Démissionné mardi et immédiatement remplacé, Mohamed Saleh Ben Aissa évoque pour la première fois ses rapports avec Habib Essid, le chef du gouvernement.
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“On ne gouverne pas le pays, on le gère au jour le jour.” Ce propos tenu en septembre par un ministre préfigure le début de tempête qu’essuie actuellement le pouvoir exécutif. Habib Essid, Premier ministre, a démis de ses fonctions le ministre de la Justice après un bref entretien qui s’est tenu entre les deux hommes. Sur la page Facebook de la primature, le sort de Mohamed Salah Ben Aissa est publiquement scellé. Il est remplacé par le ministre de la Défense. Cet ancien doyen de la faculté des sciences juridiques de Tunis, professeur de droit public, avait publiquement pris position contre l’article 230 du code pénal qui punit de trois années d’emprisonnement l’homosexualité. Une prise de parole qui faisait suite à la condamnation d’un jeune étudiant à Sousse. Le ministre avait été déjugé publiquement par le président de la République, Béji Caïd Essebsi. Ce juriste érudit, qui ne se réclame d’aucun parti, s’est confié au Point Afrique .
Le Point Afrique : quel est le motif de votre éviction du gouvernement ?
Mohamed Saleh Ben Aissa : Je n’ai pas accepté d’être présent à la séance de vote au Parlement du projet de loi concernant le Conseil suprême de la magistrature. Je n’y suis pas allé et ai dit au chef du gouvernement : “Je vais être là pour cautionner un texte de loi qui ne répond pas aux règles constitutionnelles ?” J’ai refusé de donner l’impression que le gouvernement acceptait ce texte du fait de ma présence. En tant que juriste, il m’aurait été difficile d’esquiver les questions de compatibilité avec la Constitution. C’aurait été contre mes convictions.
Vous attendiez-vous à une réaction aussi brutale ?
J’ai été un peu surpris. Je m’attendais à ce qu’on trouve une solution transactionnelle à ce conflit.
Pensez-vous payer vos propos sur l’article 230 que vous souhaitiez abroger ?
Je ne peux pas l’exclure, je ne peux pas le confirmer. Mais c’est un peu tacite…
Si vous aviez été membre d’un parti, auriez-vous été évincé de la sorte ?
Je suis un homme indépendant. Je n’appartiens à aucun parti. Si le ministre de la Justice était issu d’un des partis au pouvoir, ça ne se serait pas déroulé ainsi.
Démission du ministre en charge des relations avec le Parlement, éviction de celui de la Justice. Y a-t-il un problème avec le chef du gouvernement ?
Je ne peux pas parler au nom de mes anciens collègues. Il m’est impossible de m’exprimer à leur place. Je pense que les relations entre le chef du gouvernement et ses ministres sont restées sur un modèle ancien. Les ministres sont traités de façon “administrative”. On n’a pas compris qu’il faut évoluer avec la nouvelle Constitution, les principes révolutionnaires… Un autre type de rapports doit s’instaurer entre le Premier ministre et son gouvernement.
Quels sont les dossiers les plus urgents du ministère de la Justice ?
La carte judiciaire en premier lieu. Il nous faut améliorer la couverture du territoire ainsi que l’infrastructure. Cela demande des moyens budgétaires et techniques. Compte tenu de la situation en Tunisie, cela n’est pas facile. La sécurité requiert des budgets importants. Nous avons également besoin de repenser le contenu et les méthodes de la formation à l’ISM, l’Institut supérieur de la magistrature. Par ailleurs, le nombre des magistrats est insuffisant. Pour ce qui est de l’administration de la justice, il nous faut moderniser les rapports entre le ministère et les tribunaux. J’ai d’ailleurs nommé un haut responsable à la modernisation afin de numériser la justice. Sur une autre question, la surpopulation carcérale, il faut une révision des peines légères et revoir toute la procédure concernant les condamnations préventives. Les chantiers sont nombreux et urgents.
Source: lepoint