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Boubacar Sidibé : « Nous devons faire des films pour véhiculer nos valeurs »

Boubacar Sidibé, plusieurs fois primé au FESPACO et réalisateur de séries à succès, répond à nos questions

 

Comment jugez-vous la politique actuelle pour le cinéma malien ?

Nous sommes en train de confondre le discours et les actes. C’est diamétralement opposé. Quand tu rencontres les politiques, ils te disent « tu es notre fierté, nous aimons ce que tu fais ». Ils en ont donc conscience, mais, après, la réalité est tout autre. Au moment où je réalisais les Rois de Ségou (2010), celui qui incarnait le roi marchait pour aller combattre. Ce n’est que lors de la deuxième saison que j’ai pu trouver un cheval. Au même moment, le gouvernement a fait une journée à Logo-Sabuciré où la cavalerie était présente. Beaucoup de moyens ont été mobilisés pour cette occasion. J’étais jaloux, parce que j’avais frappé à toutes les portes. Nous n’arrivons pas à expliquer notre importance aux décideurs. Quand tu regardes un film, tu en tires énormément d’enseignements. Par exemple, quand j’ai réalisé Fantan ni Monè en 2002 c’était pour mettre en évidence certaines réalités. Quand les gouvernants prennent des décisions, ils le font souvent de bonne foi, mais les conséquences sont parfois dramatiques. Tu as dix personnes, des chefs de famille, qui travaillent dans une station-service. Les autorités, un jour, dégagent ces personnes sans au préalable penser à les replacer ailleurs. Ce sont dix chefs de famille qui vont perdre leur emploi. Quand j’ai fait ce film, certains m’ont averti en me disant que je risquais d’aller en prison. Ils pensaient que des opposants m’avaient financé pour attaquer le pouvoir en place. Je ne faisais que montrer des réalités. C’est TV5 qui a d’abord diffusé le film plusieurs fois avant que l’ORTM ne se décide à le faire également. Cela fait vingt ans que le film a été réalisé mais ces maux sont toujours d’actualité.

La précarité des cinéastes peut-elle s’expliquer par la disparition des salles de cinéma?

Toute chose évolue. Si vous ne suivez pas cette évolution, c’est difficile. Nous ne pouvons pas continuer à faire des films comme avant. Aujourd’hui, il y a des prises qui se font à l’extérieur, mais beaucoup du travail se fait en post-production. Nous n’arrivons pas à suivre la technologie et le cinéma est en train de disparaître. Quand tu fais un film, il faut qu’il soit projeté dans des salles de cinéma, et, avant même ces projections, tu retrouves ton film sur des clés USB ou ailleurs. Qui ira encore regarder ce film ? L’État nous avait demandé de nous réunir afin de reprendre les salles de cinéma. Nous n’avons pas pu nous entendre et l’État a vendu les salles.

Quel est le message derrière vos films ?

Mon intime conviction est que quand vous construisez un pays, même si vous le faites en étages dorés, si vous ne construisez pas les hommes ceux-ci vont détruire le pays. C’est sur cela que portent la plupart de mes films. Avant de réaliser des oeuvres, j’ai longtemps été cameraman. J’ai beaucoup voyagé avec le Président Moussa Traoré. Un jour, je l’ai accompagné à Kati. Il y avait un chantier dans la zone et l’architecte avait fui avec l’argent. Il fallait 100 millions pour terminer les travaux. Le Président s’est fâché et a dit que le Mali était à nous tous et que nous devions faire des efforts. Pour lui, le problème, c’était d’abord les Maliens, pas les responsables. Après, quand Amadou Toumani Touré est arrivé, il m’a confié qu’un jour quelqu’un était allé le voir pour lui dire « que c’était le moment ou jamais pour lui de tout avoir ». Alpha Oumar Konaré a suivi. J’ai effectué un seul voyage avec lui, au Burkina Faso. Il s’est lamenté que la personne avec laquelle tu cries démocratie soit la même qui, une fois que la loi touche l’un de ses proches, va essayer de trouver une formule pour contourner cette loi. J’ai donc fait le constat que le problème ce sont bien les hommes. Nous devons donc faire des films pour véhiculer nos valeurs.

Vous avez beaucoup réalisé, mais vos productions ne semblent pas très engagées. Un choix artistique ?

Détrompez-vous ! Dans mes films, il y a une lecture, un angle d’attaque du problème. Je parle de tout. Je pose les problèmes, mais souvent je ne donne pas moi-même la solution. Je fais en sorte de susciter le débat et de lancer la réflexion. Dans ma série Dou, je parle des élections et des acrobaties faites par les personnages qui souhaitent devenir député et maire. Je parle de détournements de deniers publics, des commandants qui se comportent mal dans les villages… Je mets tout en lumière.

Pourquoi le choix du format série ?

J’ai accompagné Salif Traoré sur son film Faro, dont le tournage nous a pris 40 jours. Il a mis 10 ans pour matérialiser ce film, qui n’a pas été primé au FESPACO. Une décennie pour faire un film, je ne voulais plus. Le format série permet de traiter un sujet longuement et d’aborder plusieurs thématiques. Les séries permettent d’expliquer et pour cela nous avons besoin de dialogues.

Propos recueillis par Boubacar Sidiki Haidara

Source : Journal Du Mali

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