L’attribution de la 3ème licence de la téléphonie globale par entente directe ne cesse de faire couler beaucoup de salives au Mali. Pour éclairer les lanternes, nous avons approché un spécialiste de la téléphonie, Dr Adama Traoré, président du réseau malien des consommateurs de la téléphonie mobile. Dans cet entretien, il dénonce les conditions dans lesquelles la licence a été attribuée à Planor-Monaco Telecom International du Burkina bé Apollinaire Compaoré.
Prétoire : monsieur le président, l’adjudication de la 3ème licence de la téléphonie globale fait couler beaucoup de salive. Qu’est-ce qui justifie la passation du marché par entente directe ?
Dr Adama Traoré : en réalité, rien ne justifie la passation d’un marché de la 3ème licence par entente directe. Ce qui veut dire de gré à gré. Un marché d’une si grande importance, que ce soit la constitution ou les lois de la République, rien ne permet de passer un marché de 55 milliards par entente directe. C’est absolument illégal, ça contredit tous les textes du Mali. Rien ne peut justifier cette passation de gré à gré, quelque soient les raisons. Les raisons avancées pour justifier cet acte ne tiennent pas débout. Leur justificatif en est que le Mali est dans le besoin, en guerre donc une économie de guerre. Cette situation que le Mali traverse est devenue un fond de commerce pour certains. On peut comprendre pour un individu, mais au niveau de l’Etat, c’est très grave. Car, en matière de télécommunication, passé un marché avec une si grande légèreté, à la limite frôle le crime. Rien ne peut justifier cette passation de marché par entente directe. Ni la forme, ni le fond.
Est-ce que le domaine de la télécommunication peut-il faire l’objet d’une entente directe sans que les règles du code des marchés publics ne soient violées ? et sans que les autorités de la transition ne s’exposent à une poursuite sur la base de délit de favoritisme ?
Dans le domaine des télécommunications, le Mali reste un des rares pays à ne pas prendre le secteur à bras le corps. Alors qu’il doit être un des secteurs pilotes de l’économie nationale. Je me réfère à une déclaration du Président Chinois Mao je cite : « tout pays qui ne maîtrise pas le secteur de ses télécommunications ne maîtrise rien ». C’est pour dire qu’il ne maîtrise pas son économie et ne maîtrise pas à la limite sa politique. Le Président Burkina bé, l’ex Haute volta, Thoma Sankara, disait à l’occasion d’une visite de François Mitterrand pour la présentation des télécommunications, qu’il préfère perdre une partie de son armée au cours d’une bataille que de perdre la moindre parcelle d’autorité sur son secteur de télécommunication. Car pour lui la télécommunication est plus qu’une armée. Lors de l’Africa 1998 dont prenait part le Président Alpha, Nelson Mandela a aussi rappelé les chefs africains de ne jamais perdre le contrôle de leur télécommunication. Mais le Mali semble ignorer cette exigence. Les autorités maliennes n’ont jamais pris conscience de la portée que constitue la télécommunication. La preuve, le Mali a admis un opérateur téléphonique global ouvrant les télécommunications sans tenir compte que nous avons une société historique qui devait d’abord maîtriser les services de base en l’exposant à un autre opérateur téléphonique. Ce qui est rare en Afrique. Chaque pays a pris le temps de contrôler d’abord ses services de base avant de permettre à d’autres de se signaler. Aujourd’hui, cette passation par entente directe viole les textes. Il y a bien de raisons pour que nous, consommateurs de la téléphonie s’y opposons. Parce qu’il s’agit du Mali. Quant on perd notre contrôle sur les télécommunications, nous perdons tous. Nous avons déjà perdu avec Ikatel. Quant il y a encore une opération qui se pointe à l’horizon pire que celle d’Ikatel, notre devoir, c’est de le dénoncer. Donner une licence globale 100% à un opérateur étranger sans qu’il puisse remplir les conditions d’attribution est décevant.
Comment peut-on passer le marché de la 3ème licence à un membre d’un groupe dont la défaillance a été constatée et sanctionnée par l’annulation de l’adjudication provisoire ?
C’est le fond de ce débat. Au départ, l’adjudication a été accordée à Monaco Télécom. Cette histoire de Cessé Komé, du groupe Planor Apollinaire est compliquée. Nous savons que Monaco Télécom a soumissionné à l’appel d’offre, avec la participation des Maliens, à l’occurrence Komé et le Burkinabé Apollinaire Compaoré. La première adjudication a été faite au compte de Monaco Télécom. Après on a dit qu’on va créer une société de droit malien, Alpha Télécom. Dans les débats, il n’y a pas eu d’entente entre eux. Dans le partage, Cessé Komé avait 40% et le Groupe Planor se partageait 60% avec Monaco Télécom. Le groupe Komé a découvert que Monaco télécom qui n’est pas opérateur mais un équipementier s’est contenté de 5% et 55% revient au groupe Planor au Burkina. Ce qui contredit les règles qui ont été dénoncé par le groupe Komé au sein de leur organisation. Pour lui, si Monaco ne pouvait pas prendre les 25% devait lui consulter. Il ne devait pas céder 55% à Palnor alors que Komé n’a pas dit qu’il est incapable d’en ajouter à ses 40%. Cet appel d’offre est unique dans l’histoire. La règle d’un appel d’offre veut qu’il ait une commission chargée de dépouillement qui doit examiner l’aspect technique et financier. Avant l’adjudication, on doit s’assurer que les candidats ont les qualités technique et financier à réaliser l’opération. Ce n’est pas la peine que le candidat annonce un chiffre dont il ne dispose pas. L’attributaire devait disposer des 55 milliards et la semaine qui suit l’adjudication, ces fonds devaient être disponibles dans le Trésor public malien. Dès les premières heures, il y a eu une fausse note. Ils ont annoncé des chiffres qu’ils ne disposaient pas. Il y a des banques de la place qui ont pris une part pour acheter la licence. Au lieu de payer tout à temps, ils ont proposé des délais de paiement. Il y a eu escroquerie dès le départ. C’est comme ci le Mali vient de donner à crédit notre licence. Vers la fin, l’Etat s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas. Il a ainsi annulé l’appel d’offre. Quand l’appel d’offre est annulé, on revient à la case de départ. En principe, on devrait ramener l’appel d’offre au marché public pour que d’autres Maliens puissent s’impliquer. Mais, ils ont éliminé un autre, de surcroit un Malien pour aller prendre un autre du même groupe pour aller en entente directe. C’est de l’illégalité totale.
L’exclusion d’un investisseur Malien au profit d’un étranger n’est-t-il pas constitutif du délit de discrimination ?
Légalement, on ne peut pas disqualifier un des éléments et laisser l’autre. Si on les disqualifie, qu’ils soient tous disqualifié et qu’on redonne la chance à chacun de venir encore s’exprimer à travers des offres. Cela aurait été honnête. On l’aurait fait même s’il n’était pas Malien. Surtout que c’est un Malien qui est concerné. Nous avons de raisons pour dire qu’on vient de faire du tort au Mali. Donner 100% la licence à un investisseur étranger alors qu’il y avait un Malien dans la course, c’est un délit, une faute commise vis à vis des Maliens. Car, d’autres Maliens pourraient s’ajouter au groupe Komé pour former un groupe potentiel. En tout cas ce qui est fait n’est pas légal. Cette décision doit être attaquée ou à la limite annulée.
Propos recueillis par Oumar KONATE