Le trio a pris le départ, mais il faut bien se hâter de sortir le Mali du cul-de-sac où il se trouve enfermé, les Maliens souffrent beaucoup, ils sont dans le dénuement pour le plus grand nombre et dans l’anxiété pour tous quand à un futur rassurant et radieux. Mais Kati, puis Koulouba et les bureaux du Premier ministre sur les bords du Djoliba sont les sièges de la gouvernance nationale où l’on doit éviter de croire que l’on a la bride sur le cou pour tout se permettre; non, ils ne doivent être en aucun cas un hippodrome où l’on s’autorise à foncer à bride abattue. Il faut savoir donc brider des ambitions de saison qui naissent généralement dans le feu de l’action des pronunciamientos, qu’ils soient tropicaux ou ibériques, comme l’histoire des cinquante dernières années l’a montré avec une constance effrayante.
Le Président Bah N’Daw a une réputation angélique telle qu’il ne viendra à l’esprit de personne qu’il arrive, à 70 ans révolus, aux plus hautes commandes de la République pour mal agir et sortir par la petite porte de l’histoire. Aurait-il même un ennemi irréductible que celui-ci ne lui souhaiterait pas pareil trébuchement. En patriote intransigeant, le Président Bah N’Daw a donné sa parole d’honneur, dans son discours d’investiture, quant à la mission de conduire la Transition à lui confiée : “…Une telle mission, je le sais, se mènera sur le socle fe la guerre sans merci qu’il faudra continuer à livrer aux forces terroristes et au crime organisé…Leur sanctuaire s’élargit au détriment de la sécurité nationale. Les demi-victoires ne suffisent plus pour les vaincre… La bonne gestion de nos ressources, de nos maigres ressources, est, en effet, une obligation…Je ne peux pas promettre zéro corruption mais je ferai tout pour que l’impunité zéro soit la norme. L’argent public est sacré et je ferai en sorte qu’il soit dépensé de manière traçable et raisonnable. Avec tous les sacrifices que cela comporte, en termes de mesures systématiques et de répression des crimes et délits économiques. Tous les dossiers d’enquêtes réalisés par nos structures de vérification seront transférés au juge, au besoin. Il m’appartient de garantir à la justice les moyens de diligenter leur traitement…”
Le Président se fit fort de signifier avant que le Mali lui a tout donné et que c’est par devoir qu’il vient à la rescousse de ce pays tremblant dans ses fondements : “Oui, il ne faut pas avoir peur des mots : le Mali est ébranlé, piétiné, humilié. Ébranlé, affaibli, humilié par ses propres enfants, par nous-mêmes, par personne d’autre que nous-mêmes…”
Le Président Bah N’Daw a un vice-président en la personne du Colonel Assimi Goïta, deuxième haute personnalité de la Transition, par ailleurs chef de la junte. Celui-ci occupe ce poste qui n’est prévu ni par la constitution malienne de 1992, ni par l’Acte fondamental publié pat le Cnsp sans le Journal Officiel du Mali le 24 août 2020. Mais il a été introduit dans la Charte de la Transition que la délégation su Cnsp conduite par Assimi Goïta lui-même est allée présenter et défendre au mini-sommet des chefs d’Etat de la Cedeao tenu à Accra le 15 septembre dernier. Ces derniers avaient exigé qu’il soit retiré se ladite Charte de Transition la possibilité pour le vice-président de remplacer le Président de la Transition en cas de vacance du pouvoir, ce qui n’a pas été le cas à ce jour. En plus, la Cedeao a exigé que le rôle du vice-président soit limité à la charge de gérer la défense et la sécurité. Sur ce point également, le Cnsp ne lâche pas du lest, pas plus qu’il ne consent à rendre publique la mouture finale et officielle de la Charte de la Transition. Il faut donc s’attendre à des clarifications à ce niveau.
Troisième homme à qui a été confiée la mission de gérer la Transition, c’est Moctar Ouane, nommé Premier ministre ce dimanche, 27 septembre. Lorsque ce Président, qui dit n’aspirer à rien d’autre qu’à redresser le pays en dix-huit mois pour avoir le bonheur de transmettre le relais à un président et à des institutions bien élus au finish, nomme un Premier ministre de la carrure de Ouane, seulement 48 heures après sa prestation de serment, on ne peut que souhaiter au trio au sommet de l’État de commencer à caracoler, en mettant vite en place un gouvernement responsable. Moctar Ouane est un diplomate pétri d’expériences et à qui on ne connaît pas de travers susceptibles de le handicaper dans sa nouvelle mission de chef de gouvernement transitoire. Né en 1955, il fit de brillantes études. Ouane a été conseiller technique auprès du secrétaire général de 1982 à 1986, conseiller diplomatique du Premier ministre (1986-1988), chef de cabinet du Secrétaire général de la présidence (1988-1990), conseiller diplomatique du président Moussa Traoré de 1990 à 1991 durant la Transition sous Amadou Toumani Touré de 1991 à 1992. Puis, il sera conseiller diplomatique du Premier ministre en 1992. De 1994 à 1995, il sera conseiller politique du ministre des Affaires étrangères, avant de devenir représentant permanent du Mali auprès de l’Organisation des Nations-Unies jusqu’au 27 septembre 2002. Pendant ce temps, il sera président du Conseil de sécurité des Nations-Unies en septembre 2000 et décembre 2001. De 2003 à 2004, il sera ambassadeur dirigeant de la coopération internationale, puis ministre des Affaires étrangères. C’est après avoir quitté cette fonction en 2011 qu’il est devenu conseiller diplomatique à l’Union Economique et Monétaire Ouest-africaine en janvier 2014.
Voilà le trio en marche. Cependant, les Maliens ne sont pas totalement rassurés. En dépit de la forte personnalité du Président et de l’aura protégée du Premier ministre choisi en la personne de Moctar Ouane, diplomate chevronné et d’une carrure intellectuelle qui enchante, il demeure des inquiétudes quant aux agissements précédents des colonels du Cnsp. Ceux-ci donnent à comprendre sans ambiguïté qu’ils entendent maintenir la haute main sur tout le fonctionnement de l’État, les autres devant se contenter de jouer à la cinquième roue de la charrette.
Ce ne sont pas là de simples soupçons, mais des velléités pistables depuis le 18 août dernier. La dernière d’entre elles est la nomination par le Colonel Assimi Goïta, patron de la junte, le jeudi 24 septembre, du chef d’état-major particulier du Président, à la veille de la prestation de serment du président et du vice-président. Ce geste est apparu à beaucoup comme un empiètement inadmissible sur les prérogatives du nouveau chef de l’État. Qu’à cela ne tienne, Goïta et ses camarades donnent aussi à comprendre que ce sont eux qui tiennent fermement les rênes de l’État et que, cela n’est pas avouable, qu’ils continueront à agir selon leurs caprices. Ils ont en tout cas leur plan qu’il est difficile, voire impossible, de pénétrer. Si tant est qu’ils ont effectivement une volonté cachée, le nouveau Premier ministre risque d’être en leurs mains une marionnette. Celui-ci a été nommé quand le Cnsp avait jeté sur des sentiers broussailleux les gars du M5-RFP qui dansaient, à la grande surprise de tous, la sarabande des CV.
Force est en tout cas de constater aujourd’hui que par touches successives, les stratèges du Cnsp ont réussi à anesthésier l’ensemble de la classe politique. Certains parlent même d’hypnose dont ne pourront se relever les politiciens professionnels avant dix-huit. Le Cnsp n’a pas l’air de vouloir disparaître et la Charte de la Transition semble aimer se prêter à des habillages insoupçonnés. Reste à prier que le pays ne renoue avec les démoniaques pratiques du règne d’IBK. Le coup d’État qui a emporté celui-ci le 18 août n’a en tout cas pas encore livré tous ses secrets.
Amadou N’Fa Diallo