Les révolutionnaires soudanais sont déterminés à renverser la table. La junte de Khartoum ne l’entend pas de cette oreille. La mort rôde mais l’Afrique se tait. Une fois de plus ! Décryptage.
Plus de soixante jeunes tués en quarante-huit heures ; une quarantaine de corps repêchés dans le Nil ; des femmes violées et leurs dessous scandaleusement accrochés à la kalach des tueurs : Al Qeyada, place forte de la résistance soudanaise, avait tout pour ressembler à Tahrir, mais elle empruntera désormais à Tiananmen sa brutale radicalité. Quel peuple magnifique pourtant que celui du Soudan ! Quel courage mais quelle volonté de paix ! Car, ici comme dans l’Égypte insurgée d’alors, les manifestants n’ont que du jasmin et des sachets d’eau à proposer aux forces de l’ordre. Triste donc qu’au Caire, les soldats aient accepté les accolades mais qu’à Khartoum, ils aient décidé de tuer.
L’ironie -tragique ironie cependant- est que les bouchers de Khartoum peuvent compter sur le silence de l’Afrique, sur le silence prévisible mais anormal des dirigeants africains quand un des leurs achève son peuple. Côté société civile, il n’y aura pas non plus de voix citoyenne forte, trans-États et acquise aux valeurs de la démocratie, qui est une notion d’ailleurs à relativiser sur le continent depuis que la révolution technologique permet de boucler une élection sans… électeurs !
Khartoum, le cauchemar de cet autre syndicat
L’Afrique ne condamnera pas les massacres du Soudan, ou ne le fera que faiblement par les gants de velours du Conseil de paix et de sécurité. Car à Addis-Abeba, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Les leçons de l’ère Alpha Oumar Konaré ont été tirées, lui qui présidant alors la Commission de l’Union africaine et décidé à faire émerger une union des…peuples, dut à son corps défendant et avant beaucoup d’autres, dénoncer et internationaliser les massacres du Darfour dont Khartoum 2019 n’est qu’une petite répétition ordonnée par les mêmes potentats locaux, les mêmes tueurs de peuples. Dernière raison pour laquelle la révolution soudanaise peut ne pas être entendue sur le continent : elle est en train d’aller plus loin que ses aînées.
Le Caire dut se contenter de la seule chute du chef emblématique, mais Khartoum a pour maître-mot « la révolution totale », les mains nues certes mais la table irréversiblement renversée. Implication ? Si le Soudan réussit à imposer un nouveau paradigme de gouvernance rien que par la force de ses syndicats, la détermination de sa jeunesse, surtout étudiante, il sera un inquiétant foyer de contagion dans un continent où la gouvernance bananière constitue la norme et les lueurs d’espoir, l’exception ! Alors, il faut zapper.