Le fleuron ferroviaire malien dont le prolongement va jusqu’au Sénégal perd chaque jour un peu de son lustre. À la privatisation déjà en 2003, les nouveaux détenteurs ne cachaient pas leur intention première et unique, celle de faire du profit. Dès lors, l’Etat qui a cédé sa part majoritaire était le seul à devoir assurer l’aspect social de ce patrimoine sorti de l’ère coloniale. Les privés ayant jeté tout leur dévolu sur le transport des marchandises, ont systématiquement abandonné celui des voyageurs à l’Etat. Le trafic a alors chuté dans un rythme timide. Mais depuis deux mois, il est moribond.
Il faut rappeler que le transport des voyageurs à l’international, appelé également Express (Bamako-Dakar-Bamako), a toujours été déficitaire. Bien que la circulation ait été confiée à la structure privée, c’est l’Etat qui supporte, par la subvention, la continuité du train Express. Les nostalgiques rappellent que le transport ferroviaire malien a connu son âge d’or avant la privatisation. À cette époque, les trains Express étaient sur l’axe des deux capitales toute la semaine presque.
Le n°1 quittait Dakar tandis que le n°2 décollait de Bamako. L’Express a continué quelque temps après la privatisation, mais il s’est arrêté depuis maintenant plusieurs années. Il ne reste plus que la ligne intérieure animée par ce qu’on appelle les trains de banlieues tels que ceux de Kayes-Mahina et de Kita-Bamako, par exemple. Avant la privatisation, ceux-ci étaient également quotidiens.
Par ailleurs, le temps mis entre Kayes et Bamako était des plus attractifs, car n’excédant pas six heures. En terme de distance, l’on en tirait donc un réel avantage. Tandis que la voie bitumée de Kayes-Diéma-Bamako est longue d’environ 600 Km, la voie ferrée Kayes-Bamako est d’environ 500 Km. Soit une différence de 100 Km. Après la privatisation, ce rythme aussi connaît un ralentissement. Il est ramené à trois départs par semaine.
Ce qui fut vécu par les populations des villages riverains de Diamou, Mahina, Oualia, Fangala, Tokoto et bien d’autres comme une sévère punition. Mais le clou va s’enfoncer davantage suite à l’incendie qui a touché l’une des locomotives, il y a environ deux mois. Désormais, il n’y a plus qu’un seul train pour passagers et il roule une fois dans la semaine.
Conséquence, plusieurs localités comme Tokoto sont dans un isolement qui rappelle la quarantaine. En effet, sur l’axe Kayes-Bamako, plusieurs villages sont dans un enclavement tel que le train est le seul moyen de se rendre dans les grands centres urbains. Et comble du calvaire, les passagers doivent trimer, désormais, non pas six heures, mais vingt (24) heures.
En somme, ce transport est dans un état comateux. Les populations de Thiès au Sénégal ont déjà demandé avec insistance, au Président Macky Sall, de remettre le train international, l’Express, en marche le plus tôt possible. Si au Mali il n’y a pas encore de grogne audible des usagers, l’urgence est patente. Pour éviter qu’elle n’aille piquer du nez dans le sable des berges du fleuve Niger, il faut vite remettre la société de chemin de fer Transrail sur les rails.
Une victime collatérale : le commissariat spécial entre vétusté et morosité
Le commissariat spécial dédié au chemin de fer est chargé de l’escorte du train voyageurs et de la gestion des cas d’infraction et d’accidents. À Kayes, il est situé en face et du côté ouest des bureaux de la gare ferroviaire. Bien que placé là, en tant que service public, il a longtemps bénéficié du concours du chemin de fer pour l’exécution de ses missions. Appui conséquent, mais qui n’était plus constant depuis un certain temps. Aujourd’hui, il n’existe tout simplement plus.
Le chef des lieux, le commissaire principal Ismaël Traoré nous explique sans détour la situation de dénuement dans laquelle son service exerce au quotidien. Il rappelle qu’à son arrivée, en début 2014, il y avait trois départs du train autorail (Kayes-Bamako-Kayes) par semaine. Mais depuis décembre 2014, un seul train pratique la ligne. D’où la grande morosité qui gagne le commissaire Traoré et ses hommes. Mais pas seulement.
Le commissariat rumine une grande galère silencieuse mais réelle. Il est logé dans un immeuble colonial âgé de plus d’un siècle. Malgré sa stature imposante, il ne dispose pas de suffisamment de pièces pour abriter tous les responsables du service en nombre pourtant très réduit. Deux murs ont été récemment dressés entre le bureau du commissaire principal et celui de son adjoint. L’un servant de bureau et l’autre de toilettes.
«Pendant longtemps, les gens venaient de partout, y compris des bars voisins ainsi que de l’Hôtel du Rail (situé à quelques mètres de là) pour uriner dans la cour. Le commissariat n’avait ni clôture, ni toilettes. J’ai trouvé les moyens moi-même et pris l’initiative de les réaliser», explique le commissaire Traoré. D’ailleurs, lui et son adjoint Yamadou Goumané précisent que les équipements de leurs bureaux respectifs leur appartiennent.
En outre, le bâtiment représente aujourd’hui une véritable menace pour ses occupants. Il subit à la fois le poids de l’âge et celui du manque d’entretien. La façade ouest est rongée par une érosion et les pierres commencent à tomber. Le dernier escalier menant à l’étage a presque cédé et ne tient plus qu’à quelques fils qui menacent de rompre sans prévenir. Pourtant, certains agents y ont de la famille avec femmes et enfants qui y accèdent régulièrement, la peur au ventre.
Idrissa DICKO
Source: Le Reporter