Depuis plusieurs mois, les cours sont perturbés, voire arrêtés, dans plusieurs institutions d’enseignement supérieur (IES). Résultat d’un mouvement de grève entamé par le Comité exécutif national des Syndicats de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique (CEN-SNESUP) et le Syndicat des Enseignants-chercheurs du Mali (SECMA). Ces syndicats, qui dénoncent le « mépris » des autorités, promettent de poursuivre la lutte si leurs revendications ne sont pas satisfaites. Si certaines écoles continuent les cours malgré tout, cet énième mouvement ne fait qu’en rajouter à une situation déjà compliquée, où la gouvernance n’est pas encore à la hauteur des enjeux.
Le ton n’est pas du tout à l’apaisement entre le Comité exécutif national des syndicats de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique (CEN-SNESUP et SECMA) et le ministère en charge de l’Enseignement supérieur. En réponse à la lettre V/N° 2023-000297/MESRS-SG du 15 mai 2023, ayant pour objet : Retenue sur salaire pour fait de grève, la Coordination des syndicats de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique (SNESUP et SECMA) rappelle dans sa lettre du 24 mai 2023 « nous ne sommes pas en grève, mais en arrêt de travail, en protestation contre le mépris que vous affichez face aux revendications légitimes des travailleurs de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique ». Avant de poursuivre : « alors que vous n’avez jamais daigné ouvrir les négociations avec nous depuis que nous avons commencé les mouvements de grève il y a presque 4 mois. Pire, vous avez toujours montré votre mépris face à nos revendications ». Difficile dans un contexte pareil d’envisager un dialogue qui ne semble avoir jamais existé entre ces deux protagonistes. Pourtant, l’Enseignement supérieur est paralysé depuis le mois de février par un mouvement de grève accentuant le chevauchement des années scolaires, devenu la norme dans le système universitaire.
Sur fond de divisions syndicales
Prévenant les autorités de toute velléité d’envisager les retenues prévues sur le salaire du mois de juin, « le remboursement de ces retenues sera automatiquement considéré comme le point 10 du préavis en cours et nous nous plaindrons également devant les juridictions compétentes », annoncent le CEN-SNESUP et SECMA.
« Nous sommes le SNESUP, il n’y a pas de double gestion. Mais le SNESUP connaît un problème interne. Nous sommes issus d’un congrès extraordinaire organisé le 15 octobre 2022. C’est suite au refus de l’ancien Secrétaire général d’organiser le congrès », soutient Alou Diarra, Secrétaire général du CEN-SNESUP. Les Secrétaires généraux ont donc pris le destin du syndicat en main, poursuit-il. L’organisation syndicale, créée en 1991, a vu se succéder plusieurs générations. Mais le « le train s’est arrêté un moment », ajoute M. Diarra. Le dernier congrès de l’organisation remonte à 2009. Le suivant, qui devait se tenir en 2012, a été reporté suite à la crise et au coup d’État. Et depuis l’organisation a perdu « sa légitimité », y compris auprès de ses militants, confie un enseignant du supérieur. Les organisateurs du congrès extraordinaire d’octobre se disent « dans la logique du CEN-SNESUP, qui regroupe aussi le SECMA et le SNEC ». C’est au nom de cette Coordination, ayant signé un protocole, que la lutte est menée.
Pour le Secrétaire général du SNESUP, le Professeur Abdou Mallé, cette situation déplorable n’est que le résultat d’une violation des textes par certains membres de l’organisation. « C’est un groupe de camarades qui a organisé un congrès extraordinaire le 15 octobre, alors que le 13 le Bureau national avait organisé une Assemblée générale unitaire au cours de laquelle il a mis en place une Commission de bons offices pour rapprocher les parties ».
Malgré cela, ses contradicteurs ont organisé un congrès dont les résultats ont abouti à la situation actuelle, regrette le Pr Mallé. L’assemblée avait pourtant décidé de l’organisation du 6ème congrès ordinaire en décembre 2022, ce qui fut fait. Et, dans la pratique, l’ouverture et la clôture du congrès furent présidées par les autorités, se défend le Professeur Mallé. Ce bureau, qui se dit donc dans la légalité, a intenté une action en justice contre celui dirigé par M. Alou Diarra. Une décision de justice est attendue le 29 juin 2023 du Tribunal de grande instance de la Commune III du District de Bamako.
Grève persistante
Diversement touchées, toutes les IES sont concernées par ce mouvement. Si les cours sont effectifs dans certains établissements, ils sont plus ou moins perturbés en fonction du degré d’appartenance à l’une ou l’autre tendance syndicale ou de la spécificité de l’établissement.
Ainsi, à la Faculté des Sciences économiques et de gestion (FSEG), la complexité des problèmes a fait que le syndicat a jugé nécessaire de faire preuve de pédagogie, estime M. Diarra. « Ils sont d’accord avec la grève, ils sont en train de s’organiser pour revenir à l’arrêt de travail ». Mais la FSEG a une capacité d’accueil de 3 300 apprenants et compte actuellement 42 000 étudiants. Une pléthore qui fait qu’observer la grève aurait fait empirer la situation, estime le Dr Sékou Diakité, enseignant-chercheur. Si certains bacheliers de 2022 attendent encore de commencer leur première année universitaire, ceux de la FSEG ont entamé leur année fin avril 2023.
Face « à la situation de la grève persistante et d’arrêt de travail de la majorité des enseignants dans les IES », entre autres, l’AEEM a déposé un préavis de grève de 72 heures à compter du 15 juin 2023 dans les IES et n’exclut aucune action, y compris le boycott des examens, si ses doléances ne sont pas prises en compte.
À Ségou, le Syndicat des enseignants chercheurs du Mali (SECMA) est en grève et sur le plan national un autre débrayage est mené par la Coordination (CEN-SNESUP, SECMA, SNEC). 80 à 90% des points de revendication peuvent être résolus au niveau de Ségou par le Recteur, assure Mohamed Coulibaly, Secrétaire général du SECMA. Certains points ne demandant que l’envoi d’une simple lettre, comme l’inscription des enseignants de Ségou au programme de formation.
Dans le mot d’ordre datant de novembre 2022, au nombre des points de revendication du SECMA figurent le paiement des heures supplémentaires des deux dernières années, le paiement des frais liés au concours d’entrée dans les facultés au compte de 2022/2023, la suspension de la rentrée des nouveaux bacheliers pour insuffisance de crédits pour prendre en charge les heures supplémentaires de l’année à venir (2023), entre autres. À Ségou, où l’université est en grève depuis deux mois, le blocage a conduit les grévistes à demander le départ du Recteur pour une issue heureuse.
Dans un climat de tensions qui se généralise, les protagonistes s’inscrivent désormais dans une dynamique de recherche de solutions.
Tentatives de médiation
Le 1er juin 2023, la Coordination (CEN-SNESUP, SECMA, SNEC) a rencontré la Commission Éducation du Conseil National de Transition (CNT). Elle estime que la seule façon de « faire bouger les lignes est la mise en place d’une Commission de conciliation sur ses points de revendication » et s’est réjouie de l’engagement de la Commission d’user de ses moyens pour la mise en place rapide de celle-ci, tout en invitant la Coordination à rester ouverte aux négociations. Une dynamique dans laquelle s’est également inscrit le Secrétaire général du SNESUP, le Pr Abdou Mallé, dont le bureau sera reçu ce 8 juin 2023 par la Commission en charge de l’Éducation du CNT.
« L’éducation et l’enseignement supérieur ne sont pas des priorités pour l’État. Nous avons intégré le système LMD sans penser aux conséquences. C’est un système budgétivore, avec notamment les groupes de Travaux Dirigés (TD) qui provoquent des milliards de dépenses en heures supplémentaires », s’indigne le Dr Amadou Traoré, Maître de conférences et chef de département à la Faculté des Sciences sociales de Ségou (FASSO). La raison, c’est que « l’État recrute peu ou pas. Les effectifs évoluent, mais le budget n’évolue pas ». Il est donc urgent, selon lui, de construire des amphithéâtres et de recruter des enseignants. À long terme, il s’agira de développer les écoles professionnelles pour désengorger les facultés.
Source : Journal du Mali