Le projet d’une monnaie ouest-africaine unique, l’eco, envisagé depuis 1983, doit en principe aboutir d’ici à quelques mois, en 2020. Un tel horizon parait pour le moins ambitieux, quand on considère ce que signifie vraiment l’instauration d’une véritable monnaie commune.
Les quinze États membres de la Cedeao se sont accordés sur le principe d’un régime de change flexible, d’une Banque centrale fédérale et du respect des critères de convergence. À savoir : un déficit inférieur à 3 % du PIB, une inflation annuelle inférieure à 10 %, l’équivalent de trois mois d’importations en réserves de change et un strict encadrement du financement de l’État par la Banque centrale.
Ces limites sont très contraignantes pour la majorité de ces pays. Selon la Cedeao, aucun d’entre eux pas même les pays de la zone franc – ne les avait respectées en 2018, contre trois en 2017. Dès lors, la pertinence de l’horizon 2020 fixé pour l’instauration de l’eco interroge.
Zones d’ombre
Les quinze pays devraient plutôt s’interroger sur les expériences de l’euro et du franc CFA, sans opter pour un calendrier trop ambitieux qui compromettrait l’opérationnalisation du projet. Quelles pénalités appliquer en cas de non-respect des critères de convergence ? Comment gérer la sortie d’un pays de l’union monétaire régionale ?
Les pays de la Cedeao avaient jusqu’au mois d’octobre pour présenter leurs programmes de convergence 2020-2024. Si la convergence est une condition sine qua non (plutôt qu’un objectif) pour adhérer à l’eco, de nombreux pays ne pourront pas l’adopter en 2020.
La question du régime de change est également problématique. La stabilité du franc CFA a facilité celle des indicateurs macroéconomiques des pays membres, contrairement aux évolutions plus volatiles de leurs voisins. Assurer le passage en douceur vers ce nouveau régime s’annonce délicat.
D’autres points restent encore à trancher. L’arrimage à l’euro du franc CFA a protégé la plupart des économies de la région contre des chocs exogènes. Quelles autres solutions sont possibles ? La France acceptera-t-elle de renoncer aux revenus tirés de sa gestion de la moitié des réserves de change des pays de l’Uemoa qu’elle assure en contrepartie de la garantie de convertibilité ?
La nouvelle monnaie continuera-t-elle à être imprimée à l’étranger comme l’est le franc CFA ? Les États membres devront-ils se résoudre à laisser le Nigeria, de loin le leader de la zone, « orienter » la politique monétaire et de change en fonction de sa conjoncture ? Une gouvernance et une coordination économiques – et non seulement monétaires – fédérales seront-elles mises en œuvre dans les politiques budgétaires, sociales et commerciales ?
Jean-Claude Trichet, ancien président de la Banque centrale européenne, avait évoqué en 2010 un « fédéralisme budgétaire » pour garantir le respect des critères du Pacte de stabilité et de croissance. Ce mécanisme de solidarité met en place un système de contrôle et de surveillance de l’application des politiques en matière de finances publiques.
Si les quinze États membres de la Cedeao l’instauraient, ils devraient alors se soumettre à une totale transparence et se présenter leurs budgets les uns aux autres avant qu’ils soient discutés devant leurs Parlements respectifs. Tous les pays concernés accepteront-ils de se plier à cette condition ?
Une question sans réponse
Parmi les autres préalables à l’entrée en vigueur de la monnaie unique dans l’espace Cedeao figure le développement du commerce intrarégional, plombé par la lenteur des formalités et des obstacles liés à la libre circulation des biens – entre pays francophones et anglophones notamment. Aujourd’hui, le niveau de ces échanges n’est que d’environ 10 %. L’intégration monétaire va-t-elle permettre de les développer davantage ? Il n’est pas dit que cela sera le cas.
Enfin, le sujet le plus délicat est la capacité de nos États à dépasser la souveraineté nationale pour agir dans un cadre plus régional. La monnaie est un sujet qui comporte beaucoup de relents sentimentaux. Sommes-nous capables de les dépasser ? Les débats sur le franc CFA nous ont par moments démontré le contraire.
Avons-nous la volonté et les capacités d’harmoniser nos politiques économiques et fiscales, condition indispensable à la réalisation d’une véritable unité monétaire ? La question reste pour le moment sans réponse. Dans ce contexte, la décision des États membres de la Cedeao d’adopter l’eco est très louable, mais le choix de 2020 paraît quelque peu ambitieux.
Jeuneafrique