Ministre de la Défense et des anciens combattants d’alors, Soumeylou Boubèye Maïga pourra-t-il sauver sa tête, lui qui se retrouve en plein coeur de ces deux scandales financiers ? En tout cas, s’il doit tomber, il ne le fera pas seul puisque ses aveux consignés par le rapport du Végal, notamment comme annexe N° 22 relatant une entrevue, ont permis de comprendre le rôle joué par chacun des acteurs incriminés. En effet, en relatant les processus d’acquisition de l’avion présidentiel et du marché attribué par entente directe à Sidi Kagnassy, Soumeylou a fait jusque dans les détails, dénonçant tout le monde au passage.
En relisant attentivement le rapport du Végal relatif à ces deux scandales financiers, crayon à la main, nous sommes stupéfaits par les déclarations de Soumeylou Boubèye Maïga, lorsque le Bureau du vérificateur général l’a rencontré pour une entrevue, d’abord au mois de juin 2014, ensuite deux mois plus tard. Ces entrevues, par leur contenu, divorcent d’avec les positions défendues par Soumeylou Boubèye Maïga lorsqu’il réagissait au rapport du Végal en application du principe du contradictoire. En effet, Soumeylou Boubèye Maïga est allé jusqu’à remettre en cause la légalité du rapport du Végal au nom du principe du secret-défense et répondait
aux faits à lui reprochés par un ton va-t-en-guerre. Mais qu’est-ce qui a dû se passer pour qu’il devienne si coopératif avec le Végal, au point de lui confier des informations aux allures d’aveux, mais aussi de dénonciations de complices ? On sait bien qu’il n’était plus ministre. S’est-il senti alors lâché et sacrifié et a voulu ainsi rappeler tout le monde à l’ordre ? Jugez-en vous-mêmes par ses déclarations, telles que consignées par le Végal.
La première entrevue a eu lieu le 23 juin 2014 au bureau de Soumeylou Boubèye Maïga (qui n’était plus ministre), de 16H 15 à 18H 20mn. Cette rencontre devait permettre de comprendre son rôle dans l’achat d’un aéronef et dans la signature du protocole d’accord relatif à la fourniture de matériels Hcca, de véhicules et de pièces de rechange aux forces armées maliennes.
Après les salutations d’usage, le Vérificateur Général, M. Amadou Ousmane Touré, a brièvement rappelé le contexte de la mission et présenté l’équipe de vérification. Ce fut ensuite le tour de M. Maïga de prendre la parole. Dans son message introductif, il s’est dit prêt à répondre à toutes les questions de l’équipe de vérification, avant de rappeler le contexte général dans lequel se trouvait l’Armée au moment des faits.
L’acquisition de l’aéronef a été le premier sujet abordé. Selon Soumeylou Boubèye Maïga (SBM), le Gouvernement a souhaité un avion de commandement parce que les déplacements fréquents du Président de la République étaient assurés à travers des locations d’avion et qui engendraient des coûts assez importants pour l’Etat malien. Toujours
selon lui, dans l’analyse du Gouvernement, l’acquisition d’un avion par emprunt remboursable sur une période de cinq ans est beaucoup plus rentable que la location d’un aéronef. Et c’est à partir de cet instant que SBM va tout expliquer avec des détails pointus, offrant ainsi au Végal une moisson inattendue d’informations très précieuses, comme c’est rapporté dans le rapport produit par le Bureau du Vérificateur général.
« Ainsi, sur l’initiative de l’ancien Premier ministre Oumar Tatam Ly, l’ancien ministre délégué en charge du Budget, en relation avec le ministre délégué en charge des Investissements, ont procédé au montage du dossier d’acquisition de l’avion présidentiel sous l’empire de l’article 8 du Code des marchés publics (Cmp). Aucune expression de besoin n’a été formalisée, toutefois le mode de financement a été décidé au cours d’une réunion informelle et restreinte qui a regroupé l’ex-PM, le ministre en charge de l’Economie et l’ancien ministre en charge de la Défense.
L’ingénierie financière pour le financement de l’aéronef a été assuré par l’ancien ministre en charge du Budget et l’ancien ministre de l’Economie. L’ancien ministre en charge des Investissements a conduit le processus de négociations avec le groupe d’intermédiaires.
Selon les propos de M. Maïga, l’ancien ministre en charge des Investissements et celui en charge du Budget sont mieux placés pour expliquer le rôle du conseiller du Gouvernement dans l’opération d’acquisition de l’aéronef. Le Ministère en charge de la Défense, en tant que premier responsable du département qui a la propriété administrative de l’avion a signé le contrat de vente pour le compte de l’Etat malien ».
Notons que ministre de économie et des Finances, chargé du Budget dont il s’agit ici est M. Madani Touré, tandis que le ministre délégué chargé de la Promotion des investissements dont il est question ici n’est autre que Moustapha Ben Barka. Le ministre des Finances concerné est Mme Bouaré Fily Sissoko, tandis que l’ex-ministre de la Défense et des anciens combattants désigne SBM.
Au sujet de l’acquisition de matériels et fournitures militaires (marché attribué en gré à gré à Sidi Kagnassy pour près de 70 milliards de Fcfa), SBM précise : « Par un mandat de la Présidence de la République signé par son directeur de Cabinet, M. Kagnassy a été commis pour négocier toutes les transactions relatives à l’acquisition de matériels et fournitures pour les forces armées ».
Précisons que ce directeur de Cabinet du président de la République, évoqué ici, c’est Mahamadou Camara, déjà mis sous mandat de dépôt dans le cadre de la procédure judiciaire ouverte par le Procureur du Tribunal de Grande instance de la commune III de Bamako, en charge du Pôle économique et financier. Toujours selon SBM rapporté par le Végal : « C’est dans ce cadre qu’un protocole d’accord pour l’achat de véhicules et d’uniformes militaires sécurisés a été signé avec la société Guo Star. »
En clair donc, SBM subordonne son acte à celui du président de la République représenté par son directeur de Cabinet. Il ajoute que c’est dans le cadre de l’exécution du protocole qu’il a signé avec Guo Star que l’Etat malien a offert une garantie à la Banque Atlantique Mali à hauteur de 100 milliards de Fcfa. Mais ce qui est intéressant, c’est lorsque SBM reconnaît que « la charte des banques ne permettant pas à la Banque Atlantique Mali de financer l’achat de certains types d’armes ou véhicules militaires, il est convenu qu’une partie du montant emprunté sera viré dans le compte bancaire de Guo Star pour leur achat direct ». Sans commentaire !
Après cette encontre que nous venons de transcrire, il y en a eu une autre, précisément le 4 août 2014, toujours au bureau de SBM, de 15H 30 à 16H 45mn. Cette deuxième rencontre était souhaitée par le Vérificateur général Amadou Ousmane Touré pour clarifier un certain nombre de points. Et il n’avait pas tort au vu des informations qu’il va récolter. SBM a dit être à la disposition du Bureau du Végal chaque fois que le besoin se fait sentir. Et le
Végal de rapporter que « selon M. Maïga, l’acquisition de l’aéronef n’a pas fait l’objet d’une détermination de besoin. Il s’agissait d’une décision de souveraineté et le Ministère de la Défense et des anciens combattants (Mdac) n’a servi que de couverture afin de passer ladite acquisition sous l’empire de l’article 8 du Code des marchés publics. A ses dires, le ministre Ben Barka a été le principal négociateur du côté gouvernement malien. Il déclare être disponible à éclairer la lanterne de la mission de vérification en lui fournissant les explications ou autres documents permettant une bonne analyse de la procédure d’acquisition de l’aéronef ». En voici des propos qui accablent le ministre Ben Barka !
Et le Végal de rapporter aussi des propos de SBM qui chargent Marc Gaffajolli : « Il avoue que Marc Gaffajolli, représentant de Sky Colour a joué divers rôles dans le processus d’acquisition de l’aéronef. D’après M. Maïga, c’est Marc Gaffajolli qui a effectué l’audit de l’ancien avion présidentiel et a aussi servi d’intermédiaire entre le gouvernement et le vendeur du nouvel avion. » No comment ! Par ailleurs, SBM a fait un aveu de taille qui permet d’en savoir davantage sur les conditions d’acquisition de l’aéronef présidentiel : « M. Maïga souligne que le contrat de cession-acquisition de l’aéronef a été cosigné par Marc Gaffajolli et non par le représentant d’Akira Investment. Il déclare que la signature du contrat a eu lieu dans son bureau ». SBM révélera que cette société, Akira Investment, est une société- écran qui a été créée uniquement pour cette opération d’acquisition de l’avion.
Qui l’eut cru ! Comme si cela ne suffisait pas, SBM confirme ce que tout le monde savait déjà, notamment sur les relations entre Marc Gaffajolli et Tomi Michel (surnommé le parrain des parrains de la mafia corse par la presse française) : « M. Maïga révèle que Marc Gaffajolli est aussi le représentant de Tomi, propriétaire d’Afrijet. La société Afrijet a déjà eu à louer un avion » Bombardier BD-700 Global Express à la Présidence de la République pour un coût de 500 000 euros ».
Selon les aveux faits par SBM au Végal, le montant de la transaction (acquisition de l’aéronef) serait de 7,470 milliards de francs Cfa.
Aujourd’hui Mali