Reality Check revient sur la dernière polémique sur le franc CFA soulevée par Luigi Di Maio, vice-premier ministre italien. Un doc de Christopher Giles et Jack Goodman traduit par SUY Kahofi.
Luigi Di Maio, vice-premier ministre italien et leader du mouvement populiste Cinq Etoiles, a reproché à la France d’appauvrir l’Afrique et d’encourager la migration en Europe.
Il a accusé le gouvernement français de manipuler les économies des anciennes colonies françaises en Afrique à travers le franc CFA.
“La France est l’un de ces pays qui, en émettant une monnaie pour 14 pays africains, empêche leur développement économique et contribue au fait que les réfugiés partent de leurs pays et meurent ensuite en mer ou arrivent sur nos côtes”, a déclaré M. Di Maio.
Qu’est-ce que le franc CFA et nuit-il aux pays africains ?
Où la monnaie est-elle utilisée ?
“Deux” franc CFA
Le CFA est en fait utilisé dans deux zones monétaires distinctes dont la cartographie dans le paysage africain remonte à 1945.
Huit des pays utilisateurs du franc CFA forment l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et six autres font partie de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).
Depuis 1999, le franc CFA (dans les deux zones) est arrimé à l’euro, avec le soutien financier du Trésor français.
La monnaie elle-même, comme le dit à juste titre M. Di Maio, est émise par la France – mais la valeur à injecter sur les marchés est décidée par les banques centrales des deux zones.
Un fonctionnaire français siège au conseil d’administration des deux banques centrales, ce qui suggère que la France conserve au moins une certaine influence sur le processus décisionnel.
Paris soutient que le maintien ou non d’un pays dans la zone CFA est du ressort de la souveraineté de chaque pays : c’est aussi le point de vue de la majorité des présidents africains dont les pays utilisent la monnaie.
Cependant depuis 1960, de nombreuses voix sur le continent et en dehors soutiennent que le franc CFA est l’outil par lequel la France s’assure un accès privilégié aux ressources des pays qui utilisent cette monnaie.
Un “arrangement” monétaire qui semble plus bénéfique à la France qu’aux pays africains.
“La France a accepté d’accorder l’indépendance à ses colonies d’Afrique subsaharienne” indique l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, “à condition qu’elles acceptent d’utiliser le franc CFA et que [la France conserve] un monopole sur leurs matières premières”.
Et les entreprises françaises sont aujourd’hui encore très présentes dans les zones monétaires CFA.
Une corrélation avec la migration ?
La plupart des flux migratoires en méditerranée ne proviennent pas des 14 pays qui utilisent le franc CFA, dont 12 sont d’anciennes colonies françaises.
En 2018, la Guinée et le Maroc ont été respectivement les deux pays africains d’où sont venus le plus grand nombre de migrants.
Notons que ces deux pays, anciennes colonies françaises, n’utilisent pas le franc CFA.
La Côte d’Ivoire et le Mali sont les seuls pays d’origine des migrants où l’on utilise le franc CFA et qui ont contribué de manière significative à la migration irrégulière à travers la Méditerranée.
14,4% du total des migrants en 2018 venaient de ces deux pays.
Que fait la France de l’argent des Africains ?
L’utilisation du franc CFA est très controversée, certains estimant qu’elle s’accompagne d’une “taxe coloniale française”.
Mais la France ne taxe pas les pays africains pour l’utilisation de la monnaie. Elle impose toutefois aux pays de conserver 50 % de l’ensemble des réserves de change auprès du Trésor français, à la Banque de France, dans un “compte opérationnel”.
Les pays africains peuvent accéder à l’argent du Trésor français quand ils le souhaitent.
M. Di Maio a indiqué que la France utilisait ce système pour financer la dette publique française.
Mais un fonctionnaire du Trésor français a déclaré à la BBC que les dépôts des banques centrales d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale n’étaient pas utilisés pour acheter ou rembourser la dette française.
Les pays africains perçoivent un intérêt de 0,75 % sur leurs réserves. Mais lorsque l’inflation dans la zone euro est plus élevée cela représente un mauvais rendement.
Les raisons pour lesquelles les réserves du CFA sont conservées en France sont en partie liées aux relations entre les pays africains et l’ancienne puissance colonisatrice au moment de la création de cette monnaie.
“Le problème, c’est qu’il y avait beaucoup de méfiance entre les pays africains eux-mêmes”, explique Jean-Paul Fitoussi, économiste à l’Observatoire économique français, “alors ils ont décidé de mettre [les réserves] à la Banque de France, en lieu sûr”.
En décembre 2017, les banques centrales d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale disposaient respectivement de 5 milliards d’euros et 3,9 milliards d’euros au Trésor français.
Il s’agit d’un faible montant par rapport à la dette publique française totale qui s’élevait à environ 2,2 billions d’euros en 2017.
Le CFA maintient-il les pays dans la pauvreté ?
Une grande partie des préoccupations concernant le franc CFA ont trait à la façon dont il limite les leviers économiques que les pays africains peuvent utiliser.
Ils ne peuvent pas fixer leurs propres taux d’intérêt, par exemple. Le système est conçu pour faciliter l’obtention des devises internationales nécessaires au commerce.
Et les réserves sont également garanties par la banque centrale française, bien que cette facilité soit rarement utilisée.
Mais il est difficile de dire si l’accord entre les 14 pays et la France a eu un impact négatif sur leurs économies respectives.
Il est clair cependant que le franc CFA divise l’opinion africaine et fait l’objet de critique de la part d’économistes et d’hommes politiques.
De nombreux africains sont donc d’accord avec le point de vue et les griefs de l’homme politique italien.
Les critiques de la monnaie soulignent le fait que les pays dans la zone CFA sont pauvres, qualifiant la monnaie de vestige du colonialisme français et affirmant qu’elle ne parvient pas à “stimuler l’intégration commerciale entre les pays utilisateurs” souligne l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla.
Mais une monnaie stable et facilement convertible présente des avantages économiques, affirme John Ashbourne, analyste principal des marchés émergents chez Capital Economics.
“L’inflation, par exemple, a eu tendance à être beaucoup plus faible dans les pays de la zone CFA qu’ailleurs en Afrique.”
M. Ashbourne ajoute qu’il n’y a pas beaucoup de preuves que les pays utilisant le franc CFA ont obtenu des résultats économiques inférieurs à ceux du reste de l’Afrique.
La croissance moyenne du PIB – l’augmentation de la valeur totale des biens et services produits – des pays de la zone CFA et du reste des économies africaines est, en effet, assez comparable au cours des dernières décennies, mais cela pourrait être dû à toute une série de facteurs et pas seulement à la monnaie.
BBC