pourboires qu’elle pouvait recevoir pour service rendu ici et là. Elle pouvait aussi continuer à faire le linge le week-end.
Au bout de deux ans, Korian avait suffisamment épargné pour s’investir dans la vente des fruits. Le hic, nous avons constaté que le teint de la jeune dame avait progressivement changé. Comme si plus elle gagnait, plus elle était tentée de vouloir ressembler aux citadines en se blanchissant la peau. Et nous savons tous que la dépigmentation, même à l’aide des produits bas de gamme, peut vite se révéler une hypothèque sérieuse à la réussite sociale et économique.
Basculée dans l’enfer sans le savoir
Surtout pour une dame dont les charges sociales ne sont pas négligeables avec notamment deux enfants qu’elle avait réussi à scolariser dans une école publique. Avec l’âge, les effets des travaux pénibles de l’enfance et de l’adolescence se font vite ressentir. Combinés à ceux des produits utilisés pour se blanchir la peau, cela devient vite un cocktail fatal.
Korian a vite compris qu’elle n’avait plus la force de se réveiller tôt le matin pour aller nettoyer des bureaux et vendre les fruits le soir, souvent à des heures tardives de la nuit. Elle abandonna donc son poste d’agent de nettoyage pour le commerce des fruits. Le problème de la dépigmentation, est que plus la peau devient claire, plus il faut dépenser pour l’entretenir. Une charge difficile à supporter pour une vendeuse de fruit qui porte aussi une lourde charge sociale sur ses frêles épaules.
La dernière fois que j’ai vu Korian, je n’ai pas pu retenir les larmes. Elle était méconnaissable et essayait de couvrir maladroitement tout son corps parce que sa peau était tachetée de plaques de boutons. A l’étale des fruits, c’est sa fille qui la remplaçait quand elle revenait de l’école. Et comme je n’arrêtais pas de demander les nouvelles de sa Maman, elle finit par m’avouer qu’elle était gravement malade. Quand, je l’ai vu, j’ai vite compris que son problème était plus grave parce que la plaie sur le sein gauche avait tout l’air d’un cancer de la peau à une étape avancée. Selon elle, cela avait commencé comme une égratignure.
Mais, comme la plaie ne cessait de s’aggraver lui causant une douleur atroce, elle avait cru qu’on lui avait jeté un mauvais sort. Et cela d’autant plus que sa relative réussite avait fait des jalouses parmi ses amies du village vivant dans la capitale. Tout comme elle se montrait intraitable avec les hommes qui voulaient profiter de l’éloignement de son époux pour jouer avec elle. Belle à ravir, elle aurait pu tirer beaucoup de profits de son charme. Mais, bien éduquée sur des valeurs, elle était résolue à résister à toutes les avances tant qu’elle restait officiellement mariée.
Pendant qu’elle passait d’un guérisseur à un autre (plutôt des charlatans), le monstre la rongeait. Et heureusement que, grâce à des associations humanitaires, elle a été prise en charge à temps, évitant du coup une métastase. Korian a finalement été amputée du sein, mais elle est en vie comme si le sort lui offrait une seconde chance pour tirer les enseignements de ses erreurs.
Aux dernières nouvelles, elle se remet progressivement aussi bien sur le plan sanitaire qu’au niveau de son petit commerce de fruits. A vouloir être une Blanche à tout prix, elle a risqué ses revenus et sa… vie !
«Chaque femme est une reine», dit le poète ! A condition bien sûr de ne pas céder au complexe poussant à sacrifier sa peau et, par la suite, sa vie, pour séduire, pour plaire !
BOLMOUSS
Source : Le Matin