Les radios internationales et locales ont ainsi donné la triste nouvelle que j’ai écoutée de mon domicile à 25 km de mon service, l’Amap, au quartier du Fleuve. Du bureau, je me suis rendu au domicile de ATT où j’ai trouvé anciens collaborateurs, parents, officiels, diplomates, journalistes, etc., manifestant leur tristesse et présentant des condoléances.
Là, j’ai rencontré le directeur du journal, “Aujourd’hui-Mali» Alou Badra Haïdara (ABH) qui m’a salué avant de me proposer de faire un témoignage sur l’Homme en tant que proche. J’ai accepté.
Je n’ai pas voulu en cette pareille circonstance faire un témoignage sur ATT après sa mort. Je voulais plutôt écrire sur les actions de développement faites par mon cousin qui m’a personnellement honoré dans ma vie et le peuple malien également, par son intelligence ayant conduit à de nombreuses infrastructures et autres actions qui ont changé la vie des communautés.
Mais hélas, j’ai pris la décision d’écrire sur ATT et de faire certaines révélations et vous évoquer sa démarche personnelle ayant conduit à des succès.
Je voudrai tout d’abord présenter mes condoléances à la famille de l’illustre disparu, à ses parents, ses collaborateurs, ses amis et ses sympathisants. Et prions tous pour le repos éternel de son âme.
J’ai connu ATT en 1992 après les évènements, alors que j’étais journaliste aux Echos et vice-président de l’Association des jeunes pour la démocratie et le progrès (Ajdp) que j’ai représenté avec Moussa Keïta, le président de l’Association à la Coordination des associations et organisations du Mouvement démocratique, à sa tête le secrétaire général de l’Untm, Feu Bakary Karembé. J’ai été également l’un des premiers journalistes maliens à interviewer ATT à sa prise du pouvoir de Transition avec Feu Aboubacar Saliph Diarra, frère de Sy Solo.
Notre aventure commune a commencé en 1999 à la Fondation Pour l’Enfance et a continué à la Présidence de la République de 2002 à 2012.
Je dois dire d’emblée quatre choses : ATT était un homme de parole, il tenait promesse, ATT était un patriote, ATT était un rassembleur, un conciliateur et ATT était un homme de grande rigueur, contrairement à ses rigolades et sa plaisanterie.
Une fois, comme ATT aimait s’amuser avec moi, distraire les autres, je lui ai dit : “Président, la plaisanterie affaiblit l’Etat car le citoyen ordinaire ne comprend pas et les opposants qui tirent sur toi à tout bout de champs sont fréquents au Palais la nuit et tu les entretiens”. Il m’a répondu en ces termes, en présence de Feu sacré Issa Doumbia, un de nos compagnons de lutte : “Petit, tu n’as rien compris. Nous vivons dans un pays difficile à gérer avec beaucoup de susceptibilité. Les intellectuels, les politiques et les citoyens ordinaires, il est vrai se font l’appropriation du pouvoir, de la nation, mais ne comprennent pas souvent les réalités ou font exprès de ne pas comprendre. Donc, il faut une pédagogie et un consensus sur l’essentiel”.
Il aimait souvent revenir à la charge pour rappeler qu’il est obligatoire pour chacun et pour tous de travailler avec détermination pour le pays qui nous a tout donné. Il lui arrivait de sortir de sa réserve. Lors d’une cérémonie de présentation de vœux en 2011 du personnel au Palais, ATT a fait une sortie pour recadrer ses collaborateurs en disant : “Je vous félicite pour vos efforts au quotidien. Mais sachez qu’ici n’est pas un lieu d’enrichissement. Vous servez la nation et dire un jour j’étais à Koulouba et j’ai servi le pays. Celui qui veut s’enrichir doit aller faire autre chose ailleurs et si je surprends quelqu’un dans un trafic d’influence, je vais abroger son décret.”
Le Général savait également mettre ses collaborateurs à l’aise en organisant des réunions élargies sur les questions de gouvernance, de sécurité et de développement, entre autres, pour comprendre les perceptions et trouver des approches adaptées.
ATT avait un esprit de rassembleur et de conciliation, un homme qui n’était pas rancunier. Une fois, devant son bureau, j’étais avec lui, le Secrétaire général, Django Cissoko et Feu Mbouillé Siby, membre influent du Bureau exécutif central de l’Udpm. ATT s’est exprimé en ces termes : “Django, est ce que tu connais Kader ?” Django dit : “Oui, c’est un de mes éléments.” ATT dit : “Non, il ne s’agit pas de cela. Kader fait partie des fous de la Démocratie. Et voilà que nous nous retrouvons tous et travailler pour notre pays et c’est ça le Mali”, a-t-il déclaré.
Sa simplicité et son commerce facile l’ont aidé à gérer le pouvoir, avoir des résultats avant que les choses ne se compliquent pour lui le 22 mars 2012 avec le coup d’Etat.
Une fois après la présentation des vœux, les balayeurs du Palais sont venus me voir pour me dire d’arranger une prise de photo entre ATT et eux. Je leur ai dit, placez-vous, il va venir. Ils n’ont pas cru. Je suis allé voir le président pour lui dire que les balayeurs voulaient une prise de photo. Il m’a répondu : “Allons-y, ce sont nos collaborateurs ; s’ils font deux jours sans balayer, tu verras l’état du palais avec ces caïlcédrats”. Il est venu, a salué l’ensemble des balayeurs, un à un avant de prendre la photo et à la fin il les a encouragés.
ATT avait un autre atout qu’est le pragmatisme. Il exécute ce qu’il murit dans sa tête avec les moyens, les ressources, les voies tout en calculant l’échec. Il a réussi la réalisation de nombreuses infrastructures à l’étonnement de tous. On ne comprenait pas, cependant il parvenait à convaincre les partenaires et à atteindre ses résultats. C’est pour cela qu’on lui collait plusieurs sobriquets qu’il ne connaissait pas au départ, mais a fini par nous les rappeler notamment : “magicien, Madou Ouolo pour sa malice et Zankè entre autres”.
Il a réussi, on ne sait comment à convaincre les Américains à travers le Millenium Challenge Account sur la réalisation du périmètre rizicole, des villages modernes et des titres agricoles fonciers à Alatona, dans la région de Ségou, le terminal de l’Aéroport et le prolongement de la piste d’atterrissage.
Il a réussi également à convaincre l’Union européenne à débourser près de 500 milliards Fcfa pour des actions de développement lors de la rencontre UE- Afrique, tenue à Lisbonne au Portugal en 2007.
Ce n’est pas tout, en 2010 nous avons pris le chemin de la Chine pour prendre part à l’exposition universelle. Nous avons en marge de cet évènement rencontré le président Hu Jin Tao, les membres de son gouvernement qui nous ont fait l’honneur de financer, dans le cadre de la coopération, le 3ème pont de Bamako, l’Hôpital du Mali, l’Hôpital régional de Sikasso, les maisons de la femme et de l’enfant à Bamako et dans les régions, ainsi que l’Université de Bamako à Kabala.
ATT évoquait régulièrement l’AMO qui, pour lui, va contribuer à améliorer les conditions de vie de nos concitoyens. Pour le Général, le Vérificateur général qu’il a importé du Canada va améliorer les finances publiques et il aimait aussi évoquer la Loi de programmation militaire, tout comme il était tout heureux de voir qu’il a acheté deux hélicos sur nos ressources propres et 3 migs17. Quand on est arrivé à Gao pour l’inauguration du pont Wabaria, un mig a craché. ATT était tellement devenu nerveux. Il a dit : “Mais ça c’est quoi ! L’avion est tombé, au lieu de l’acheminer au camp, vous le laissez comme ça au su et au vu de tout le monde. Je retourne le trouver ici, vous allez comprendre. Et au retour, effectivement, l’avion a disparu des radars.
L’homme était tranchant. En 2010, il a mis en place une commission pour organiser les festivités du cinquantenaire de notre pays. A sa tête, le Professeur Oumar Hamadoun Dicko. La commission a abattu un travail énorme, mais ATT s’es emporté avec la présentation de la Tour au bord du Fleuve Djoliba estimée à 4 milliards Fcfa. Il a dit : “On laisse tomber l’histoire de monument ou de tour. Je croyais qu’on allait faire quelque chose de symbolique, mais imaginez vous-mêmes avec 4 milliards on peut construire combien de centres de santé, d’écoles et autres. Donc, j’ai décidé qu’on arrête cette activité”. Et c’était la fin de l’activité.
La réussite de ses œuvres dépendait également de son suivi personnel. On le voit là où on ne l’attend pas et à un moment où on ne l’imagine pas. Il faisait ses propres descentes avec sa garde rapprochée.
Le Général ATT prêtait une oreille attentive aux préoccupations de ses concitoyens. Une fois après un travail de fourmi à l’Ortm pour finaliser le documentaire sur le centenaire du Palis avec couper-coller, je suis venu voir le président en disant : “Monsieur le Président, il y a du matériel de travail à hauteur de souhait à Bozola”. Il m’a dit : “J’ai compris, tu peux dire à tes amis qu’ils seront dotés de matériels ultramodernes”.
C’est ainsi qu’il a acheté pour l’Ortm des caméras numériques de dernière génération, des bans de montage, des cars de retransmission en directe et un important lot de matériels de sonorisation.
Une fois encore, venant de Ségou, je suis venu lui faire le compte rendu d’une mission qu’il m’avait confiée. Il dit : “Alors Kader Maïga, qu’est-ce que tu nous apportes de Ségou ?”. J’ai répondu en disant : “Monsieur le Président, vous avez les salutations de vos amis de votre époque”. Il m’a dit : “Je comprends. Il s’agit du Super Biton. Qu’est ce qu’ils ont dit.”.
J’ai répondu : “Vos amis n’ont pas de matériels pour jouer. Dissa alias Cubain, sur recommandation de Boubacar Salia Daou, est venu me voir pour évoquer le sujet en me demandant de vous transmettre leur requête”. ATT dit : “Ok, ils auront une réponse satisfaisante”. Il a ainsi acheté deux orchestres pour le Biton et une formation de Jeunesse et en partant pour ses vacances dans le bateau à Tombouctou, il s’est arrêté pour faire la remise des lots de matériels d’orchestre à Ségou.
ATT savait également négocier et avait des compétences ou des connexions pouvant l’aider dans la discrétion. A la libération de 160 de nos militaires par le groupe de Iyad Ag Ali, ATT m’a chargé de conduire une équipe de journalistes à Gao avec le chef d’état-major général, Général Poudiougou. La question a été gérée sans fuite jusqu’à la cérémonie, à Gao, en sa présence.
ATT écoutait les intellectuels et aimait les occuper pour faire bouger les choses. Tels ont été les cas de Daba Diawara pour les réformes institutionnelles et de mon ami le Professeur Feu Bakary Kamian pour l’organisation du Centenaire du Palais, en 2006.
ATT a regretté un projet qu’il n’a pu réaliser et qui pourtant était avancé en termes d’études et d’engagement du partenaire de Strasbourg en France. Il s’agit du Tramways et il aimait dire : “Nous allons développer notre Capitale” et c’est pour cela qu’il s’est investi personnellement pour construire la route qui passe par le Dabanani.
Le Président a été affecté par les tueries de nos soldats à Aguelhok au mois de janvier 2012. Le lendemain, très tôt, il m’a appelé sur mon portable et m’a dit : “Kader, viens me voir à mon bureau”. La sécurité, malgré qu’elle ait été informée, était étonnée et les éléments n’avaient pas l’information du massacre. Ils m’ont dit : “Kader, qu’est ce ne va pas ?” et je leur ai répondu : “Je ne sais”.
Je suis arrivé dans le bureau du Président où il était seul et il m’a dit : “Assoies-toi”. Je l’ai regardé, il m’a dit de nouveau : “Assoies-toi sur ma chaise, il n’y a pas de problème”. Ainsi, je me suis assis. Il m’a dit : “Mets l’ordinateur en marche et mets la clé” qu’il avait dans une lettre envoyée par le Général Gamou.
Quand j’ai mis la clé, je voyais des images d’une atrocité indescriptible. Je n’ai pas pu retenir mes larmes. “Regardes, ce que ces chiens nous ont fait avec des complicités. Donc, tu vas tirer ces photos sur ton imprimante en couleurs, tu feras des lots et je vais recevoir des ambassadeurs d’un certain nombre de pays pour leur remettre ces images et nous allons rapidement saisir les Nations Unies pour ces crimes”, m’a-t-il dit. J’ai exécuté ses ordres et effectivement, dans la journée, il a reçu en audience des ambassadeurs de pays que je ne citerai pas, avant de saisir les Nations Unies.
ATT a également été affecté par le coup d’Etat de 2012. Il a senti le coup venir. Et mercredi, la veille du coup, nous avons été reçus par le Président dans son bureau, vers 17H. A sa devanture, il ya avait un certain nombre d’officiers supérieurs et de ses collaborateurs. Il nous a reçus. Son grand boubou jaunâtre était étalé sur la grande banquette et il portait le petit boubou. Il était à l’aise, comme si de rien n’était. Il a dit ceci : “Kader, j’ai envoyé des officiers rencontrer les mutins. Moi-même je ne sais pas ce qu’ils veulent. En tous cas, moi ATT, je ne vais pas tirer sur un soldat malien. J’ai un front ouvert au Nord que nous gérons difficilement”.
ATT, effectivement, n’a pas agi et avec la disproportion des forces, le Palais est tombé. Et nous n’avons pas pu nous échapper. Les militaires tiraient de partout avec des balles et obus, détruisant tout le Palais. Nous avons été pris en otage et fort heureusement, après de dures négociations, les militaires n’ont ont libérés.
L’autre chose qui a affecté ATT est le règlement de comptes entre militaires avec une série de tueries par la junte de l’époque. Quand je suis allé chez ATT à Dakar, au mois d’avril 2017, il m’a dit : “Kader, regarde, quel gâchis que ce coup nous fait avec des règlements inutiles, alors que notre pays pouvait se passer de tout cela”. Et quand je lui ai remis l’arrêt du procès des Sanogo tenu à Sikasso, fin novembre-début décembre 2016, il n’en revenait pas et a dit : “Comment des gens peuvent être aussi cruels !”.
Je vais m’arrêter là. Le président ATT que Feu Chirac appelait affectueusement Amadou a été, à n’en pas douter, un grand homme d’Etat, un homme de dialogue, un homme de paix qui a œuvré pour l’émergence de notre pays dans tous les domaines. Le soldat de la paix et du développement a modernisé notre système de santé, notre éducation, l’agro pastoral, avec de nouvelles variétés et l’insémination artificielle, etc.
ATT s’en est allé tranquillement pour l’éternité. Cependant, l’homme de combat restera éternellement dans nos cœurs et nos esprits et dans les annales pour les générations futures par ses actions dans toutes les localités du pays.
Certainement que des boulevards, des rues ou encore des infrastructures, tant à Bamako qu’à l’intérieur, porteront un jour son nom pour reconnaissance publique. Dors en paix mon Général !