Selon le rapport, dans un contexte marqué par la rareté des ressources et les exigences de plus en plus grandes de bonne gouvernance et de transparence, les gestionnaires des Collectivités territoriales se doivent d’observer rigoureusement les règles et les principes d’administration et de gestion des affaires locales. Et d’ajouter que la mauvaise qualité de la gouvernance dans la plupart des Collectivités Territoriales est l’une des insuffisances palpables du processus de décentralisation au Mali.
Cette situation a pour conséquences, entre autres, le manque de compétences du personnel administratif des Collectivités territoriales qui n’est pas suffisamment outillé techniquement pour faire face aux tâches de gestion qui lui incombent, le déficit de communication entre les élus et la population, la non implication des citoyens dans la gestion des affaires locales, le manque de transparence dans la gestion foncière, le déficit de confiance dans les organes dirigeants, l’incivisme généralisé.
Notons que pour assurer son fonctionnement et faire face à ses missions, la Collectivité Région de Kayes reçoit annuellement des dotations budgétaires de l’État des taxes et redevances recouvrées par les communes et des subventions des partenaires techniques et financiers. En outre, le montant total des dépenses effectuées par la Collectivité Région de Kayes sur la période sous revue s’élève à 11,800 milliards de Fcfa. En plus, ladite collectivité n’a pas encore fait l’objet de vérification du Bureau du Vérificateur Général. C’est ainsi que le Vérificateur Général a initié une mission de vérification intégrée (Performance et Conformité) de la gestion de la Collectivité Région de Kayes.
Au chapitre des constatations et recommandations, la mission a relevé plusieurs irrégularités administratives et financières relatives, entre autres, à la gestion de la bonne gouvernance, aux mesures de performance du Conseil régional de Kayes, à la gestion financière, à la gestion du patrimoine.
Pour les Vérificateurs, les irrégularités administratives relèvent de dysfonctionnement du contrôle interne dans la gestion de la bonne gouvernance, notamment la non-tenue de débats publics gage d’une bonne gestion des affaires publiques.
17% des activités réalisées
Par rapport aux mesures de performance du Conseil régional de Kayes, la mission de vérification a constaté que le Conseil régional de Kayes ne procède pas à l’évaluation de ses performances conformément à l’outil d’auto évaluation en vigueur. Aussi, il a été constaté que le Bureau du Conseil régional de Kayes ne met pas en œuvre des activités prévues dans sa stratégie de Développement économique régional (DER). En effet, sur 12 activités prévues dans la stratégie de DER de la période sous revue, seulement 2 ont été réalisées soit 17%. Cette faiblesse dans la réalisation ne permet pas d’atteindre les objectifs fixés par le Crk.
La mission a également noté que le Bureau du Conseil régional de Kayes a réalisé des unités de production qui ne sont pas fonctionnelles parce que des unités mises en place par le Crk à travers l’Anict ne sont pas opérationnelles. Cette situation, précise le rapport, est due d’une part à la non disponibilité des matières premières et d’autre part à l’inadéquation des équipements. “La mission a constaté que le président du Crk a effectué des acquisitions de consommables, qui au regard de ses besoins démontrent que tous les achats ne sont pas justifiés. Courant l’année 2018, sur 6 opérations d’achats effectuées, le Conseil régional a acquis 90 cartouches d’encre toutes marques confondues, alors qu’il ne dispose que d’un parc de 18 imprimantes de type HP et Xeros. De même, ne disposant que de 3 photocopieuses, le Conseil régional de Kayes a acquis des pièces de rechanges de 26 tambours, 20 fours de photocopieuses, 123 cartouches d’encres et d’onduleur. La mise en consommation de ces acquisitions n’a pu être justifiée par le comptable-matières car ne tenant pas de bordereau de mise en consommation et ne disposant pas de magasin de stockage. Le Crk n’a pu prouver l’existence des pièces défectueuses ou les éventuelles dégradations qui les auraient rendues nécessaires”, mentionne le rapport.
En ce qui concerne la gestion financière, la mission a noté que la Collectivité Région de Kayes n’a pas respecté des procédures de mise en concurrence des fournisseurs lors de ses opérations d’achats et de la conclusion des contrats d’études. A ce titre, la mission a examiné les pièces justificatives des achats effectués et des contrats d’études. En outre, elle a adressé une correspondance au président du Crk demandant la fourniture des Tdr et la preuve de la consultation ainsi que la validation desdites études. La mission a constaté que le Crk a procédé à des achats sans mise en concurrence. Par ailleurs, elle a aussi constaté que des contrats d’études ont été conclus sans élaboration préalable des termes de référence, sans l’organisation d’une consultation pour le choix du consultant et sans la validation desdites études.
Pour les vérificateurs, la non-soumission des marchés à la Direction régionale des marchés publics traduit un manque de transparence et encourage le favoritisme. Le rapport indique la Collectivité Région de Kayes procède à des réceptions de biens et services en l’absence d’une commission de réception. Et l’absence des commissions de réception ne favorise pas le respect du principe de transparence des opérations de réception de biens et services.
La réalisation et le suivi des travaux attribués à des entreprises appartenant à la même personne
Autres constatations, il faut noter, entre autres, l’absence de l’archivage des dossiers de marché ; l’attribution des contrats de prestations d’études, de suivi et de réalisation des travaux à des entreprises appartenant à la même personne.
A titre d’exemple, il résulte de l’examen que le président du Conseil a attribué le contrat d’études pour la construction d’un complexe (salle de conférence et bureaux) à N.Saude et le suivi de la réalisation des gros œuvres du même complexe à N.Saude. Aussi, les travaux de gros œuvres ont été attribué à New Firm Général of Business. Pire, il ressort que ces deux sociétés réalisent des travaux incompatibles d’études, de suivi et de réalisation puis qu’appartenant au même entrepreneur. Il en est de même pour les travaux d’aménagement du périmètre irrigué où le suivi des travaux a été attribué et payé à N. Saude, les études à HTB consulting et les travaux d’aménagement à New Firm Général of Business. Les trois sociétés appartiennent à la même personne.
S’agissant des irrégularités financières, le rapport mentionne que le président du Conseil régional de Kayes a irrégulièrement financé la réalisation de forages équipés pour le compte du Centre d’études de formation agro-silvo-pastoral sans délibération du Conseil régional pour un montant total de 24 942 912 Fcfa.
Par ailleurs, la mission relève que le président du Conseil régional de Kayes a autorisé le payement des primes de logement irrégulières aux membres du bureau parce que l’indemnité de logement n’est pas prévue par les dispositions législatives et réglementaires.
Après examen des dossiers relatifs aux indemnités allouées au président et aux vice-présidents du Conseil régional, il ressort que sur la base de la délibération n°016-005/CRK du 08 juillet 2016, une indemnité de logement a été octroyée aux membres du bureau du Conseil régional de 400 000 Fcfa dont 200 000 Fcfa pour le président et 100 000 Fcfa pour chacun des deux vice-présidents. Aussi l’analyse de ladite délibération fait ressortir que les textes qui y sont visés n’autorisent pas l’octroi d’une telle prime aux membres du bureau du Conseil. Précisons que la délibération date du 08 juillet 2016, alors que les paiements ont commencé à être perçus depuis le mois de mai 2016. Et, le montant total sur la période sous revue s’élève à 12 800 000 Fcfa.
Achats et travaux fictifs
Selon le rapport, le président du Conseil régional de Kayes a autorisé le payement des achats et travaux fictifs. En effet, l’équipe a procédé à un contrôle d’effectivité en compagnie des agents du Conseil régional et des responsables des entités concernées. Ainsi, elle a rapproché les quantités, qualités des travaux et ou matériels, mobiliers, fournitures, payés par rapport aux réalisations effectuées. Il ressort de ces travaux que le président du Conseil a autorisé le paiement des travaux et achats fictifs effectués pour le compte du Crk, de l’Ifm, de la salle Massa Makan Diabaté, de l’Ifp Industrie, de l’Ifp Tertiaire et de l’École plateau E et des unités de production et de transformation.
Des mandats correspondants à ces dépenses ont été effectivement payés alors que lesdits travaux et fournitures n’ont pas été réalisés. Il s’agit des travaux de fourniture et prestation de remise en état et de remplacement des menuiseries, les planches, sol, les murs des salles de classes de l’Ifm de Kayes d’une valeur 17 668 730 Fcfa ; des travaux de fourniture et pose de matériaux de remplacement et de remise en état des blocs administratifs, logement du gardien de l’Ifm pour un montant de 12 884 892 Fcfa ; des travaux de rénovation de l’Ifm de Kayes pour 24 411 840 Fcfa ; des travaux de rénovation de l’Ifm de Kayes pour 24 500 000 Fcfa ; des travaux à l’Institut de formation professionnelle en 2018 pour un montant respectif de 23 800 000 Fcfa et 24 600 000 Fcfa d’une part et d’autre part la non réalisation des travaux à l’Institut de formation professionnelle tertiaire en 2018 pour un montant respectif de 19 016 880 Fcfa et 18 426 880 Fcfa soit au total un montant de 85 843 760 Fcfa payé au titre de travaux non réalisés, de la construction inachevée de deux paillotes, de l’absence de certains équipements de sonorisation pour lesquels les montants des contrats ont été entièrement payés pour un montant total de 55 061 850 Fcfa à la salle Massa Makan Diabaté ; des travaux de construction et d’achèvement du mur de clôture de l’aire de prière de Kayes (Sahara kénè) pour le compte du Crk non réalisés pour un montant de 5 648 160 Fcfa ; des travaux de correction et reprise de l’étanchéité des toits du Crk pour un montant de 20 400 000 Fcfa et des travaux de menuiserie, peinture, revêtements muraux et sols du Crk pour un montant de 20 840 000 Fcfa ; des travaux et constructions du bâtiment principal et l’annexe du Crk, d’un montant de 56,848 millions de francs Cfa.
57 965 081 Fcfa indûment payés pour les fournitures et équipements
Par ailleurs, la mission a constaté que le président du Crk et des entrepreneurs n’ont pas réalisé des travaux de construction des unités de production et ou de transformation. En effet, le secrétaire général de la Mairie de Kofèba atteste l’inexistence de l’unité de traitement de mangue dans sa localité. Selon lui, une telle unité n’a jamais existé à Kofèba. Sur un montant de 52 119 349 Fcfa destiné aux travaux de construction, 40 650 693 Fcfa ont été payés. Pour les fournitures et équipements 17 314 388 Fcfa sont payés sur un montant de contrat de 38 53 417 Fcfa soit un montant total indûment payé de 57 965 081 Fcfa. Pour les unités de production de pâte d’arachide et de beurre de karité dans le cercle de Kita, la mission n’a trouvé aucune trace de leur existence. Aussi, les responsables du Conseil de cercle rencontrés attestent de l’inexistence de telles unités dans leur cercle et que de telles unités ne sauraient exister à leur insu.
Par ailleurs, l’Anict qui procède au virement ne s’est pas aussi assurée de la réalité avant de procéder audit virement. Le montant payé des travaux non réalisés s’élève à 18 350 000 Fcfa pour l’unité de production de pâte d’arachide. Pour la construction de l’unité de production de beurre de karité un montant de 76 993 625 Fcfa a été payé sur la période 2016 à 2018 dont 57 910 388 Fcfa au titre des constructions, 5 987 112 Fcfa au titre des études et 13 096 125 Fcfa au titre des fournitures d’équipements.
Pour les achats fictifs, la mission a constaté : l’inexistence des tables-bancs achetés pour le compte de l’Ifm et payés en 2018 pour un montant de 24 750 500 Fcfa ; des achats de matériels informatiques pour des copieurs (Brother 2035, Toner 475, E20 ; IR1600) qui n’existent pas à l’Ifm mais payés pour une valeur 1 458 389 Fcfa ; l’inexistence de 45 tables-bancs, 15 chaises visiteurs et 2 armoires métalliques pour une valeur de 2 715 000 Fcfa à l’école plateau E ; l’inexistence de certains équipements audiovisuels et des matériels, mobiliers et fournitures de bureau pour un montant de 50 909 800 Fcfa payé pour le compte du Crk ; l’achat fictif de climatiseurs au compte du Crk d’un montant de 13 130 000 Fcfa ; l’achat fictif de baffles et chaises visiteurs pour 5 450 000 Fcfa ; l’achat fictif de carburant d’un montant de 70 059 857 Fcfa pour le compte du Crk.
Non justification de 11 351 500 Fcfa pour des frais de mission et indemnités de session
Il convient de noter que la mission a constaté que le Régisseur d’avances du Conseil régional a procédé au payement des frais de mission et de sessions non soutenues par les pièces des dépenses. Après l’examen des pièces justificatives relatives aux dépenses de missions, l’équipe de vérification a noté que le Régisseur d’avances a perçu des avances des fonds pour le payement des indemnités de session et des frais de mission dont il n’a pas fourni de pièces justificatives pour un montant total de 11 351 500 Fcfa.
La mission a constaté que le président du Crk a ordonné le payement des frais d’entretien de deux véhicules ne faisant pas partie du parc automobile. Car, après avoir analysé les pièces justificatives des pièces d’entretien et de réparation des véhicules du Conseil régional, il a été relevé que deux véhicules ont fait l’objet d’entretien et de réparation alors qu’ils n’appartenaient pas au Crk puisque ne figurant pas dans son registre de matériel roulant. Il s’agit du véhicule Toyota V8 N°16 CMD 02 pour lequel des pièces de rechange, la tôlerie et peinture ont été effectuées pour 3 426 248 Fcfa et du véhicule 607 diesel pour lequel un moteur a été acheté à 944 000 Fcfa. Soit un montant total de 4 370 248 Fcfa.
Dans la même dynamique, la mission a remarqué que le comptable-matière n’a pu justifier l’utilisation de carburant pour un montant de 114 445 360 Fcfa, malgré les demandes formulées par l’équipe. Par ailleurs, la mission a noté que les distributions de carburant au personnel, ainsi qu’à des partenaires du Crk, ne sont soutenues par aucun acte administratif.
A l’issue de la mission, le Vérificateur général a transmis les faits dénoncés sur 784 679 201 Fcfa au président de la Section des comptes de la Cour suprême et au Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Kayes chargé du Pôle économique et financier.
En conclusion, il faut rappeler que les travaux de la mission de vérification ont permis de relever d’importantes insuffisances aussi bien dans le processus de contrôle interne que dans l’exécution des dépenses. Suite à ces insuffisances, la mission a identifié des constatations et formulé des recommandations visant à améliorer la gestion du Conseil régional.
Les principales constatations relevées portent sur le non-respect des dispositions des textes législatifs et règlementaires qui gouvernent les dépenses publiques, la méconnaissance, parfois, desdits textes par les responsables des organes de gestion. Aussi des insuffisances ont été relevées dans le domaine de la performance notamment la non réalisation des activités prévues dans la stratégie de développement économique et régional, la non fonctionnalité des unités de production et de transformation, l’utilisation non efficiente des ressources destinées aux achats de consommables. Par ailleurs, précise le rapport, il serait idoine pour le Vérificateur Général d’initier des missions uniquement axées sur les infrastructures censées avoir été réalisées par la Collectivité Région de Kayes aussi bien dans la commune urbaine que dans tous les cercles de la région.
Synthèse de Boubacar PAÏTAO
Source: Aujourd’hui Mali