Adopter une lecture uniquement ethnique des violences qui ébranlent le centre du Mali est une erreur. La complexité des sociétés de la région oblige à déconstruire ces idées reçues, d’autant que les chefs jihadistes cherchent eux-mêmes à transcender les clivages communautaires, prévient Marc-Antoine Pérouse de Montclos.
On tend souvent à faire une lecture ethnique du conflit qui oppose Bamako aux jihadistes de la katiba du Macina, dans le centre du Mali. Du côté des insurgés, il y aurait des éleveurs peuls ; de l’autre, des agriculteurs dogons alliés à l’armée malienne. Les premiers prétendent traditionnellement détenir le savoir coranique et sont les héritiers d’un proto-État islamique du XIXe siècle, la Dina. Appelés péjorativement « Habe », les seconds ont été islamisés plus tardivement et n’ont pas tous renoncé à leurs croyances traditionnelles.
La complexité des sociétés de la région oblige cependant à déconstruire les idées reçues. Les Dogons parlent d’ailleurs tant de dialectes qu’il leur arrive fréquemment de recourir à la langue peule pour communiquer entre eux – en particulier ceux qui, après avoir fui les razzias des musulmans, ont fini par descendre des refuges de la falaise de Bandiagara pour s’installer à découvert dans la plaine. Historiquement, les deux populations ont beaucoup commercé ensemble en laissant les agriculteurs et les éleveurs utiliser la terre chacun leur tour pendant les saisons humides puis sèches.
Amadou Koufa à la croisée des chemins
Le chef des jihadistes du Macina, Amadou Koufa, est lui-même à la croisée des chemins. Sa mère est peule, mais sa famille serait originaire d’un petit port de pêche de la périphérie de Tombouctou, Kabara, qui avait été établi par le colonisateur français pour accueillir les anciens esclaves Haratins et Bellas libérés dans le nord du Mali. Son père était un érudit devenu l’imam d’un village, Koufa, où siégeait d’ailleurs le tribunal islamique de la Dina au milieu des années 1820.
Aujourd’hui, le chef jihadiste cherche à transcender les clivages communautaires pour élargir sa base sociale. Il invoque les valeurs universalistes et égalitaristes de l’islam pour conspuer l’impiété et l’oppression de la noblesse peule. On prête même à ses hommes la destruction symbolique, près de Mopti, en 2015, du mausolée du fondateur de la théocratie du Macina en 1818, Sekou Amadou.
Si cet attentat à la dynamite n’a jamais été revendiqué, il visait clairement à marquer les esprits et à entamer le prestige de la noblesse peule au prétexte que leur imamat n’était nullement héréditaire et que le prophète Mahomet avait interdit le culte des ancêtres, logique qui devait aussi présider à la destruction des tombeaux des saints soufis de Tombouctou en 2012.
Constitution de katibas de Dogons
Sur le plan tactique, Amadou Koufa a aussi pris soin de mélanger ses effectifs pour surmonter la répugnance de ses combattants à tuer des membres de leur propre lignage. Il a ainsi levé des bataillons peuls pour attaquer le pays dogon et, inversement, il a mobilisé des chasseurs dogons pour aller combattre les chefs peuls qui lui résistaient. À défaut d’être protégée par l’armée malienne, une partie de la paysannerie a dû lui prêter allégeance pour pouvoir continuer à cultiver ses champs, menacés sinon de razzias.
D’autres ont rejoint les insurgés par besoin de reconnaissance sociale ou parce qu’ils se sentaient abandonnés, voire discriminés, par les autorités. En condamnant la tradition préislamique de la dot africaine et en prônant des mariages simplifiés, le discours salafiste de Koufa a notamment séduit des jeunes gens qui ont été autorisés à épouser des femmes de castes différentes du moment qu’ils étaient musulmans.
Résultat, des katibas de Dogons sont en train de se constituer. L’une serait centrée sur la localité de Kerana ; l’autre est basée à Serma, siège du tribunal islamique de Koufa. Leurs combattants sont aussi en contact, plus au nord, avec le groupe Ansar Eddine, d’Iyad Ag Ghaly, et avec la katiba du Gourma, qu’a reprise l’ancien colonel malien Ba Ag Moussa après le décès d’Almansour Ag Alkassam, un Touareg tué par l’armée française en novembre 2018. Voilà qui devrait inviter à repenser les visions par trop tranchées des soubassements ethniques des jihads africains.
Par Marc-Antoine Pérouse de Montclos
Marc-Antoine Pérouse de Montclos est directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD, France)
Source: Jeune Afrique