Les enquêteurs sud-africains ont déjà dans les mains 600 dossiers d’entreprises soupçonnées de corruption, sur plus de cinq milliards de rands (250 millions d’euros) de contrats destinés à fournir matériel, aide sociale et distributions alimentaires.
Les entrepreneurs pilleurs de fonds Covid-19 sont si nombreux qu’ils ont hérité d’un néologisme: les “Covidpreneurs”.
Et cette corruption n’épargne pas d’autres pays africains. De Nairobi à Lagos, responsables gouvernementaux et entreprises ont été pris la main dans le sac à pandémie.
L’émergence de “Covidpreneurs”
Le continent a été frappé moins fort par le virus qu’initialement redouté – 31.893 décès sur plus de 1,3 million de cas, dont près de la moitié en Afrique du Sud (14.678 morts pour 635.000 cas). Mais des centaines de millions de dollars prévus pour y faire face ont disparu.
Des hôpitaux se retrouvent avec du matériel pas aux normes, des équipements ou désinfectants inefficaces.
Les deux tiers des contrats de fourniture de matériel de protection en Afrique du Sud ne respectent pas les règles fiscales, ou ne sont pas déclarés, a fait savoir jeudi le commissaire du fisc Edward Kieswetter.
Beaucoup de ces entreprises ne connaissaient d’ailleurs rien à ce secteur, a-t-il ajouté sur la chaîne SABC, “ce qui a pu contribuer au nombre de morts de soignants”, en raison de la mauvaise qualité de ces fournitures.
En Afrique de l’Est, des images postées par des médecins et infirmiers kényans, montrant du matériel défectueux dans les services de réanimation, ont largement circulé, gênant le gouvernement.
Et en République démocratique du Congo, les accusations de malversations financières font rage: en mai, le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba affirmait avoir décaissé 10,7 millions de dollars pour lutter contre le coronavirus. Un mois plus tard, le responsable de ces programmes disait n’avoir reçu que 1,4 million.
Le vice-ministre de la Santé Albert M’Peti Biyombo a même dénoncé l’existence des “solides réseaux mafieux créés pour détourner ces fonds” au sein de son ministère et qui exigent, selon lui, des “rétrocommissions jusqu’à hauteur de 35% auprès des structures bénéficiaires de ces fonds”.
“Profiteurs de guerre”
En Ouganda, quatre responsables gouvernementaux risquent la prison pour avoir empoché un demi-million de dollars sur un fonds destiné à nourrir les plus vulnérables. Un autre, qui entassait dans sa maison des sacs de maïs et de haricots destinés aux pauvres, n’est pas passé inaperçu.
Une enquête a été ouverte après la publication d’une conversation, largement partagée sur les réseaux sociaux, entre l’ambassadrice ougandaise au Danemark et son adjoint, qui discutent sur Zoom des moyens de détourner des fonds Covid-19.
Le nombre de ces affaires fait enrager le patron de l’OMS, l’Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus.
“Aucune forme de corruption n’est acceptable. Mais celle qui concerne l’équipement de protection (EPI), qui peut sauver des vies, c’est carrément du meurtre”, a-t-il dénoncé le mois dernier.
Le détournement de ces équipements ou “de fonds destinés à sauver des vies doit être puni autant que possible”, a renchéri le directeur du Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) de l’Union africaine, John Nkengasong.
Ces affaires ne font que rappeler l’omniprésence de la corruption sur le continent, soupirent des organisations civiles exaspérées.
“C’est fermement ancré, enraciné”, regrette le directeur de l’ONG Corruption Watch auprès de l’AFP. “Les profiteurs de guerre étaient autrefois exécutés sur-le-champ […]. C’est comme ça que je vois les choses. Quand un pays est en guerre contre une pandémie et que certains volent et sapent cet effort à leur profit, c’est de la trahison.”
Une association de chefs traditionnels sud-africains s’est alarmée cette semaine de ces “vols barbares” de fonds publics: “C’est une mutinerie contre les citoyens de ce pays qui revient à de la trahison”.
Par Susan Njanji avec les bureaux africains de l’AFP
AFP