Pour la deuxième journée consécutive, dimanche 2 octobre, l’ambassade de France au Burkina Faso a été prise pour cible par des partisans du nouvel homme fort du pays, le capitaine Ibrahim Traoré, auteur d’un coup d’État vendredi. Pourquoi la France et ses symboles sont-ils visés ?
L’ambassade de France prise pour cible au Burkina Faso samedi 1er et dimanche 2 octobre. Tout part d’une simple rumeur. Samedi 1er octobre, les auteurs du putsch annoncent à la télévision que le lieutenant-Colonel Damiba, qui vient d’être chassé du pouvoir, s’est réfugié dans une base française pour y planifier “sa contre-offensive“. C’est l’étincelle. Les soutiens des putschistes prennent d’assaut les rues de Ouagadougou en appelant “au départ de la France” avec des jets de pierres contre l’ambassade, des départs de feu, des tentatives d’intrusion.
En fin d’après-midi Paris dément formellement toute implication, le principal intéressé lui-même finit par dire qu’il n’a jamais mis les pieds dans le camp militaire français et le putschiste en chef appelle au calme. Mais c’est trop tard, l’incendie a pris. Dimanche, nouvelles manifestations devant l’ambassade, le consulat, le lycée français, saccage des locaux de Bolloré et de plusieurs stations Total.
Sur les réseaux sociaux circulent des appels à s’en prendre aux Français qui sont invités à rester chez eux (Il y a 4 000 Français et binationaux au Burkina). Le ministère des Affaires étrangères “déconseille fortement” de se rendre au Burkina Faso. Sur le site de France Diplomatie, la carte du Burkina Faso est passé au rouge depuis le 2 octobre : “La capitale,est déconseillée sauf raison impérative“, peut-on lire.
Un sentiment anti-français enraciné
Ces événements traduisent – aussi – un rejet de la France qui est beaucoup plus profond. Il faut bien comprendre que depuis 2015, le Burkina Faso vit dans la terreur quotidienne des attentats jihadistes. L’État n’a plus la main sur au moins 40% du territoire. Le conflit a fait des milliers de morts, provoqué le déplacement de près de deux millions de personnes.
Or la France, ancien protecteur colonial et puissance militaire n’a pas été capable d’enrayer le terrorisme. L’opinion l’accuse même parfois de jouer double jeu.
Face à la déception et à la colère qui couvent depuis toutes ces années — et qui sont d’ailleurs les mêmes au Niger ou au Mali – le nouveau leader burkinabé a beau jeu de promettre que la lutte anti-terroriste se fera désormais avec “d’autres partenaires ” que la France. Autrement dit avec la Russie : les drapeaux russes blanc bleu rouge étaient bien visibles ce week-end dans les manifestations à Ouagadougou.
Les paramilitaires de Wagner s’installent
Le sentiment anti-français est largement instrumentalisé par Moscou qui depuis plusieurs années cherche à accroître son influence en Afrique et à remplacer Paris dans son ancien pré carré.
Cette stratégie bien rodée a commencé en Centrafrique en 2018, elle s’est poursuivie et amplifiée au Mali, autre pays fragilisé par une crise sécuritaire (qui a connu d’ailleurs le même putsch à double détente qu’au Burkina). À chaque fois ce sont les paramilitaires russes de la société Wagner qui servent de tête de pont en servant d’instructeurs et en se déployant sur le terrain. Leur arrivée s’accompagne systématiquement d’une campagne antifrançaise sur les réseaux sociaux, ou via des ONG financées par Moscou. Même le Cameroun s’éloigne de la France – le pays a signé au printemps un accord de coopération militaire avec la Russie. La vraie décolonisation a commencé.