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Après le discours d’Emmanuel Macron sur l’Afrique : « Joindre les actes à la parole, voilà ce qu’attendent les Africains »

Chercheur à l’Institut d’études de sécurité de Dakar, Fahiraman Rodrigue Koné décrypte le discours sur l’Afrique prononcé par Emmanuel Macron à l’Elysée, lundi 27 février. Pour le spécialiste ivoirien du Sahel, les orientations politiques et sécuritaires annoncées par le président sur le continent restent floues, symptôme des divisions qui perdurent au sein de l’exécutif français sur la question.

Quel point de ce discours vous a le plus marqué ?

Fahiraman Rodrigue Koné On perçoit une fois de plus une volonté de changer profondément les relations avec l’Afrique. Mais cela fait des années que la France répète qu’elle veut davantage s’inscrire dans une logique de partenariat, de coopération avec les pays africains, insister sur l’accompagnement et la formation, pour africaniser les solutions, notamment sur le plan sécuritaire. Elle peine toutefois à convaincre, car cette transformation maintes fois annoncée n’a pas été très visible sur le terrain.

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Sauf au Niger, avec la réarticulation de « Barkhane » (opération antiterroriste française au Sahel, lancée en 2014) qui s’est opérée ces derniers mois. Le leadership de la lutte antiterroriste n’appartient plus à Paris. Les unités françaises sont intégrées au dispositif sécuritaire nigérien et sont placées sous le commandement des forces nigériennes.

Le président a affirmé que la fin d’un cycle de l’histoire française en Afrique se clôturait. Un cycle notamment marqué par la prééminence des questions militaires. Selon vous, la rupture annoncée aura-t-elle lieu ?

Ces éléments de langage sont communiqués pour tenter de faire croire à une rupture profonde mais, pour l’instant, on ne voit pas comment elle va se matérialiser. En réalité, la politique africaine de la France reste dominée par l’aspect sécuritaire. Paris n’a pas annoncé la suppression de ses bases. Sa présence militaire sera donc maintenue sur le continent, même si, comme on l’annonce depuis longtemps, elle sera redéfinie.

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Cette déclaration reste floue. Aucun chiffre ni calendrier précis n’ont été donnés. Communiquer sur une réduction des effectifs, mais sans proposer d’indicateur vérifiable est révélateur des hésitations, des ambiguïtés et des tensions internes au sein de l’appareil d’Etat français sur la stratégie à conduire en Afrique. La politique française y est ballottée entre une frange conservatrice qui aimerait garder une présence militaire sur place et une frange progressiste qui souhaiterait supprimer les bases françaises pour faire table rase de cette vision de l’Afrique considérée comme anachronique.

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Cette ambivalence empêche Paris de réformer en profondeur sa politique et de communiquer avec clarté sur sa stratégie. Un travail d’unification devrait être mené, pour mieux en définir les orientations.

En Afrique de l’Ouest, le sentiment de colère contre la présence militaire française ne cesse de monter. Pourquoi choisir de rester dans ces conditions ?

Il ne faut pas être dupe et Emmanuel Macron l’a d’ailleurs souligné : la France a des intérêts à préserver. Ils sont principalement géostratégiques. L’Afrique est à un jet de pierre de l’Europe. Voir l’insécurité progresser à ses portes constitue une menace. Tout comme l’implantation croissante de l’adversaire russe sur le continent. Pour la France, y garder un pied sur le plan sécuritaire est un moyen de maintenir la Russie à distance, dans un contexte international marqué par de fortes tensions avec Moscou.

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La France ne cherche-t-elle pas aussi à préserver des intérêts économiques ?

Evidemment. On sait par exemple que le poids économique de l’uranium exploité par la France au Niger est colossal. Plus largement, Paris cherche à protéger des pôles économiques qu’elle avait pris pour acquis depuis toujours mais qui font aujourd’hui l’objet d’une concurrence accrue de la part de grandes puissances telles que la Chine ou l’Inde. Il s’agit de rester en compétition.

Le président français a insisté sur la nécessité de changer de logiciel aussi sur le plan économique, en passant d’une « logique d’aide » à une « logique d’investissement solidaire partenariale ». C’est-à-dire ?

Paris a compris qu’il fallait changer son fusil d’épaule et construire désormais des partenariats économiques plus égalitaires avec les pays africains. Jusqu’à présent, la coopération est surtout basée sur la dépendance. La France donne mais impose aussi ses normes.

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Aujourd’hui, les Etats africains ont besoin de s’affirmer économiquement, de s’industrialiser, avec des partenaires qui leur donneront la capacité de choisir leur propre modèle. Ce développement, jusqu’ici très conditionné par l’Occident et qui n’a globalement pas fonctionné, est l’élément central qui structure la montée de ce sentiment anti-Occidentaux en Afrique, même si l’argument sécuritaire est davantage mis en avant.

Pour Emmanuel Macron, la France a assumé une « responsabilité exorbitante » dans l’échec du Mali à lutter contre les groupes djihadistes. Il a aussi préféré relever les victoires de « Barkhane », malgré les déboires. N’est-ce pas pour Paris une façon d’occulter sa propre responsabilité dans la faillite sécuritaire au Sahel ?

La France a raison de souligner que la présence de « Barkhane » a permis de restreindre les mouvements des groupes djihadistes au Sahel. Mais l’objectif fixé, à savoir contenir leur expansion, n’a pas été atteint. Les élites politiques et militaires maliennes ont certes une large part de responsabilité, mais il ne faut pas oublier que c’est la France qui a voulu être et rester aux commandes de cette lutte antiterroriste, en reléguant les partenaires maliens au second plan. A l’heure du bilan, il est normal qu’elle en soit comptable.

Lors de ce discours, le président a réaffirmé que la France soutenait les démocraties africaines et non les régimes militaires. Qu’en pensez-vous ?

La France veut garder son rôle de gardien de la démocratie, mais devrait être plus prudente dans son discours car, en réalité, son attitude a été récemment marquée par le deux poids, deux mesures. On l’a vu au Tchad en avril 2021 : Paris a adopté une position pour le moins conciliante vis-à-vis des nouveaux militaires au pouvoir, contrairement au Mali ou à la Guinée, où les coups d’Etat ont été condamnés. Et quand, par le passé, la France a soutenu des régimes dits démocratiques, elle a aussi cautionné des acteurs corrompus.

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Ce paradoxe politique français autour de la démocratie en Afrique est l’un des principaux leviers de la décrédibilisation de la France sur le continent. Si Paris veut continuer à promouvoir ce modèle de gouvernance politique, qu’elle semble juger absolu, il faut joindre les actes à la parole. Du concret et non des discours, voilà ce qu’attendent les Africains.

Source : lemonde

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