Dans son rapport intitulé « Sahel : ce qui doit changer», la Coalition citoyenne pour le Sahel se prononce pour un changement de stratégie en donnant plus de place au dialogue entre les acteurs
À juste raison, les opinions s’interrogent sur l’efficacité des stratégies déployées pour stabiliser l’espace sahélien où se bousculent, depuis 2013, des initiatives militaires et diplomatiques parfois concurrentes. Elles ne parviennent pas à endiguer les attaques des groupes terroristes, qui ont presque doublé en nombre, chaque année, depuis 2016 ; et l’intensification des opérations de contre-terrorisme a fait évoluer la nature des violences.
Pour se faire une idée des attaques sur les populations civiles, il suffit de jeter un regard sur le tableau funeste dressé par l’ACLED (The Armed conflict location and Event Data). Près de 2.440 civils sont morts en 2020 au Mali, au Burkina Faso et au Niger. À l’échelle des trois pays, plus de civils et suspects ont été tués par des militaires pourtant censés les protéger que par des groupes terroristes.
Aujourd’hui encore, la mesure du succès reste d’ordre militaire (nombre de terroristes neutralisés), alors qu’il devrait également s’apprécier à l’aune du nombre de personnes déplacées rentrées volontairement chez elles, d’écoles rouvertes, de champs à nouveau cultivés. Analysée sous cet angle, l’approche militaire montre clairement ses limites et doit, par conséquent, être intégrée dans un cadre plus large, doté d’objectifs politiques. Les nouvelles orientations fixées lors du Sommet du G5 Sahel de N’Djamena en février 2021 font espérer ce changement d’approche.
En attendant, nul besoin de rappeler que, faute d’intégrer dès le départ le principe de protection des civils, les campagnes contre-terroristes peuvent ajouter aux facteurs de conflit plutôt que ramener la stabilité. C’est pourquoi, la protection des civils n’est pas seulement un impératif juridique, mais aussi un besoin stratégique.
C’est du moins ce que stipule la Coalition citoyenne pour le Sahel dans son rapport intitulé « Sahel : ce qui doit changer »,publié, il y a quelques semaines. Cette alliance informelle inédite d’une trentaine d’organisations de la société civile ouest-africaine souhaite que la protection des populations civiles soit la priorité des interventions au Sahel, condition essentielle pour restaurer la confiance dans l’État et stabiliser la région.
Pour y arriver, elle identifie dans son rapport le « dialogue avec tous les acteurs de la crise » comme un indicateur clé pour une réponse plus efficace à la crise au Sahel. En effet, estime-t-on, les conflits devront faire l’objet d’approches négociées, mobilisant des mécanismes de réconciliation.
L’organisation citoyenne se fait ainsi l’écho des appels à initier un dialogue politique avec un plus grand nombre d’acteurs de la crise. Et ajoute que ce dialogue doit être activement soutenu et mis en œuvre par les gouvernements du Mali, du Burkina Faso et du Niger, aussi bien au niveau national que local, tout en étant publiquement encouragé par les partenaires internationaux.
Chevauchement-De nombreuses initiatives de prévention et de résolution des conflits ont déjà été engagées au niveau local, dans ces trois pays. Une cartographie des initiatives de résolution des conflits conduites dans les Régions de Mopti et de Ségou, au Mali, a permis de recenser plus de 20 interventions distinctes engagées depuis 2019.
Selon la Coalition, ces efforts méritent d’être étudiés de près tant ils sont riches d’enseignements pour la résolution des crises au niveau national et régional. « Ils gagneraient aussi à inclure beaucoup plus délibérément les organisations féminines, ainsi que les jeunes, compte tenu du risque d’enrôlement dans des groupes armés en l’absence de perspectives d’avenir », peut-on lire dans le rapport.
Cependant, la Coalition citoyenne pour le Sahel met un bémol, en soulignant le manque de coordination et de synergie entre les différents acteurs de médiation et une multiplicité de mandats portés par diverses initiatives qui peuvent être mises en concurrence par certains acteurs des conflits.
Outre le risque de chevauchement, la conséquence la plus palpable est de rendre la stratégie de prévention et de résolution des conflits faiblement opérationnelle. L’autre risque est de décrédibiliser l’action publique aux yeux des communautés qui verraient des acteurs agissant de façon désordonnée, sans apporter de solutions durables aux crises.
Pour pallier les carences observées, la Coalition juge fondamental d’instaurer un cadre cohérent permettant à la fois de mieux coordonner les multiples acteurs impliqués et de développer des synergies entre les différentes initiatives. Il revient aux gouvernements du Mali, du Burkina et du Niger de définir ce cadre pour un règlement global de la crise.
L’Union africaine devrait y contribuer, en renforçant sa mission pour le Mali et le Sahel (Misahel) pour jouer ce rôle de coordination plus efficacement, en lien étroit avec le G5 Sahel et les institutions en charge de la réconciliation et de la consolidation de la paix dans les pays du centre du Sahel. Et quant aux partenaires internationaux, ils doivent ajuster leur approche en apportant un soutien clair aux projets politiques, formulés et portés par les États sahéliens, de résolution des conflits par le dialogue.
Issa Dembélé
Source : L’ESSOR