Le chef de la junte au pouvoir a été poussé vers la sortie par un autre groupe de militaires, lors de deux journées marquées par des manifestations anti-françaises.
Deuxième coup d’État militaire en moins d’un an au Burkina Faso. Le pays d’Afrique de l’Ouest connaît une importante dégradation de sa situation sécuritaire depuis plusieurs années. La recrudescence de la menace terroriste joue un rôle dans cette instabilité politique, mais aussi dans le sentiment anti-français que connaît le pays depuis plusieurs années.
• Que s’est-il passé ce week-end au Burkina Faso?
Des soldats ont annoncé vendredi soir avoir démis de ses fonctions le chef de la junte, Paul-Henri Sandaogo Damiba, pour le remplacer par un jeune capitaine de 34 ans, Ibrahim Traoré.
Invoquant la “dégradation continue de la situation sécuritaire” dans le pays, les militaires ont annoncé la fermeture des frontières, la suspension de la Constitution et la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée législative de transition. Un couvre-feu a également été mis en place de 21h à 5h.
Paul-Henri Sandaogo Damiba a dans un premier temps refusé d’abdiquer. La situation était tendue vendredi et samedi, avec des tirs dans le quartier de la présidence à Ouagadougou notamment. Damiba a finalement accepté de démissionner dimanche, avant de partir se réfugier au Togo.
• Pourquoi la France est-elle prise à partie?
Ce week-end a été marqué par des manifestations contre Damiba, mais aussi contre des institutions françaises. Des rumeurs ont circulé sur les réseaux sociaux, selon lesquelles la France avait accordé une protection au chef déchu, notamment en l’accueillant dans son ambassade. Ces affirmations ont été formellement démenties par le ministère français des Affaires étrangères et Damiba lui-même.
Des manifestants anti-Damiba se sont attaqués à certains bâtiments français, comme l’Institut français à Ouagadougou. La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a dénoncé dimanche sur RFI des “violences” et des “tentatives d’intrusion” commises à l’encontre de l’ambassade de France.
La France a renforcé son soutien militaire au Burkina Faso en 2018, à la demande du pays. La task force Sabre, une unité des forces spéciales françaises, est d’ailleurs stationnée à Ouagadougou, la capitale du pays.
Cette coopération militaire n’empêche pas le sentiment anti-français de prospérer dans le pays. Ce sentiment n’est d’ailleurs pas récent: un rapport d’information du Sénat le mentionnait déjà en 2019. Il n’est pas non plus spécifique au Burkina Faso. Le Mali, pays voisin, a également connu plusieurs manifestations anti-françaises ces dernières années, dans un contexte sécuritaire dégradé.
• Quels sont les liens entre le Burkina Faso et la Russie?
Les manifestants ont scandé des slogans anti-français et brandi des drapeaux russes, réclamant une coopération militaire avec le pays. Cette envie de rapprochement s’explique de plusieurs façons. Un rapport du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS), rattaché au ministère des Affaires étrangères, et de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), notait déjà en 2018 une propagation croissante de contenus russes sur le web africain.
Il expliquait notamment cette influence informationnelle russe par la “grande popularité des discours anti-occidentaux propagés par les grands médias internationaux russes (RT et Sputnik)”.
Ces discours parlent aux “opinions publiques africaines qui considèrent souvent la Russie sous le prisme de son passé soviétique anti-colonial”.
De fait, le rapport estimait que plusieurs signaux indiquaient que “l’Afrique pourrait être le prochain terrain de jeu de la ‘guerre informationnelle’ russe”.
Si certains burkinabés réclament un rapprochement avec la Russie, c’est aussi parce qu’il a déjà eu lieu dans le pays voisin. Le Mali a fait appel au groupe paramilitaire russe Wagner pour lutter contre les djihadistes, malgré des accusations d’exactions sur des civils.
Le gouvernement malien cherche à nouer d’autres partenariats militaires puisque, “malgré le déploiement des forces onusiennes, françaises et africaines, les violences parties du nord en 2012 se sont propagées progressivement au centre du pays puis aux pays voisins (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Niger)”, explique la Fondation Jean Jaurès dans une publication de février.
“La France paye donc son ‘manque de résultats’ dans une opération militaire qui dure et dont les civils tardent à en percevoir les effets”, estime le centre réflexion.
• Comment expliquer cette instabilité politique?
Comme le sentiment anti-français, l’instabilité politique est notamment lié à l’insécurité dans le pays. Le pays est frappé depuis 2015 par des attaques de groupes terroristes djihadistes et l’année 2021 a été marquée par une “nette détérioration” de la situation sécuritaire au Burkina Faso, selon l’ONG Human Rights Watch.
Ces attaques de groupes armés alliés à Al-Qaïda et à l’État islamique dans le Grand Sahara ont fait plus de 350 morts parmi les civils en 2021, selon Human Rights Watch. L’ONG souligne que les attaques et la présence des groupes terroristes se sont également étendues géographiquement.
Le lieutenant-colonel Damiba était lui-même arrivé au pouvoir le 24 janvier par un coup d’État ayant renversé le président Roch Marc Christian Kaboré, accusé d’inefficacité dans la lutte contre les violences jihadistes. Damiba avait pris des engagements vis-à-vis de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) sur l’organisation d’élections et un retour des civils au pouvoir d’ici juillet 2024.
Cette fois encore, le nouveau chef de la junte a promis d’endiguer “la dégradation continue de la situation sécuritaire”. Il a également déclaré vouloir respecter les engagements de son prédécesseur envers la Cédéao. Une délégation de l’organisation devait d’ailleurs se rendre au Burkina Faso ce lundi, mais la visite a été reportée à mardi pour des “raisons logistiques”, selon la Cédéao.