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«Timbuktu», un film devenu symbole

Avec Timbuktu qui sort ce mercredi 10 décembre sur les écrans, Abderrahmane Sissako nous replonge dans la terreur de l’occupation jihadiste de Tombouctou. Mais ce qu’il raconte va bien au-delà. Le réalisateur mauritanien, consacré par une journée spéciale sur RFI, pose dans son œuvre l’universelle question des valeurs dans le monde d’aujourd’hui.

 timbuktu tombouctou film Abderrahmane Sissako« Timbuktu est devenu un film emblématique,remarque Dora Bouchoucha, directrice des Journées cinématographiques de Carthage. Vu la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, le monde arabe et toute la région, ce film prend un autre sens. » Depuis le Festival de Cannes en mai, on s’arrache Timbuktu pour les avant-premières, des JCC en Tunisie en passant par le Festival Afrikamera à Berlin jusqu’au Festival Nouakshort Film dans la capitale mauritanienne. Gérard Vaugeois, programmateur du Maghreb des films à Paris n’hésite pas à parler d’ « un chef d’œuvre d’une beauté plastique absolue qui crée un choc, un contrepoint avec la violence qui, d’un seul coup, surgit dans le récit. C’est un film droit, direct, qui touche là où il faut toucher ».

Une gazelle au galop

Timbuktu, ça commence avec une gazelle au galop, prise en chasse par des jihadistes avec un pick-up. Et cela finit mal à cause d’une vache qui s’est pris les pieds dans un filet de pêche. Chez Abderrahmane Sissako tout part d’un rythme naturel : les pas d’un homme dans le sable, la vie d’une famille dans les dunes, le jeune garçon courant après un troupeau de bétail, la jeune fille qui trait les chèvres, la pirogue qui traverse la rivière…

Avec sa caméra, Sissako ouvre l’espace. Il scrute les formes et les couleurs éternelles de ce pays, les maisons ocre, les visages balayés depuis toujours par le sable et le vent. Son cadre est comme une fenêtre basse près du sol à travers laquelle on regarde son histoire. Il montre le fleuve, le désert, les rues de Tombouctou comme des univers reliés à notre monde par des voies mystérieuses. Il nous impose des images qui entrainent la lenteur, la profondeur… et la réflexion.

Timbuktu pose la question de l’islam

Tourné dans le plus grand secret près de la frontière malienne, dans une zone rouge dans l’extrême est de la Mauritanie, Timbuktu nous raconte deux histoires entrecroisées : celle bien connue et redoutée des jihadistes venus d’ailleurs qui occupent la ville de Tombouctou en 2012. Des extrémistes religieux qui tirent sur des sculptures et assassinent une culture millénaire. Ils ne parlent pas la langue des habitants, mais infligent avec leurs kalachnikovs à la population leur cruelle interprétation de la charia : obligation pour les femmes de se voiler, 40 coups de fouet pour avoir chanté ou joué au foot, des mariages forcés et la lapidation des amoureux non mariés…

L’autre histoire nous fait vivre la vie de Kidane, un éleveur qui mène avec sa femme et sa fille une vie simple et heureuse au milieu des dunes. Cette existence paisible s’arrête brusquement quand celui-ci décide que l’humiliation ne peut plus durer. Il tue accidentellement Amadou le pêcheur pour venger la mort de sa vache préférée. Quelle justice possible après la mort d’un homme ?

Des images d’un calme absolu

Pour contrer l’obscurantisme, Abderrahmane Sissako ne met pas les gyrophares, mais allume les phares. En filigrane, il pose la question de la vache sacrée et des limites qu’on se pose et tolère comme individu et en tant que société. Il y a la vendeuse de poissons qui refuse de porter des gants, la comédie des jeunes qui vivent leur passion pour le foot sans le ballon, la chanteuse qui continue à chanter sous les coups de fouet, mais aussi le jihadiste qui se cache pour fumer ou danser. Timbuktu navigue entre le Bien et le Mal, entre les langues et les cultures, entre la ville et le désert, entre les hommes et les femmes, entre la justice et la charia, entre l’islam et le jihad, entre l’éternel et l’éphémère… Un récit tragique et complexe, rythmé par des images d’un calme absolu. A la fin, la société a bien volé en éclats.

 

Par Siegfried Forster / rfi.fr

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