« Second coup d’état », « coup dans le coup » a titré la presse internationale. Le fait est qu’après une période de deux semaines qui aura vu des grèves, des tractations de remaniement gouvernemental, une délégation de la CEDEAO, des débats et hésitations au sein de la société civile, de folles rumeurs … après tout cela la transition repart. Quoi qu’il en soit, si cette transition doit avoir un seul sens, souvent oublié au profit de vues à court termes, catégorielles, c’est de construire les bases de la paix.
Si ma position, confiée par les quatre chefs d’Etat de nos quatre pays, m’impose un devoir de réserve, mon parcours et le recul que j’ai pris obligent le fils du Mali que je suis à proposer ici de tirer quelques leçons, autour de la responsabilité de tous ; non pas au sens de chercher des responsables mais dans celui de permettre à chaque citoyen du Mali d’agir en responsabilité.
Réconcilier
Quel diagnostic ? Tout a été dit, écrit sur les maux de notre pays. Pourtant si la dernière quinzaine a démontré quelque chose, c’est la profondeur de la division. La division politique est béante depuis 2012, c’est elle qui a permis toutes les descentes aux enfers. La division de la société civile est un non-dit qui a pris son expression politique claire depuis 2020 quand celle-ci aurait pu se targuer de la légitimité populaire mais est demeurée impuissante devant la tournure des évènements laissant échoir le pouvoir et la direction de la transition à l’armée. Ces deux divisions, politique et civile, sont connues mais la séquence récente de la composition gouvernementale démontre que la division a infusé à la tête de l’Etat. Le Mali est le pays de la triple division. Message important pour nos frères et soeurs car de ce diagnostic-là doit naître le rebond. Face à cette triple division, il nous faut cesser de jouer une force contre une autre, mais bel et bien acter que c’est le moment de parler haut et de se parler sincèrement. Plutôt que de chercher des responsabilités, que chacun prenne les siennes. Ni grève ni assises, ni procès ni conférence nationale : si la transition se donnait pour outil une démarche de «vérité et réconciliation’’ elle aurait rempli un rôle historique.
Analyse qui doit aussi compter pour nos frères de la sous-région et pour le monde qui nous observe : non le Mali n’est pas un énième avatar d’un pseudo mal africain ; son processus de démocratisation est certes en crise profonde, mais sa démocratisation réelle doit rester l’objectif, et la transition doit d’abord se fixer l’horizon historique de l’apaisement, de la responsabilité d’apaisement et de réconciliation.
Rassembler
Avant que de chercher des solutions, encore faut-il s’entendre sur les causes. Ma génération s’est formée à l’engagement politique avec l’avènement de la démocratie. N’ayons pas peur du bilan, de dire où nous en sommes, ce qu’il reste à faire dès cette transition.
Je crois que notre crise de société, sans précédent, a des racines dans les balbutiements mêmes de l’avènement de la démocratie, avec à partir de 1991 une destruction des symboles : destruction de l’autorité du chef avec les dévoiements progressifs du processus électoral, mais aussi dévoiement continu des espaces de discussion et d’engagement. Face au clientélisme électoral, à une légitimité du vote vidée de son sens, il faut se rassembler à partir de la vérité.
Ce que j’appelle la vérité passe par la reconnaissance du mérite, par la mise du citoyen au cœur des choses, par son information et sa formation démocratique ; mon parcours m’a donné à voir de l’intérieur des supports et cercles de débats, des associations de rassemblement, un parti d’appui au mouvement citoyen mais qui ne cherchait pas l’hégémonie, des lieux d’idée, des projets collectifs ; tous nos concitoyens de toutes générations connaissent des actions qui ont réussi. Ce « catalogue de bonnes nouvelles du Mali », ces outils qui forment le cœur de la démocratie du quotidien bien avant le vote, tel est notre patrimoine commun, qui fait que notre pays a dans toutes les formes de rassemblement humain su démontrer sa vivacité. Tous ces outils du rassemblement sont à notre disposition. Il est plus facile de gâter que d’arranger certes, mais n’est-ce pas une question de regard ? Houphouet-Boigny disait que « la paix ce n’est pas un mot, c’est un comportement » ; quand on dispose des outils, comportons-nous en artisans responsables. Le Mali a sa propre expression nationale de cette approche : le consensus. Celui-ci nous avait donné 10 ans de succès, de stabilité, d’essor, d’une certaine amélioration du quotidien pour tous et toutes, socle d’une nostalgie encore aujourd’hui vivace. Chaque outil doit évoluer avec le temps, avec son temps et les nouvelles générations, avec les menaces du moment, et, si, alors que les armes se répandaient sur notre sol, le consensus a fini par connaître ses limites dans le consensualisme, c’est aujourd’hui d’un « Consensus dynamique » dont nous avons besoin : consensus non pas autour d’un homme, d’une élection par et pour elle-même, mais autour d ‘un pacte patriotique de rassemblement. Nous avons, chaque Malien et Malienne, une Responsabilité démocratique.
Reconstruire
Ensuite viendra la responsabilité de l’action, la reconstruction. La Refondation de l’état est une exigence. Elle parait lointaine, impossible même à certains. Je ne partage pas cette opinion. Notre histoire récente a démontré que sur un ou deux mandats on peut bâtir des infrastructures physique, sociales, humaines, que les solutions existent, basées sur les actions d’un leadership de qualité, équidistant aux forces de division ; à condition, autre composante du consensus dynamique, qu’autorité de l’état et responsabilisation populaire, opportunités pour le peuple, aillent de paire. Tel peuple tels chefs entend-on clamer, il faut ensemble amorcer un cercle vertueux du quotidien car notre peuple est un grand peuple. Nos foyers, nos familles, nos maisons se bâtissent patiemment chaque jour, chaque père ou mère de famille le sait ; de même chaque enfant du pays doit en être intimement convaincu pour la nation. Le préambule de l’UNESCO le dit à sa manière : « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ».Que ces mots de paix deviennent un comportement de paix, avec chacun contribuant chaque jour, à son niveau, par son outil.
Quiconque a eu la chance de voyager dans notre pays sait sa diversité, la beauté de ses paysages mais aussi de sa culture, de ses peuples, de son peuple. Que chacun pendant cet ultime moment de cette transition prenne sa responsabilité à quelque niveau qu’il se trouve dans l’acte de réconcilier, de rassembler, et nous reconstruirons.
Plus que jamais le temps de la transition qui redémarre nous interpelle pour donner un sens aux premiers mots de notre hymne national « à ton appel Mali, nous serons tous unis »
Hamed Diané SEMEGA
Source: Info-Matin