A Kéra Allah gnèna (Dieu est témoin). Tu aimais bien répéter cela, Dieu est mon témoin. Il y a un an, jour pour jour que Dieu te rappelait à lui. Et pourtant, tu es encore présent dans le cœur de tes parents, de tes amis, de tes proches. Et pourtant, tu continues à hanter certains comme l’a écrit un de nos confrères, la semaine dernière. En fait tu n’as jamais été absent de l’actualité depuis que tu es parti. Ceux qui ont voulu t’effacer après t’avoir enterré se rendent bien compte qu’ils le font à leurs dépens. Pour paraphraser un proverbe mexicain, je dirais qu’ils ont essayé de t’enterrer mais ils ne savaient pas, tu étais une graine.
A kéra Allah gnèna (Dieu est témoin). La semaine dernière, Ras Bath a été arrêté et jeté en prison. Il est inculpé de « simulation d’infraction » (ne te retournes pas dans ta tombe parce que même les Vivants ne savent pas ce que ça renferme) et trouble à l’ordre public. Le tort de Ras Bath ou son crime c’est d’avoir déclaré lors de la 3ème conférence nationale de l’ASMA, ton parti, que tu as été tué, que tu as été assassiné. Et il a profité pour passer un savon mémorable à tes militants du parti et à tes camarades de l’Adéma et du RPM. Bien que n’ayant nommé personne, il a été interpellé, inculpé et mis sous mandat de dépôt. Je n’ose pas le dire mais mon voisin me dit que cela ressemble fort à la théorie de celui qui se sent morveux. Or Ras Bath n’est pas le premier (même si pour le moment c’est le dernier) à parler de la thèse de ton assassinat. Le premier à privilégier cette thèse est le président nigérien, Mohamed Bazoum, qui a réagi quelques minutes seulement après l’annonce de ta mort.
« Je viens d’apprendre avec consternation la mort de SoumeylouBoubèyeMaiga, ancien Premier ministre malien. Sa mort en prison rappelle celle du président Modibo Keita en 1977. Je pensais que de tels assassinats relevaient d’une autre ère. Mes condoléances à sa famille et ses amis » écrivait-il sur son compte Twitter. Personnellement, cela lui a valu les foudres de nos autorités et le refroidissement des relations entre le Niger et le Mali. A sa suite, ici même à Bamako, on a dit que tu as été tué, que tu as été éliminé parce que gênant politiquement. Je dois peut-être rappeler ici que les jeunes du parti avaient marché sur la Cour suprême avec slogan « vous voulez tuer Boubèye ». L’un d’eux a été interpellé à la justice et le procureur lui a demandé d’apporter la preuve de son accusation. Il a dit au procureur que le refus d’évacuer SBM malgré la recommandation des médecins constitue la meilleure preuve. Il a été relâché. Dix jours avant Ras Bath, Cheick Mohamed Chérif Koné a parlé de « tragédie judiciaire » parlant de ta mort en désignant l’ancien président de la Cour suprême WafiOugadèye, aujourd’hui conseiller spécial du président de la Transition et le procureur général Mamoudou Timbo comme les responsables. Je te fais la promesse que le moment viendra où je parlerai du rôle de chacun, ceux qui ont tout fait pour que tu sois arrêté au mépris de la constitution et des procédures, ceux qui ont fait de toi un objectif stratégique, ceux qui ont tout fait pour que tu ne sortes jamais de prison. En homme de foi, ma conviction est faite que Dieu ne laissera pas faire, Dieu ne laissera pas passer.
A kera Allah gnèna (Dieu est témoin). La veille de ton interpellation, des amis à toi, des parents, des magistrats qui te vouent un profond respect et qui sont attachés au respect des procédures, t’ont appelé le soir, certains te suppliant même, de ne pas répondre à la convocation du procureur général qui a fait un flash spécial à l’ORTM après 22h, pour annoncer ta convocation. Ta réponse n’a pas varié: « vous voulez que je fasse quoi ? Vous voulez que je fuis ? Il n’en est pas question. Qu’est-ce que je dirais aux Maliens, à ma famille, à mes enfants ? J’ai confiance en la Justice, je serais à la Cour suprême demain ». En fait tu estimais que l’occasion était bonne pour laver ton honneur, rétablir la vérité des faits. On connaît la suite. Tu as quitté de chez toi sur tes deux jambes le jeudi 26 août 2021 et on t’a rendu à ta famille le mardi 22 Mars 2022, 24 heures après ta mort, les pieds devant. Et pendant tout ce temps, tu n’as été écouté que deux fois. Et à chaque fois tu as demandé quels étaient les faits nouveaux dont le procureur général a parlé frénétiquement lors de son show à l’ORTM.
A kera Allah gnèna (Dieu est témoin). Du jour de ton arrestation à ta mort, le monde entier a intervenu, et ce n’est pas qu’une expression. Tout ce que le Mali compte de personnes et de personnalités se sont mobilisées, soit à ton initiative, soit à l’initiative de la famille, soit d’elles-mêmes convaincues que la prison n’était pas ta place. Il serait fastidieux de vouloir les citer tous, mais que chacune trouve ici la reconnaissance et les remerciements de la famille. Elles ont rencontré toutes les autorités du pays, les autorités civiles et les autorités militaires qui dirigent le pays. Pour exemple, Chérif Madani Haidara a rencontré le président AssimiGoïta au moins 4 fois. Son Éminence le cardinal Jean Zerbo l’a rencontré au moins deux fois. Sadio Camara, Modibo Koné, MalickDiaw, IsmaelWagué, ont tous été entrepris par d’autres personnes. J’entends encore le son de ton rire quand on te rapporte ce qui fonde leur réticence: ils disent qu’ils ont peur de toi et qu’une fois libre tu feras un coup d’état contre eux. Chérif Madani Haidara qui plaidait pour qu’on te laisse regagner son domicile tout en étant sous contrôle judiciaire, a même proposé au président AssimiGoïta d’assurer lui-même à travers son service de sécurité ta surveillance. L’objectif de ces démarches était de sortir de la prison où tu partageais une cellule avec plus de 72, puis plus de 80, puis près de 100 détenus. ChoguelKokalaMaiga, MamoudouKassogué, Djaminatou Sangaré pour ne parler que d’eux, ont été entrepris même si nous savions plus ou moins que la décision ne leur appartenait pas. Oui, la décision n’appartenait plus à la Justice, et tu le savais. Et je te disais qu’en fait tu étais comme une prise de guerre, tu étais un otage. A cette phase, nombreux de tes amis à l’étranger, chefs d’Etat, ministres, responsables d’organisations internationales ont soit pris leur téléphone pour appeler le Président Assimi ou dépêché des émissaires auprès des autorités. Alassane Ouattara, MackySall, UmarouEmballo Sissoko, Alpha Condé, Rock Marc Christian Kaboré, Nana Akuefo Ado, Dénis Sassou N’Guessou, Goodluck Jonathan, Moussa FakiMahamat, Antonio Guteres, et j’en oublie, ont tous demandé que tu sois mis dans de meilleures conditions de détention. A tous, ceux qui te séquestraient ont fait des promesses. Aucune promesse n’a été respectée.
A kera Allah gnèna (Dieu est témoin). Tu as commencé à te sentir mal dès le mois de septembre. Mais par pudeur tu ne voulais pas qu’on le sache même si on voyait bien que tu ne te sentais pas bien. Tu tentais tant bien que mal de dissiper nos craintes en évoquant le fait que tu dormais très peu. J’ai failli oublier un épisode où on a pu avoir la confirmation de ce que les gens peuvent mentir ou affirmer avec certitude des faits dont ils ignorent tout, y compris au sommet de l’Etat. L’administration pénitentiaire t’avait proposé une cellule individuelle. La famille a mobilisé des fonds, plus d’un million, pour rendre ladite cellule habitable en reprenant la peinture, en y faisant une toilette. Quand tu t’es rendu compte que la cellule est située juste au-dessus de celle des djihadistes présumés que tu as contribué à mettre hors d’état de nuire pour certains d’entre eux, tu as renoncé pour des questions de sécurité personnelle (tous les matins, en passant devant la cellule des djihadistes, tu te faisais insulter copieusement avec à l’appui des promesses de te faire la peau dès que l’occasion leur serait donnée). Toi et nous, nous avons entendu toutes sortes de versions, mais pas celle se rapportant à la vérité des faits. Fin septembre, tu ne pouvais plus nous cacher que tu souffrais parce que ça se voyait à l’œil nu. En effet, tu jaunissais à vue d’œil et tu avais des démangeaisons. C’est d’abord le visage et les, yeux qui ont commencé à jaunir, puis les bras et les jambes. Les démangeaisons ont pris presque tout ton corps. A partir de là, nous avons commencé à alerter les autorités sur l’urgence d’avoir des soins appropriés
A kera Allah gnèna (Dieu est témoin). Après plusieurs appels et interpellations, tu as fait l’objet d’un enlèvement dans la nuit du 15 décembre 2021 de la part des agents de la Sécurité d’Etat à l’insu du régisseur de la prison, de sa hiérarchie au niveau de l’administration et du ministère de la Justice. Certes tu étais soulagé de sortir de la prison pour te retrouver dans un centre où la prise en charge médicale est plus facile, où tu pouvais te reposer psychologiquement et nerveusement, mais tu t’es rendu très vite compte, et nous aussi, qu’en fait le dessein des autorités était de te placer en isolement. Toi qui vis entouré de monde, toi qui n’es à l’aise qu’avec les gens (ils ont vu le nombre de personnes qui venaient te voir par jour), ils pensaient certainement t’atteindre. Mais ils ignoraient tout de ta capacité de résilience, à t’adapter aux hostilités. Tu t’es plongé dans la lecture (quelques heures avant ta mort,tu avais commandé un livre à la librairie) mais surtout dans l’écriture de tes souvenirs (tes notes ont disparu et ce n’est pas que mystérieusement). Les médecins ont fait vite et ont multiplié les examens. Le 17 décembre ton rapport médical est disponible. Les médecins de la clinique Pasteur déclarent qu’il faudrait des analyses plus poussées et qu’aucun établissement malien ne peut les réaliser pour confirmer le diagnostic et entamer un traitement adapté. Leur conclusion est claire : « Les deux examens indispensables pour déterminer la stratégie thérapeutique ne sont pas réalisables au Mali. La suite de la prise en charge de monsieur Maïga nécessite un transfert dans un centre avec un plateau technique adéquat. Et qu’à terme le pronostic vital serait engagé ». Toi-même, tu as dirigé de ta chambre de Pasteur la méthodologie en mettant en branles tes avocats, ta famille et tes amis à l’étranger afin que ton évacuation se fasse rapidement. Le président Assimi, le PM Choguel, le ministre de la Justice Kassogué, le ministre de la Santé Djaminatou, le président de la Cour suprême, le procureur général de la Cour suprême, ont tous été alertés et chacun a eu une copie du rapport médical. La cour suprême a mis un mois avant de répondre le 15 janvier 2022 pour dire qu’elle n’avait aucune qualité et qu’il fallait s’adresser au ministère de la Santé. La ministre de la Santé a tout fait pour se rendre indisponible et injoignable, donnant des rendez-vous qu’elle n’a pas respectés pour sortir par des portes dérobées. C’est presque contraint et forcé que le département de la Santé autorise la contrexpertise qui va de soi dès lors qu’il s’agit d’évacuation. Elle est faite par les sommités de la médecine, choisies par le ministère de la Santé vu leurs compétences. Le rapport médical qu’ils établissent est encore plus accablant que celui de l’institut Pasteur. Ils ordonnaient notamment ton évacuation en raison d’un pronostic vital déjà engagé. Le refus des autorités surprend. Assimi joue au dilatoire. Choguel refuse même si après il s’est ravisé pour dire que la décision ne lui appartenait pas.
Au Mali, les mêmes bonnes volontés mentionnées ont interpellé les autorités. A l’international tes amis ont repris leur bâton de pèlerin. Des pays se sont engagés à t’accueillir : Côte d’Ivoire, Algérie, Abu Dabi, etc. Au moment où, tu as vu que tes conditions ont été endurcies. Alors que tu avais droit à 5 visites dans la semaine, la cour suprême a ramené cela à 2 visites dans…. le mois (les 5 et 25 de chaque mois). Tu as perdu 30 kilos alors que tu n’étais déjà pas une personne épaisse. La Cour suprême qui n’a pas pu produire un seul élément nouveau, qui n’a pas pu t’écouter pas plus de deux fois sur des faits que tu connaissais déjà, qui n’a pas pu te juger contrairement à ce que le procureur Timbo, devenu célèbre, promettait, cette Cour suprême ne t’a pas traité un seul instant comme un présumé innocent.
A kera Allah gnèna (Dieu est témoin). Finalement, tu rendais l’âme le lundi 21 Mars 2022 à 12h04 mn. Nous pensions disposer de ton corps immédiatement pour te loger à la morgue avant de prendre les dispositions pour tes funérailles. C’était sans compter sur le procureur Timbo, encore lui j’allais dire. Il sort de son chapeau une idée d’autopsie. Hors de question pour nous car après avoir été torturé physiquement et moralement, ton corps ne devait pas être profané. Il nous demande alors de produire une attestation de renonciation à l’autopsie, faute de quoi il ne nous remettrait pas ton corps. Comme nous n’étions pas arrivés à produire la fameuse attestation, Timbo a décidé de garder ton corps dans ta chambre de la clinique, fermée à clé. Ce n’est qu’après 18h que l’administration de la clinique lui a dit qu’il n’y avait pas de morgue et que ton corps pouvait subir des altérations et que l’attestation de renonciation n’est qu’une formule administration qui pouvait être remplie le lendemain. Timbo décide alors de transporter pour ne pas dire séquestrer ton corps devenu sa propriété à la morgue de l’ancien Institut Marchoux, sous bonne garde comme s’il craignait que tu ne te réveilles pour lui fausser compagnie. Le lendemain mardi 22 mars, c’est sous sa dictée que nous avons pu rédiger l’attestation de renonciation à l’autopsie. Et c’est après cela que ton corps nous a été livré aux environs de 15h. Comme nous, Timbo sait très bien de quoi tu es mort.
A kera Allah gnèna (Dieu est témoin). Dans leur volonté de t’effacer, ils n’ont pas été capables de te rendre les honneurs dûs à ton rang. Tu a été Premier ministre, deux fois ministre de La Défense, ministre des Affaires étrangères, Directeur général de Sécurité d’Etat (seul civil à ce poste pendant plus de 7ans, un record jamais égalé, et je crois que ça énerve certains esprits petits et mesquins), Secrétaire général de la Présidence la République, Chef de cabinet du Président de la République,etc.
Au niveau de l’Ordre National du Mali, tu es l’un des rares hauts fonctionnaires maliens à être décoré de la médaille de Grand Croix (la plus haute distinction). Mais ils ignoraient une chose dans leur volonté de t’enterrer, tu étais une graine. Le jour de tes funérailles il était impossible pour les autres usagers de passer par le quartier du fleuve. Les jeunes de ton parti avaient souhaité te porter jusqu’à ta dernière demeure aux cimetières de Niaréla. Nous n’avons pas accédé à leur ultime doléance te concernant. Mais le corbillard te transportant était pratiquement le seul véhicule dans le cortège funèbre. Tous les autres ont marché de ton domicile aux cimetières, dans une longue procession et tu as reçu des applaudissements nourris au niveau du quartier de Niaréla de la part d’hommes, des femmes et d’enfants sortis spontanément pour te souhaiter un repos éternel.
La file était tellement longue que ceux qui étaient à la queue ont trouvé qu’on avait fini l’enterrement.
Aujourd’hui, c’est l’AN I de ton décès. Tout le monde est là. Nous veillerons sur ta mémoire. Nous suivrons le déroulement du dossier et nous veillerons à ce qu’il ne soit pas enterré, plaise à Dieu. Ce que je peux dire, c’est que tu es toujours aussi présent dans l’actualité. Dors en paix.
Tiégoum Boubèye Maiga
Source : L’Informateur