Il connaissait Ghislaine depuis 22 ans. Quand ils se sont rencontrés, elle venait d’entrer à RFI, lui était enquêteur pour Amnesty International. Ils se sont croisés maintes fois sur le continent. Le Malien Tiébilé Dramé nous raconte son souvenir de Ghislaine Dupont.
Vous connaissiez Ghislaine Dupont depuis longtemps. Quel est votre premier souvenir ?
Tiebilé Dramé : J’ai le souvenir d’une grande amie, d’une sincérité déconcertante. Nous nous connaissons depuis 1990. Elle venait d’entrer à RFI et moi, j’étais déjà enquêteur sur les droits de l’homme pour Amnesty International, à Londres. Nous avions alors des contacts très suivis, entre Amnesty et Radio France internationale à une période où les droits de l’homme étaient bafoués sur le continent africain. Par la suite, nous avons gardé contact.
C’est une personne d’une très grande sincérité, exigeante en amitié. Elle vous dit toujours ce qu’elle pense, que cela vous plaise ou non. J’ai toujours été frappé par la passion avec laquelle elle faisait son travail. C’était une grande professionnelle, qui fouinait, qui posait des questions, qui vous poussait jusque dans vos derniers retranchements. Elle recherchait la vérité et les faits. Elle bravait les dangers et prenait parfois des risques inouïs.
C’est ce qui l’a amenée à Kidal, en juillet de l’année dernière. Elle y a vécu dans des conditions très difficiles, pour pouvoir informer les auditeurs de RFI sur la réalité de cette ville, au lendemain des accords de Ouagadougou, peu avant l’élection présidentielle au Mali.
Elle était revenue il y a quelques jours. La situation s’est largement dégradée, à Kidal. Cela n’a rien à voir avec ce que l’on observait aux mois de juin et juillet derniers. Elle voulait faire son travail, y aller, témoigner, parler de ce qui se passe dans cette partie essentielle du Mali.
Malheureusement, les barbares et les lâches l’ont enlevée et assassinée. C’est terrible, pour quelqu’un qui aimait le Mali, qui aimait l’Afrique : elle sera venue au Mali pour y mourir de sa passion pour son travail et pour ce continent. C’est un jour terrible pour l’Afrique et pour les Maliens.
Ce qui s’est passé vous inquiète-t-il pour le Mali ?
C’est inquiétant car Ghislaine Dupont et Claude Verlon ne méritaient pas ça. Aucun être humain ne mérite ça. Ceux qui aiment ce pays ne méritent pas cela. C’est inquiétant de manière générale car cela dénote d’une dégradation de la situation. Malheureusement, tous ceux qui laissaient croire que nous étions dans une phase de normalisation, constatent que c’est le contraire. Il y a une détérioration de la situation à Kidal. Il y a une instabilité, une insécurité croissante à Kidal. Cela renforce les militants jihadistes de tous bords, de tous les partis. C’est extrêmement dangereux.
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Il faut rapidement en prendre conscience et revenir à l’accord de Ouagadougou : il crée les conditions de l’exercice de la souveraineté du Mali sur l’ensemble de son territoire, y compris à Kidal. L’accord de Ouagadougou, c’est le retour de l’Etat malien, le désarmement des groupes jihadistes, le retour de l’armée malienne. C’est donc tout le contraire de ce que nous avons aujourd’hui à Kidal. Il est urgent de revenir à ces fondamentaux.
Si cet accord avait était respecté en son temps, je crois que nous n’aurions pas cette situation. Nous n’aurions pas cette espèce de foire d’empoigne à Kidal où les combattants de tous bords, de toutes obédiences, se promènent en armes et peuvent, en plein jour, enlever des journalistes venus faire leur travail. L’assassinat de Gigi et de Claude Verlon interpelle fortement tous les acteurs internationaux.
C’est un jour terrible pour les Africains, pour les Maliens. Le meilleur hommage que nous pouvons tous ensemble, Français et Maliens, rendre à Ghislaine Dupont et Claude Verlon, c’est d’enrayer au plus tôt cette situation. Ainsi qu’à tous ceux, Français et Maliens, qui ont versé leur sang pour la liberté du Mali.
Source : RFI