Les contestations populaires des derniers mois ont abouti au départ du président Ibrahim Boubacar Keita, dit « IBK ». Nous ne saurons sans doute jamais tous les dessous de démission. Néanmoins, une chose est sûre : l’avenir immédiat du pays dépendra de la manière dont la communauté internationale qualifiera les événements. Celle semble partagée pour le moment entre pragmatisme et principe légal.
Dans ce contexte précis, la communauté internationale désigne les différents pays ou organisations internationales ayant une influence significative sur le développement politique, économique et la sécurité du pays : la France, l’Union européenne, les États-Unis, l’Union africaine et la Communauté économiques des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Tous les acteurs de la nuit du 18 août étaient conscients de la nécessité de qualifier les faits de sorte à conserver la main pour la suite. En effet, les militaires —des officiers supérieurs— savaient que leur avenir sur la scène internationale dépendrait de la manière dont les évènements seraient qualifiés. C’est pour cette raison que nous avons vu sur les écrans de télé, tard dans la nuit, un « IBK » amaigri lisant un discours dans lequel il annonçait sa décision de « quitter toutes ses fonctions avec les conséquences de droit ». En vieux politicien aguerri, il a néanmoins pris le soin de souligner : « Ai-je bien le choix ? ».
Ainsi, en faisant leur déclaration après la « démission » du président, les militaires voulaient éviter la qualification de coup d’État et ses conséquences juridiques sur le plan international. Ce choix de langage fut encore utilisé les jours suivants lorsque le porte-parole du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) a affirmé sur les médias qu’il n’y « a pas eu de coup d’État ».
Pourquoi la terminologie utilisée importe tant sur le plan international
Si le changement anticonstitutionnel du pourvoir a été unanimement condamné par la communauté internationale, les différents acteurs ont néanmoins adopté une approche différente quant à la réponse adoptée. Cette réponse dépend le plus souvent des règles et procedures de ces pays. Il faut souligner que parmi les acteurs importants au Mali, certains (Union européenne, États-Unis, Union africaine et CEDEAO) ont des règles et procedures bien établies en matière de coup d’État.
L’Union africaine a une politique de « tolérance zéro » contre tout transfert anticonstitutionnel du pouvoir qui remonte à 1997, en Sierra Leone. Cette position a, par la suite, été intégrée dans différents textes, notamment la Charte africaine pour la démocratie, les élections et la gouvernance (2007). Compte tenu de ce principe, l’UA condamne systématiquement tout coup d’État et impose des sanctions contre les auteurs. Ainsi, à peine 24h après les événements, le président de la commission a annoncé la suspension immédiate du Mali. Position similaire de la CEDEAO qui a non seulement condamné le coup d’État, mais a également exigé le rétablissement de l’ancien chef de l’État dans ses fonctions et annoncé des sanctions ainsi que la fermeture des frontières avec le Mali.
L’accord de Cotonou, qui fixe le cadre du partenariat entre l’Union européenne et l’Afrique subsaharienne, prévoit en son article 96 une procédure de consultation qui peut être activée « si l’une des parties ne respecte pas les éléments essentiels du partenariat ». Ces éléments sont notamment le respect des droits de l’homme, des principes démocratiques et de l’État de droit.
En pratique, l’UE peut entamer un dialogue politique avec un pays où il y a eu un changement anticonstitutionnel de pouvoir en vue d’établir une feuille de route détaillant des mesures que les deux parties doivent prendre pour revenir à une situation « normale ». Si aucun accord n’est trouvé à la fin de la consultation, des mesures de suspension de la coopération peuvent être prises. Depuis 2000, cet article a été appliqué à 15 reprises lors de renversements violents de gouvernement, notamment au Togo (2004), à Madagascar (2010)…
La France ne semble pas avoir de règles et procedures légales obligeant le gouvernement français à qualifier et condamner un coup d’État dans le monde. Néanmoins, en tant qu’État membre de l’UE, on peut penser que la France va suivre les règles et procédures de cette organisation.
« No coup »
En ce qui concerne les États-Unis, le principe de « No coup » est très clair. L’aide administrée par le département d’État est interdite à tout régime militaire ayant renversé un gouvernement démocratiquement élu. Des dispositions similaires sont inclues depuis 1985 dans toutes les décisions d’appropriation des opérations extérieures et continuellement renouvelées par des législations consécutives. C’est la responsabilité du président de déterminer s’il y a eu coup d’État ou non et, par la suite, de certifier aux Comité d’appropriation si un gouvernement légal a été élu en vue de reprendre la coopération.
Dans la mesure où le coup d’État relève par définition des « affaires intérieures » d’un État membre, le principe général de non-intervention dans les affaires intérieures d’un pays s’applique (Chapitre 1 de la Charte des Nations unies). Néanmoins, en vertu du principe de la responsabilité de protéger (R2P), l’ONU peut intervenir dans les affaires intérieures pour éviter de graves violations des droits humains. Mais, en pratique, le recours est très rarement fait à ce principe.
Pragmatisme versus principe légal
Il existe donc une position ferme au niveau international, qui se traduit par une condamnation systématique : « No coup principe ». Le transfert anticonstitutionnel ou extra-légal du pouvoir, ou encore la prise de pouvoir par les militaires est systématiquement dénoncée, condamnée et sanctionnée par la plupart des pays occidentaux. Il y a de nombreuses explications à cela. La plus évidente semble résider dans la tradition démocratique de ces pays où la gestion du pouvoir par voie démocratique est la norme.
Cependant, l’expérience démontre que l’application de cette norme de « No coup » se fait au cas par cas. Même si la condamnation systématique arrive toujours au lendemain du coup de force, l’application des sanctions n’est pas toujours de mise pour des raisons pragmatiques ou de realpolitik.
À titre d’exemple, en juillet 2013, l’administration Obama avait choisi de ne pas qualifier le coup de force d’Al-Sissi contre Morsi en Égypte. La non-désignation des évènements permettaient alors de ne pas déclencher la suspension immédiate de la coopération tel que prévu par la loi américaine. En effet, le principe légal aurait voulu que ce soit qualifié de « coup », ce qui aurait immédiatement entraîné la suspension de l’aide américaine. Mais les choses ne sont pas si simples.
L’Égypte était alors le deuxième partenaire le plus important bénéficiaire de l’aide américaine après Israël : $1.5 milliard par an, y inclus 1,3 milliard d’aide militaire. L’Égypte était un partenaire stratégique des États-Unis dans la lutte contre le terrorisme et un important acteur pour la sécurité du Canal de Suez. En arrêtant immédiatement la coopération, il y aurait eu un arrêt de ce partenariat. Ainsi, au nom d’un certain pragmatisme, les autorités de l’époque ont préféré ne pas qualifier les faits pour ne pas suspendre la coopération dans un premier temps.
Les réponses de la communauté internationale au Mali
En raison de la présence des forces françaises de l’opération Barkhane au Mali, la position de la France a été observée de près par de nombreux analystes. Dans un premier communiqué, le ministère des Affaires étrangers a exprimé son « inquiétude » devant la « mutinerie » et a indiqué être sur la même ligne que la CEDEAO. Le Quai d’Orsay a également précisé que la France partageait la position de la communauté internationale « qui appelle au maintien de l’ordre constitutionnel et exhorte les militaires à regagner leurs casernes ». Finalement, le président français est intervenu pour demander que le pouvoir soit rendu aux civils sans formellement qualifier les évènements de coup d’État.
Les États-Unis, quant à eux, ont immédiatement suspendu leur assistance militaire en vue de clarifier la situation. Parallèlement, le département de la défense a enlevé les photos d’un des putschistes qui avaient bénéficié d’une formation sur son matériel de communication.
À la suite d’une réunion d’urgence au lendemain des événements, le Conseil de sécurité de l’ONU a réclamé la libération « immédiate « de tous les dirigeants arrêtés », souligné « la nécessité pressante de rétablir l’État de droit et d’aller vers un retour à l’ordre constitutionnel », et appelé les mutins à « regagner leurs casernes ». Si le Secrétaire général de l’ONU a parlé de « mutinerie militaire », le chef de la diplomatie de l’UE a quant à lui qualifié les faits de coup d’État et a rejeté « tout changement anticonstitutionnel ».
Qualification des faits
En définitive, même s’il y a eu une condamnation unanime, la qualification des faits ainsi que les réponses apportées ont, en revanche, différé selon les partenaires. Pour des raisons pragmatiques, de nombreux partenaires vont sans doute éviter de qualifier les évènements de coup d’État pour éviter les conséquences légales de cette labellisation selon leur propre législation. En effet, la lutte contre le terrorisme et les opérations extérieures menées au Mali nécessitent une coopération militaire. La France semble d’ores et déjà pencher pour une position pragmatique. Elle a « pris acte » et demande la libération d’ « IBK » sans qualifier les faits. Les États-Unis ont suspendu leur coopération militaire en entendant de déterminer la nature exacte des évènements.
Pour le commun des Maliens, peu importe comment on appelle le départ du président Keïta. Au regard de la liesse populaire sur la place de l’indépendance, les gens se réjouissent juste de la fin d’un règne chaotique et désastreux pour le pays, peu importe que ce soit par coup d’État ou démission. Plusieurs journaux nationaux ont relayé ce soulagement en qualifiant les évènements de « coup d’État VIP », « civil » ou « choco ». Les politiques, ayant été au centre des contestations populaires des derniers mois, ne voulant pas passer au second plan, insistent quant à eux sur le fait que les militaires n’ont fait que parachever leurs actions. Il convient, néanmoins, de souligner que ce n’est pas la révolution populaire qui a immédiatement mis fin au régime d’IBK, mais bien une action militaire.
Source: benbere