Cinéaste de légende, Souleymane Cissé, 80 ans, ouvre pour Journal du Mali sa boîte à souvenirs.
Quel est le premier film que vous avez vu ?
Je ne m’en souviens plus vraiment, mais je sais qu’il y avait des Indiens et des Cow boys. Je ne me rappelle ni du titre, ni du réalisateur. À cette époque, nous ne connaissions même pas les réalisateurs. Pour nous, l’important c’étaient les comédiens.
Celui qui vous a le plus marqué ?
J’ai eu un choc après avoir vu un documentaire sur l’arrestation de Patrice Lumumba en 1962, je crois. C’est ce qui a guidé ma volonté. J’aimais le cinéma, puisque j’étais projectionniste, mais le jour où j’ai projeté ce film, j’ai été secoué.
Lequel de vos films vous a rendu le plus fier ?
Tous mes films m’ont rendu fier.
Si vous ne deviez en choisir qu’un…
Ce serait Den Muso. Il a été fait en 1975, c’est mon tout premier film.
Quel film a été le plus difficile à réaliser ?
Ils ont tous été difficiles. D’un film à l’autre, nous avons toujours tendance à penser que c’est le dernier film qui a été le plus compliqué.
Quelles sont les difficultés qui sont revenues le plus souvent ?
D’abord, pour le premier long métrage, des difficultés techniques. Nous n’avions pas de matériel. Il nous arrivait de filmer, puis trois mois après d’envoyer les éléments en France, puisqu’ils étaient développés là-bas. Et des fois, ça nous revenait, mais sans images. Nous n’avions aucun contrôle, nous filmions comme cela et là où il n’y avait pas d’images, nous étions obligés de reprendre. C’était un calvaire. Une fois, je me rappelle, nous attendions les rushs, et lorsque nous les avons projeté, au bout de 30 minutes tout était noir. Je ne me rappelle pas d’avoir fait un film en un an. Ils ont toujours été produits au fil du temps, compte tenu soit du manque de matériel ou de moyens financiers insuffisants, ou encore de la recherche des comédiens, qui m’a pris souvent beaucoup de temps.
Quel est le cinéaste qui vous a inspiré ?
Quand j’étais étudiant, il y avait les films de Sergueï Eisenstein (un cinéaste russe), de par sa façon de faire des films, le rythme, le montage. Cela m’a beaucoup influencé.
Avec quel acteur aimeriez-vous collaborer ?
Je suis dans le grand Mali, les acteurs, c’est au sein du peuple. Si j’ai un sujet, le personnage je le cherche dans la masse, qu’il soit professionnel ou non. Ça a été toujours été ma chance de pouvoir tomber sur des gens qui correspondaient à mes critères. Tout le monde peut être acteur, cela dépend de qui va vous employer, de ce qu’il va vous donner comme rôle, de comment il va vous diriger.
Quelle a été la scène la plus dure à tourner ?
Je vais plutôt vous raconter une anecdote sur un film. Yeelen, je l’avais conçu au départ comme un film de science-fiction. Je voulais le faire très fictionnel, comme on a l’habitude de le voir à Hollywood. Mais la réalité est tout autre. Je me suis rendu compte que je n’aurais jamais la possibilité de le faire ainsi. J’ai donc été poussé à revoir mon écrit, à réfléchir différemment. Je fais avec les moyens et le matériel que j’ai. C’est comme cela que j’ai réalisé Yeelen et cela m’a fait mal. Si on me disait de refaire Yeelen avec les moyens qu’il faut, il serait vu autrement. D’autres le feront sûrement après moi, mais je tenais vraiment à faire cette adaptation en science-fiction.
Quel est votre plus grand regret ?
L’incompréhension du rôle du cinéma par nos politiques. Cela nous a mis en retard. Au Mali, nous avions quand même impulsé un élan. Nous nous sommes battus corps et âme pour exister cinématographiquement et lorsque nous avons eu les moyens d’exister tout nous a été coupé. Je ne comprends pas pourquoi. Nous ne pouvions pas imaginer qu’un pays nouvellement indépendant, qui changeait de régime pour passer à la démocratie, choisisse de vendre toutes ses salles de cinéma. Je ne l’ai jamais compris, et cela jusqu’à aujourd’hui. C’est mon plus grand regret. Ils ont fait de nous des plus que miséreux.
Propos recueillis par Boubacar Sidiki Haidara
Journal du Mali