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Corridors Sikasso-Zégoua-Hèrèmakono : des commerçantes se livrent aux agents de postes pour sauver leurs marchandises

C’est une forme de tracasserie routière sur les corridors Sikasso-Zégoua, Sikasso-Hèrèmakono. Depuis quelques années des commerçantes se livrent soit de leur gré ou par contrainte à la satisfaction de la libido des agents aux postes de douanes. La pratique se « légalise » en compensation des facilités accordées dans le cadre de l’importation et l’exportation frauduleuses des marchandises au détriment des mœurs et de la sacralité de la Femme. Enquête !

 

Le Mali compte cinq postes de douanes sur onze corridors routiers de trafics sous régionaux dans la zone de la CEDEAO. Parmi ces cinq, la région de Sikasso seule a trois postes de douanes qui sont : Zégoua, Hèrèmakono et Kouri.

Bien que cet état de fait ait fortement développé le commerce dans cette région du Mali, les pratiques de tracasserie y demeurent sur ces corridors routiers. Parmi elles, figurent le harcèlement sexuel. Des femmes faisant le commerce transfrontalier Côte d’Ivoire-Sikasso via le poste de Zégoua et Burkina Faso-Sikasso via le poste de Hèrèmakono subissent des abus sexuels d’agents aux postes de douanes. Le phénomène est tellement ancré dans les mœurs qu’il a fini par être naturel.

Dédouaner les marchandises par le sexe !

Selon une étude menée par un Groupe d’experts indépendants, présentée lors du lancement de la Plateforme de Sikasso pour la libre circulation des personnes et des biens le 09 décembre 2016 à Sikasso, la conséquence de la tracasserie routière est à l’ordre de 20% de perte. L’étude a été réalisée au niveau de Bamako, Ségou, Koutiala et Sikasso. Il ressort de ce rapport d’étude que la corruption sexuelle prend le dessus sur les autres aspects.

Guindo Fatim Sidibé du Groupe d’étude a expliqué que « le tronçon Sikasso-Hèrèmakono  est le plus corrompu. Mais ce sont les commerçantes qui utilisent leur charme pour payer moins de frais. Le sexe est utilisé comme monnaie dans les transactions de corruption avec les autorités. Les jeunes commerçantes sont particulièrement sujettes au harcèlement sexuel et à la corruption. La corruption est provoquée par les autorités (douane, police, gendarmerie) ou par les femmes commerçantes elles-mêmes. Cela a un lourd impact financier sur l’économie du pays. »

Faut-il se rendre à ces postes de douanes pour mesurer la banalité du fait. On aura donné raison à ceux qui estiment et scandent que des femmes commerçantes transfrontalières sont très faciles. Aux heures tardives de la nuit, au poste de Hèrèmakono, on a l’impression que ces commerçantes sont les femmes légales de ces agents de douanes, de la gendarmerie, de la  police.  Comme le dirait l’autre, c’est à l’image du ‘’donnant-donnant’’.

« Ces pratiques existent depuis très longtemps. Beaucoup de douaniers ont eu des enfants avec ces commerçantes, d’autres se sont même mariés par la suite avec certaines dames qui font la navette entre les deux pays », commente Moussa Sanogo, syndicaliste de transporteurs.

Pourtant, certaines des victimes (commerçantes) accusent les agents d’abus de pouvoir. Selon nos investigations, ces commerçantes n’ont pas d’échappatoire et sont obligées de se plier aux volontés des agents de contrôle. A.S, une quadragénaire, importe les marchandises de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso. Elle dénonce le fait que les femmes évoluant dans les activités commerciales sur ces tronçons soient à la merci des douaniers sans aucune défense.

« Les agents porteurs d’uniforme dans les postes de Hèrèmakono et de Zégoua nous dépossèdent de tous nos produits commerciaux avant de nous proposer des arrangements  qui ne nous conviennent pas. Ces propositions sont d’ordre sexuel », dénonce-t-elle en admettant : « En toute vérité, beaucoup d’entre nous acceptent ces propositions parce qu’elles ne voient pas d’autre issue favorable à elles. » Pour notre interlocutrice, son témoignage doit servir d’alerte aux plus hautes autorités du pays. « Nous voulons que les autorités compétentes s’impliquent pour mettre fin à cette pratique. Nous n’osons pas porter plainte, car nous ne croyons pas pouvoir avoir raison sur eux dans aucun tribunal au Mali », explique-t-elle.

Les femmes victimes de leur ignorance !

Ayant requis l’anonymat, un douanier à Zégoua charge les commerçantes d’être à l’origine de cette situation. Selon lui, les dames refusent de se mettre en règle et elles préfèrent se livrer aux douaniers, gendarmes et policiers pour pouvoir circuler librement avec leurs marchandises. Certaines, qu’elles soient mariées ou célibataires,  révèle-t-il, ont des amants parmi nos camarades.

« Ce sont des commerçantes qui exercent dans l’informel. Elles font le commerce international sans pourtant détenir au minimum la patente à plus forte raison posséder les documents requis », note notre agent de douanes.

Tel n’est pas l’avis d’Ousmane Traoré, chauffeur régulier sur ce corridor. Il soutient que les agents profitent de leur autorité. D’après lui, les douaniers abusent de l’ignorance des commerçantes transfrontalières en mettant en cause la fraude de leurs marchandises pour en faire ce qu’ils veulent. C’est purement du chantage, estime-t-il. « Ils menacent de saisir les marchandises tout en arguant que l’infraction doit probablement coûter la prison aux commerçantes parce qu’elles ne sont pas en règle. Ainsi, ils font traîner les dames au poste jusque tard la nuit », explique-t-il. Et d’ajouter : « Les propositions et les négociations contraignent les commerçantes à un arrangement sexuel. C’est ainsi que la pratique est devenue une habitude entre commerçantes et les agents des postes sur les corridors routiers de Sikasso. »

Les agents aux postes de contrôle et les commerçantes s’accusent mutuellement. Toutefois, faut-il noter que les jeunes dames voyageuses ne sont pas non plus épargnées de cette tracasserie au cours de leur déplacement. Awa Sow, dont nous avons partagé le siège dans le bus sur le tronçon lors de notre enquête, narre son cas. Elle a été victime de la tentation. « C’est le harcèlement pur et simple », qualifie-t-elle avant de parler de ce qu’elle a vécu. « Une fois, lorsque je partais pour le Niger, les agents au poste n’ont pas voulu reconnaître ma carte d’identité nationale en prétextant qu’il me faut une pièce d’identité de la CEDEAO alors que cela n’est pas encore en vigueur », regrette-t-elle. La bonne dame a été contrainte de passer la nuit au poste. « Les gendarmes m’ont fait descendre du bus au poste. Dans la nuit, ils ont tenté de m’amadouer par tous les moyens avec des propositions obscènes pour que je couche avec eux. Ils m’ont même amenée de la viande rôtie », raconte la demoiselle Sow.

Trouver une solution au phénomène 

En réalité, il ressort de notre enquête que les commerçantes agissent dans la méconnaissance totale des textes. Aucune femme, questionnée, évoluant dans le commerce transfrontalier sur les deux tronçons, ne dispose d’au moins un document attestant la légalité de son activité.  En la matière, elles ne maîtrisent pas les textes régissant le commerce international. Elles ignorent que les marchandises doivent être acheminées par un transitaire lorsque la valeur est au-dessus de 500.000 francs CFA.

Selon les explications de Salif Coulibaly, transitaire à Diboli, les commerçantes transfrontalières, appelées dans leur jargon ‘’Banabana’’, peuvent faire elles-mêmes la déclaration de leurs marchandises au niveau des douanes lorsque la valeur est inférieure ou égale à 500.000 F cfa.

« La loi les autorise à procéder ainsi  afin d’avoir une quittance aux postes des douanes. Par contre, au cas où les produits importés excèdent cette valeur, il faut l’intervention d’un transitaire agrémenté dans les bureaux régionaux des douanes dans le cadre des déclarations des marchandises», précise Salif Coulibaly.

D’après le transitaire, selon les textes en vigueur au Mali, chaque commerçant, quelle que soit la valeur des articles à importer, doit obligatoirement chercher au préalable la pièce dénommée Intention. En fait, l’Intention est un document qui précise la quantité, la qualité et la valeur de la marchandise à importer ou à exporter. « Il se trouve que les commerçantes transfrontalières ne se procurent pas, toute chose qui peut constituer une fraude lors des contrôles », souligne-t-il.

La Plateforme de Sikasso pour la libre circulation des personnes et des biens s’emploie à encadrer les commerçantes sur les corridors à se prémunir des documents indispensables pour le commerce transfrontalier. Cette plateforme, depuis son lancement le 09 décembre 2016 sous la présidence du ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Mamadou Ismaël Konaté, mène des activités d’information, de sensibilisation, de plaidoyer et d’interventions en faveur des commerçants, transporteurs, chauffeurs, usagers de route et autorités pour lutter contre les pratiques de corruptions et de tracasseries sur les corridors routiers. A cet effet, elle a mis en place des cellules de veille au niveau des corridors pour informer, assister, orienter et accompagner les victimes de tracasseries et de corruptions routières.

Selon Sidiki Traoré, le secrétaire général de la plateforme nationale, beaucoup de commerçantes ne savent pas jusqu’à présent qu’on doit certifier son commerce par un document de commerce d’importation et d’exportation. A ses dires, nombre d’entre ces commerçantes maîtrisent peu les réglementations en vigueur. Généralement lorsqu’une dame, dit-il, a un peu d’argent dans la zone de Sikasso, elle se lance dans le commerce transfrontalier sans mesurer les risques qui en découlent.  Elle se jette, croit-il, dans la gueule du loup en devenant  la proie facile des agents aux postes de douanes.

« C’est pourquoi la plateforme est en train de planifier des formations pour sensibiliser les commerçantes à aller vers la création des associations, coopératives ou encore GIE pour qu’ensemble elles puissent avoir les documents d’import-export afin que chacune d’elles puisse exercer l’activité en toute conformité au nom dudit mouvement. Ainsi, le coût sera amoindri », prévoit le responsable de la plateforme en ajoutant : « Nous voulons qu’elles quittent l’informel pour éviter le harcèlement sexuel. »

M. Traoré soutient aussi que les commerçantes se retiennent de porter plainte contre les agents pour harcèlement sexuel. « Certainement, elles ne le font pas par crainte d’aller en prison parce qu’elles exercent quelque part dans la fraude. Il y a aussi le poids social, car ces commerçantes se prostituent aux yeux de la société », analyse Sidiki Traoré. Cependant, il affirme que certaines commerçantes dénoncent la pratique aux syndicats des transporteurs.

« Celles qui refusent catégoriquement d’obtempérer pour satisfaire la sale besogne des agents aux postes, s’exposent à la surtaxe de leurs marchandises. Finalement, dans le majeur des cas, les commerçantes perdent. C’est à ce moment qu’intervient la plateforme pour protester et dénoncer l’abus », signale Sidiki Traoré.

Le harcèlement sexuel sur les corridors commerciaux de la région de Sikasso souille considérablement la crédibilité et l’image de notre pays dans la zone CEDEAO. C’est pourquoi la pratique interpelle les plus hautes autorités du pays.

Au niveau des départements ministériels, la problématique reste orpheline. On n’arrive pas à situer les responsabilités. Le ministère des Transports prétend que le harcèlement sexuel relève des affaires sociales alors que le département en charge de la Santé et des Affaires sociales estime le contraire. « J’avoue que c’est un domaine qui ne nous intéresse pas. Le ministère des Transport, c’est beaucoup plus la régulation du secteur. C’est notre limite. Les cas de harcèlement sexuel contre les commerçantes doivent concerner plutôt les Affaires sociales », réagit Mohamed Mamouni Ould, chargé de communication du ministère des Transports du Mali, parlant de la problématique.

« Je crois que tout ce qui est tracasserie routière  relève  du ministère des Transports. Ça ne peut être du département des Affaires sociales. Ça m’étonne vraiment, vu le problème tel que posé, je pense que le département en charge des Transports pourra vous en dire plus. Ça ne peut pas être des Affaires sociales », oriente Marakatiè Daou, chargé de communication du ministère de la Santé et des Affaires sociales.

Oumar Diakité, enquête réalisée avec l’appui de MJP

Afrikinfos-Mali

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