“Assises nationales de la refondation ou assises nationales pour la prolongation ?” Ainsi nous interrogions-nous dans notre édition du 28 décembre. On ne pensait pas si bien dire. Car la junte, au pouvoir depuis plus d’un an, a finalement tombé le masque. Elle vient, en effet, de prolonger la durée de la transition de six mois à cinq ans afin de se donner le temps de panser les plaies du Mali.
Cela n’a rien d’étonnant, tant on voyait venir les choses depuis que le président de la transition avait déclaré que la date de fin février retenue pour l’organisation des élections ne serait pas tenue. Pouvait-il en être autrement quand on sait que les autorités de la transition cherchent à tout prix à retarder les choses, histoire de prolonger leur séjour à la tête de l’État malien ?
Ce qui fait dire à plus d’un qu’après avoir renversé [le président] Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) [par un coup d’État en août 2020] et déposé Bah N’Daw [militaire, président de la transition de septembre 2020 à mai 2021, écarté par des proches du colonel Goïta], le colonel Assimi Goïta vient de perpétrer son troisième coup de force à travers l’organisation des Assises nationales, dont l’une des recommandations phares est la prolongation de la durée de la transition.
La question que tout le monde se pose maintenant est la suivante : la pilule passera-t-elle ? Pour sûr, cette prolongation assurément trop longue ne manquera pas de faire réagir aussi bien à Abuja [capitale du Nigeria], siège de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qu’à Bamako, dans les rangs de la classe politique malienne. En même temps, on ne voit pas comment l’on pourrait mener à bien des réformes profondes de “refondation”, censées permettre au pays de repartir du bon pied, si les autorités intérimaires ne disposent pas du temps nécessaire pour le faire.
Jeu d’échecs
C’est pourquoi les autorités de la transition ne pouvaient pas trouver meilleure couverture que ces Assises nationales censées être l’émanation de la volonté du peuple malien.
En tout cas, les tombeurs d’IBK voudraient couper l’herbe sous les pieds de la Cedeao qu’ils ne s’y prendraient pas autrement. Car, à l’évidence, les exigences de cette dernière n’ont pas été respectées. Dès lors, l’on comprend pourquoi ils ont maintenu le suspense jusqu’au bout.
C’est dire si dans ce jeu d’échecs Assimi Goïta et ses camarades ont avancé un pion important en s’appuyant sur ces fameuses Assises nationales sorties de leur béret en plein processus, et qui ne sont pas loin de renvoyer la transition malienne à la case départ après un an et demi d’atermoiements.
Alors, échec en vue pour la communauté internationale en général et la Cedeao en particulier ? On attend de voir. D’autant que cette prolongation de la transition malienne intervient en pleine polémique sur le recours des autorités de Bamako à l’expertise russe dans la lutte contre le terrorisme. Ce au grand dam de la France et de ses alliés de l’Union européenne qui crient au loup.
Bras de fer
Et si, à l’issue de tant de tiraillements, Paris, qui se refusait à tout compromis, devait finalement se dégonfler comme un ballon de baudruche et se résoudre à composer avec les “nouveaux alliés” de Bamako venus du pays de la taïga, le grand gagnant de tout ce ramdam est finalement le colonel Assimi Goïta.
Et c’est peu de dire que le récidiviste putschiste de Kati [principal camp militaire situé dans la banlieue de Bamako] sortirait renforcé d’une double “victoire” politique et diplomatique sur la Cedeao et la France. Toute chose qui pourrait lui permettre de mieux envisager la suite de la transition et, pourquoi pas, son propre avenir à la tête de l’État malien.
En attendant, on peut aussi se demander quelles pourraient être les conséquences de la prolongation contestée de la transition pour le Mali qui est déjà sous le coup d’une suspension et de sanctions individuelles de la part d’une Cedeao toujours aux aguets. Et surtout, de quelles mesures coercitives dispose encore l’institution sous-régionale, qui n’entend pas lâcher prise dans ce bras de fer où elle joue sa crédibilité. Sachant que l’exemple malien pourrait constituer un précédent, notamment pour la Guinée voisine.