Au Mali, la normalisation se poursuit lentement mais résolument. Pierre après pierre la reconstruction de l’édifice est en marche. Ce cheminement n’est pas exempt de difficultés. On a l’impression que chaque pas décisif est précédé de tumultes voire de souffrance à l’image de Soundiata Keita s’échinant sur une barre de fer pour se dresser et faire ses premiers pas. Apres l’élection présidentielle et la mise en place d’un gouvernement légitime, on s’attendait à la fin des soubresauts, mais c’était sans compter sur la complexité de la situation de Kidal, les humeurs de Kati, et le caractère versatile de l’opinion publique malienne.
Si en dépit des résultats significatifs obtenus sur le terrain, le gouvernement peine à trouver une solution définitive au cas de Kidal, il est établi que « Kati ne fait plus peur à Bamako », la junte a été démantelée avec l’arrestation de Mr SANOGO et ses proches. Ce qui a permis au gouvernement d’ouvrir un nouveau front, celui de la lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance.
Dans ce cadre, la publication du dernier rapport du vérificateur général a déclenché de façon presque instantanée des poursuites judiciaires. Les dossiers se bousculent sur le bureau du juge d’instruction. Il reste à la justice de jouer sa partition avec responsabilité et professionnalisme.
Pour ce qui concerne la mauvaise gouvernance, le gouvernement a décidé de traduire A.T.T devant la Haute Cour de Justice pour haute trahison. Cette décision fait actuellement débat au Mali. Si elle a été accueillie favorablement dans certains milieux, elle est fustigée par d’autres, notamment, la presse et une partie de la classe politique et de la société civile.
Les détracteurs de la mesure estiment que la mise en accusation de l’ancien président est inopportune, contre-productive, dans la mesure où elle sera source de division, les mêmes indiquent qu’elle nous éloignera des priorités du moment, notamment, la libération de Kidal. Enfin, ils déclarent qu’elle donne une légitimité au coup d’Etat. Ce qui est une contre vérité manifeste, en réalité c’est le laisser aller et la mauvaise gouvernance qui ont provoqué la mutinerie de KATI et le coup d’Etat du 22 mars 2012.
Pourtant, la mise en accusation du Général ATT nous parait être d’une priorité brûlante, la voie royale par laquelle le Mali peut espérer retrouver le chemin de sa refondation. Le fil d’Ariane qui nous permettra de retrouver le chemin perdu.
Le communiqué du gouvernement précise que « Le gouvernement du Mali informe l’opinion publique nationale et internationale que l’Assemblée nationale, siège de la Haute Cour de Justice, vient d’être saisie par la lettre n°285/PG-CS du 18 décembre 2013, d’une dénonciation des faits susceptibles d’être retenus contre Amadou Toumani TOURE, ancien président de la République pour haute trahison ».
Les faits reprochés sont les suivants :
– D’avoir, en sa qualité de président de la République du Mali, donc chef suprême des armées, et en violation du serment prêté, facilité la pénétration et l’installation des forces étrangères sur le territoire national, notamment en ne leur opposant aucune résistance, faits prévus et réprimés par l’article 33, al 2 du Code pénal ;
– D’avoir, au Mali, au moment des faits et en tant que président de la République, donc chef suprême des armées, détruit ou détérioré volontairement un outil de défense nationale, faits prévus et réprimés par l’article 34, al 2 du Code pénal ;
Ancien président de la République
– D’avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu que dessus, participé à une entreprise de démoralisation de l’armée caractérisée par les nominations de complaisance d’officiers et de soldats incompétents et au patriotisme douteux à des postes de responsabilité au détriment des plus méritants entrainant une frustration qui nuit à la défense nationale, faits prévus et réprimés par l’article 34, al 3 du Code pénal ;
– De s’être, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu que dessus, opposé à la circulation du matériel de guerre, faits prévus et réprimés par l’article 34, al 3-c du Code Pénal ;
– D’avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu que dessus, participé, en connaissance de cause, à une entreprise de démoralisation de l’armée, malgré la grogne de la troupe et des officiers rapportée et décriée par la presse nationale, faits prévus et punis par l’article 34, al 3-d du Code pénal ;
– D’avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu que dessus, en tout cas, depuis moins de 10 ans, par imprudence, négligence ou inobservation des règlements laissé détruire, soustraire ou enlever, en tout ou partie, des objets, matériels, documents ou renseignements qui lui étaient confiés, et dont la connaissance pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale, faits prévus et punis par l’article 39, al 2 du Code pénal.
De ces chefs d’accusation, un seul retient particulièrement notre attention du fait de sa pertinence et de son évidence.
Il est établi que les éléments d’AQMI se sont fixés dans le massif des Ifoghas en 2006 où ils ont érigé leur sanctuaire.
Cette présence était un secret de polichinelle au Mali et même au-delà, au point que notre pays subissait des critiques de nos voisins pour sa passivité et sa complaisance envers AQMI. Par ailleurs, le Mali était régulièrement sollicité pour négocier la libération des otages retenus par AQMI. Ces négociations étaient menées au plus haut niveau de l’Etat et nos plus hautes autorités de l’époque s’en glorifiaient sous le feu des caméras.
Les éléments d’AQMI écumaient tout le nord du Mali sans rencontrer le moindre souci, comme s’il existait un « gentleman agreement » entre djihadistes et gouvernement malien.
Jamais l’armée malienne n’a tenté de les déloger allant jusqu’à refuser les offres de coopération dans ce sens. La sanctuarisation d’AQMI a été particulièrement longue. Elle a, en effet durée six longues années durant lesquelles les djihadistes se sont renforcés en scellant des alliances avec les populations locales et s’équiper grâce aux revenus des trafics de tous genres et des rançons versées à l’occasion de la libération des otages occidentaux.
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La pénétration des Touaregs Libyens est un moindre mal, à côté, dans la mesure où les différentes fractions Touaregs réunies n’ont pu vaincre l’armée malienne qu’avec l’appui des djihadistes d’AQMI et du MUJAO.
De ce point de vue, on peut raisonnablement admettre que le fait de laisser AQMI s’implanter au Mali constitue l’élément majeur ayant facilité l’occupation du Nord et la désintégration de l’armée malienne.
Il parait donc tout à fait normal que le chef d’Etat en exercice durant cette période, en sa qualité de garant de l’intégrité territoriale et de la souveraineté du pays, s’explique sur ces faits. La refondation du Mali passe nécessairement par-là, la compréhension du passé permet d’éviter les écueils à venir. On peut à la limite s’interroger sur la méthode à suivre.
La nécessité d’une séance d’explication a déjà été perçue sous la transition, la « concertation nationale » avait été préconisée, cette méthode avait des relents politiques. Ce qui explique qu’elle n’était plus d’actualité après l’élection présidentielle.
Le gouvernement IBK a choisi la procédure prévue en la matière par la constitution de la république du Mali. Si cette dernière procédure a le mérite d’être légaliste elle suscite des critiques et un soupçon de vengeance ou de règlement de compte.
Un effort d’imagination pouvait conduire à envisager éventuellement la convocation de l’ex président par devant la commission justice vérité et réconciliation pour être auditionné.
En tout état de cause, le fait d’exiger des explications à ATT quel que soit la forme retenue est difficilement contestable dans son principe, car tout le monde y a intérêt.
Le Mali, d’abord parce qu’il va permettre d’une part d’asseoir dans l’esprit de nos concitoyens la notion de responsabilité des hommes politiques dans la gestion des affaires publiques. Et d’autre part, elle permettra de tirer les enseignements des éventuelles méprises. Enfin, elle permettra de faire admettre à nos concitoyens du Nord que le septentrion malien n’est plus une zone de non droit, et que sa gestion sur le plan sécuritaire est une grande priorité. De ce point de vue, elle participe de la réconciliation nationale, car l’absence de la présence de l’Etat était un des arguments avancés par les rebelles pour soutenir leur revendication.
ATT aussi y a intérêt, elle lui permettra en effet, de trouver l’occasion de s’expliquer et de se défendre face à des accusations qui lui colleront à la peau toute sa vie. A l’issue de son jugement soit il sera blanchi, soit il sera condamné. Dans cette dernière hypothèse, il pourra certainement bénéficier d’une grâce, car il est reconnu que s’il a pu éventuellement commettre des erreurs dans la gestion sécuritaire du Nord, il a par ailleurs obtenu des résultats significatifs dans d’autres domaines, notamment les infrastructures. C’est en notre sens la voie qui lui permettra de retourner paisiblement au Mali et de retrouver une vie sociale normale à l’image de Moussa TRAORE.
A défaut de se soumettre à cette procédure, l’ex président aura toujours cette affaire planée sur sa tête comme une épée de Damoclès et ce, pendant plusieurs années.
En définitive, le principe d’une séance d’explication s’impose, on considère pour notre part qu’il aurait fallu saisir la Commission Justice Vérité Réconciliation, ce qui aurait le mérite de nous permettre de comprendre ce qui s’est réellement passé, et d’en tirer les enseignements, tout en évitant une division néfaste à la nécessaire réconciliation.
MAITRE SAMBA BA
DOCTEUR EN DROIT
Avocat aux barreaux Seine Saint-Denis (France) et du Mali
SOURCE: Le Républicain