Après la conférence-débats organisée par Sup’management sur le programme de la monnaie unique de la Cedeao, objectif 2020, nous avons rencontré Dr Ibrahim Bocar BA, chargé des Politiques macroéconomiques et de la Recherche Economique au sein de la Commission de la Cedeao. Dans cet entretien, le Commissaire Ba fait le point sur le processus de création de la monnaie unique de la sous-région.
La monnaie unique de la Cedeao est-elle une utopie ?
Je voudrais d’abord saluer et remercier Mamadou Habib Diallo de m’avoir donné l’opportunité de faire cette conférence qui me parait être un sujet important, vraiment qui mérite d’être soutenu. C’est une école qui réalise des progrès importants, qui monte en puissance et qui se positionne bien en structure de formation. Nous ne pouvons que l’encourager, et c’est l’une des raisons de cette rencontre. Et deuxièmement, c’est pour mieux vendre la Cedeao, notamment dans le domaine économique et surtout monétaire.
Pour revenir à la question que vous venez de poser, je dois dire qu’on a le droit de rêver. Mais je pense qu’aujourd’hui, nous avons dépassé le stade de rêve. La monnaie de la Cedeao est en gestation depuis 1983. Nous avons réalisé des progrès en termes de performances économiques. Nous avons un taux de croissance le plus élevé des 8 régions africaines. Un taux de croissance de 6,3% et nous comptons atteindre 7%, ça c’est du point du soubassement économique. Parce que la monnaie a besoin de soubassement économique. Par rapport aux efforts de convergence de politique macroéconomique, les pays font beaucoup d’efforts, et le Mali en fait partie même s’il a connu une crise qui a baissé son taux de croissance. Mais les choses sont en train de revenir dans la bonne direction. Seulement, le Mali en 2012 avait eu un taux de croissance négative de -1,5%, mais aujourd’hui on a un taux de croissance de l’ordre de 2%. Ce qui est une bonne chose. Les choses iront dans la bonne direction. C’est pourquoi je souhaite pour le Mali les deux prochaines réunions, l’une avec les bailleurs de fonds de Bruxelles et l’autre sur la stratégie sahélienne. Tout ce qui est de nature à procurer au Mali beaucoup de ressources pour faire face à son développement. Et fort heureusement, beaucoup d’efforts sont faits maintenant pour aller dans la bonne direction: l’assainissement des finances publiques et le développement du secteur privé. Je ne dis pas que tout est bien, mais tout ceci va dans la bonne direction. Mais bien faire nécessite du temps.
Est-ce un rêve ou une utopie par rapport à la monnaie ?
Je dirais que c’est un objectif qu’on peut atteindre. Parce qu’il y a eu des progrès dans la convergence macroéconomique. Il y a un bon taux de croissance. Il y a aussi une volonté politique des chefs d’Etat d’aller de l’avant. Actuellement, deux chefs d’Etat ont été désignés à la réunion du Sommet extraordinaire de Dakar : les présidents du Niger et du Ghana qui vont piloter ce processus. A cet effet, nous avons créé une Task Force présidentielle de haut niveau dont j’ai conduit les travaux au niveau technique. Cette Task Force a proposé déjà, au dernier sommet, des lignes de force. Et on va élaborer une nouvelle feuille de route pour atteindre l’objectif. Diallo avait posé une bonne question : est-ce qu’on peut atteindre les objectifs avec tous les échecs qu’on a eus? Les échecs aussi, ça stimule. Je pense actuellement, dès lors il y a une volonté politique et il y a un socle économique qui est en train de se renforcer, il y a toutes les chances qu’on puisse atteindre l’objectif 2020. Ce n’est plus un rêve mais un objectif difficile atteignable.
Est-ce que c’est possible d’ici à 2020 et quelles sont les contraintes ?
En tous cas, c’est l’objectif que se sont fixés les chefs d’Etat, auquel nous travaillons. La première contrainte, c’est la volonté politique. C’est vrai qu’on peut dire qu’on a la volonté politique mais il y a des mesures à prendre qui sont parfois difficiles. Le taux d’inflation, c’est vrai que les pays de l’Uemoa n’ont pas ce problème, mais les autres pays comme le Nigeria, la Sierra Leone, le Ghana ont des problèmes de taux d’inflation élevé qu’il faut réduire. Cela nécessite des sacrifices importants. Il y a le problème de déficit budgétaire qui augmente avec la pression sociale. Là aussi, c’est une difficulté qu’il y a, mais il faut conjuguer une politique budgétaire fructueuse avec une volonté de faire en sorte que les instruments financiers puissent fonctionner, pour faire en sorte qu’il y ait le développement et une croissance. Mais une croissance réductrice de la pauvreté. On ne peut pas avoir une croissance basée uniquement sur les mines et les pétroles mais il faut avoir une croissance élargie par exemple au domaine de l’agriculture et des services, ça ce sont des croissances qui peuvent réduire la pauvreté.
Quelles sont les avantages de la monnaie unique ?
Les avantages de la monnaie unique sont d’abord, notre monnaie est actuellement garantie par l’Union Européenne. Je pense que nous sommes dans un monde très évolutif, il faut avoir soi-même la responsabilité de son économie. Le Mali a une bonne expérience, il est passé par la monnaie unique et il est revenu actuellement à l’Uemoa. L’expérience du Mali a montré qu’un seul pays, c’est beaucoup plus compliqué. Mais avec un tissu de pays, dans le cadre de 15 pays, un socle économique plus solide, une politique économique plus vertueuse, il y a des chances d’avoir un bon support de la monnaie de la Cedeao.
Propos recueillis par
Nouhoum DICKO