Après quatre mois de suspension pour cause de nouveau coronavirus, le trafic aérien a repris le 25 juillet dernier au Mali. La pandémie étant toujours présente, plusieurs mesures de prévention ont été instituées au niveau des aéroports. L’objectif est de réduire les risques de propagation de la Covid-19 et de protéger la santé des passagers, des autres usagers et du personnel aéronautique, malgré le contexte économique difficile que traverse le secteur.
À une dizaine de kilomètres de l’Aéroport international de Bamako, Niamakoro Courani voit passer quotidiennement plusieurs avions au-dessus de sa tête. Cela fait le bonheur des enfants de ce quartier périurbain de la commune de Kalaban Coro, qui, face au concert des appareils volants, crient de joie « Avion pipipi, Avion Bamako ». Mais voilà déjà quatre mois que le « doux » bruit des jets se fait rare, pour cause de pandémie du nouveau coronavirus. Le 17 mars dernier, les autorités maliennes avaient suspendu, lors d’un Conseil supérieur de la défense nationale, les vols commerciaux en provenance des pays touchés par la Covid-19, à l’exception des vols cargos pour le transport des marchandises. Les avions de ligne étant cloués au sol, le trafic aérien a considérablement baissé. Cependant, depuis le 25 juillet, le nombre quotidien de cas de Covid-19 étant en recul, les acteurs du secteur demeurent vigilants, car le virus est toujours là.
Circonspection
Au niveau d’Aéroports du Mali (ADM), l’entreprise malienne chargée de l’exploitation commerciale, de la protection et du développement des installations et équipements des aéroports du Mali, on se blinde de précautions pour faire face à la menace pandémique. Dans une lettre circulaire en date du 21 juillet, une batterie de mesures a été édictée par le PDG, afin de réduire les risques de propagation de la Covid-19 et de protéger la santé des passagers et du personnel aéronautique. Il s’agit entre autres du port obligatoire du masque, du respect de la distanciation sociale, du lavage des mains au savon, de la désinfection régulière des aéroports, de la prise de température des usagers, de la désinfection des avions après chaque vol, etc. Ces mesures doivent être « strictement » respectées tant pour le circuit de départ que pour celui des arrivées.
Aux mesures d’ADM, l’Agence nationale de l’aviation civile (ANAC) en a ajouté d’autres pour une reprise vigilante du trafic aérien. Le 24 juillet, elle a à son tour formulé ses recommandations à l’attention des exploitants d’aéronefs, des gestionnaires d’aérodromes, des sociétés d’assistance en escale, des passagers aériens et autres usagers du transport aérien. Ces acteurs « ont l’obligation d’appliquer les mesures et recommandations des autorités sanitaires maliennes, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale) et de l’IATA (Association internationale du transport aérien) ». Il s’agit pour les exploitants aériens de soumettre à l’ANAC les programmes de reprise de vols, de détenir une autorisation pour les vols irréguliers, d’utiliser des avions munis de filtres HEPA (filtres à air à haute efficacité qui recyclent l’air dans l’avion). C’est grâce à ces équipements qu’il n’y a pas de réduction du nombre de sièges dans les avions ni respect des mesures de distanciation classiques. « Pas besoin de réduire les sièges. L’air est recyclé par les filtres HEPA toutes les trois minutes. Cela garantie à la cabine le même niveau de stérilisation que celui d’un bloc opératoire », explique Landry Glidja, délégué pays d’Air Côte d’Ivoire au Mali.
Quant aux pilotes et au personnel navigant en cabine, ils veillent au respect des mesures de prévention. En outre, lorsqu’un membre de l’équipage présente des symptômes assimilables à la Covid-19, il lui est interdit de monter à bord de l’avion. Les membres de l’équipage doivent aussi s’auto-confiner dans un hôtel jusqu’au départ.
Les conditions d’entrée des passagers sur le territoire malien ont également évolué. Dorénavant, un voyageur arrivant au Mali via l’aéroport doit remplir un formulaire de déclaration de santé et présenter un certificat de test Covid-19 négatif datant d’au plus trois jours. À défaut, il sera « soumis à un test à l’aéroport et devra s’auto-confiner à la maison ou à l’hôtel (à ses frais) en attendant ses résultats ». Si le test est positif, il sera transféré dans un centre de prise en charge.
Quant au passager en correspondance ou en transit, il doit « présenter un certificat de test Covid-19 datant d’au plus sept jours. En cas de nécessité d’hébergement, il doit s’auto-confiner » et respecter les mesures de prévention jusqu’à son départ du territoire malien. Ce test Covid-19, à la charge des passagers, coûte 35 000 francs CFA.
Difficultés économiques
La pandémie du nouveau coronavirus a fortement impacté le trafic aérien. Fin mai dernier, celui-ci s’était effondré à 95%, selon une évaluation des ministres des transports de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). D’après une source requérant l’anonymat, au mois de juin, les vols commerciaux maliens avaient chuté de 92%, alors que le fret était stable autour de 36%. Cela a eu comme corolaire des conséquences financières énormes. Au niveau d’Aéroports du Mali, les pertes enregistrées en quatre mois d’inactivité donnent le tournis. Elles sont d’au moins 2,593 milliards de francs CFA, selon notre source. Les compagnies aériennes ne sont pas en reste. Elles ont également perdu de l’argent à cause du manque d’activité et des charges d’entretien des avions. « Nous sommes restés immobilisés pendant 4 mois, à l’instar des autres compagnies. Nous avons donc perdu 100% du chiffre d’affaires de ces 4 mois, alors qu’il y avait d’importantes charges fixes, dont la location et maintenance des avions. Aujourd’hui, le trafic reprend peu à peu, mais les conditions d’entrée dans les pays sont très contraignantes pour les voyageurs et en découragent plus d’un. Cela aura pour impact une réduction significative du trafic sur les prochains mois », soupire Landry Glidja.
Charges supplémentaires
Avec sa kyrielle de mesures de prévention contraignantes, la pandémie du nouveau coronavirus oblige les entreprises à s’adapter. Masques homologués, marquages de distanciation, gels hydro-alcooliques, désinfection régulière des aéroports et des avions après chaque vol amènent des charges additionnelles aux acteurs du secteur aérien. « La simple désinfection de l’avion après chaque vol nécessite de nouveaux contrats avec des structures de désinfection dans chaque escale. Le nombre de désinfections des avions est multiplié par le nombre de vols, avec des coûts qui atteignent des niveaux jamais encore enregistrés jusqu’ici », explique Landry Glidja. Malgré ces charges additives, les prix des billets d’avion n’ont pas connu pour l’heure d’augmentation.
Retour à la normale ?
C’est la grande question. En tout cas, ce ne sera pas pour le reste de 2020. « Vu les plans de reprise des compagnies, ce ne sera pas en 2020. En plus, il faut compter avec la peur des voyageurs. Je pense qu’il est encore trop tôt pour faire une estimation sérieuse », explique notre source.
Néanmoins, plusieurs études ont été réalisées afin de mettre une date sur le retour à la normale pour le secteur aérien. Et ce n’est pas pour aujourd’hui. Selon un rapport de la Compagnie française d’assurances pour le commerce extérieur (Coface) en date du 16 juillet, les acteurs du transport aérien ne retrouveront leur niveau d’activité de 2019 qu’en 2022. « Selon les experts du secteur et les études réalisées par l’IATA et d’autres organismes, le secteur devrait revenir au niveau d’avant-crise d’ici 2 à 3 ans », renchérit Landry Glidja.
D’ici là, les tout-petits de Niamakoro Courani, comptant les vols au compte-gouttes, devront se contenter du peu qu’il y a.
Boubacar Diallo
Repères
17 mars 2020 : Suspension des vols commerciaux
25 juillet 2020 : Reprise des vols commerciaux
92% : Baisse du trafic aérien au Mali en juin
36% : Taux du fret au Mali en juin
2,593 milliards FCFA : Pertes occasionnées par l’arrêt des activités à ADM
Journal du Mali