Bamada.net – Les 22 et 23 avril 2025, tous les regards du continent africain seront braqués vers Accra, capitale du Ghana. Une rencontre de haute volée, à la fois inédite et symbolique, réunira les représentants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et ceux de l’Alliance des États du Sahel (AES), alliance formée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
Organisé sous la médiation du président ghanéen John Dramani Mahama, ce sommet se tiendra dans un climat diplomatique encore fragile, mais porteur d’espoirs. Pour la première fois depuis les tensions qui ont émaillé les relations entre les deux blocs, un espace de dialogue franc et ouvert s’ouvre, nourri par l’objectif commun d’une stabilité durable en Afrique de l’Ouest.
Un rendez-vous au cœur des contradictions régionales
Ce sommet n’est pas un simple événement protocolaire. Il intervient dans un contexte géopolitique tendu marqué par des divergences sur la gestion des transitions politiques, la lutte contre le terrorisme et les formes d’ingérence dans les affaires intérieures. La CEDEAO, critiquée pour sa posture perçue comme moralisatrice, a vu trois de ses membres — le Mali, le Burkina Faso et le Niger — suspendus ou s’en retirer totalement, en réaction à des sanctions jugées « injustes » et « néocoloniales ».
De cette rupture est née, en septembre 2023, l’Alliance des États du Sahel (AES), un regroupement qui prône une souveraineté renforcée, une coopération militaire plus intégrée, et un rejet de toute ingérence extérieure. Sous la houlette du colonel Assimi Goïta (Mali), du capitaine Ibrahim Traoré (Burkina Faso) et du général Abdourahamane Tiani (Niger), l’AES affiche une volonté de redéfinir les règles du jeu diplomatique ouest-africain.
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Une tentative de désescalade menée par le Ghana
C’est dans ce contexte que le Ghana, pays historiquement modéré et attaché à la stabilité régionale, s’érige en médiateur. L’ancien président John Dramani Mahama, aujourd’hui envoyé spécial de la CEDEAO pour la médiation dans le Sahel, porte l’initiative de ce sommet avec une ambition claire : reconstruire les passerelles du dialogue.
« L’Afrique de l’Ouest ne peut prospérer dans la division. Nous devons privilégier la diplomatie du respect mutuel, de l’écoute et de la coopération pragmatique », a déclaré Mahama, quelques jours avant l’ouverture du sommet.
L’occasion d’un nouveau départ pour la CEDEAO ?
Cette rencontre coïncide avec le cinquantenaire de la CEDEAO, fondée en 1975. Ce jubilé d’or pourrait être l’opportunité d’un profond aggiornamento pour l’organisation ouest-africaine, souvent critiquée pour son manque d’adaptation aux nouvelles réalités politiques et sécuritaires.
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Dans une Afrique de l’Ouest secouée par des coups d’État, l’insécurité chronique et les mutations sociales, la CEDEAO est aujourd’hui confrontée à un dilemme : se réinventer ou perdre de sa pertinence. L’inclusion des États membres de l’AES dans un dialogue régional serait un premier pas vers une refondation plus inclusive, où le respect des souverainetés nationales prime sur les injonctions externes.
AES : une rupture ou une alternative ?
Contrairement à ce que certains observateurs ont pu craindre, l’AES ne se conçoit pas comme une structure de confrontation, mais comme une alternative régionale, plus en phase avec les défis spécifiques du Sahel. Ses priorités sont claires : lutter efficacement contre le terrorisme, renforcer la résilience climatique et accompagner les transitions politiques sans diktat extérieur.
Les leaders de l’AES, bien qu’opposés à certaines orientations de la CEDEAO, ont plusieurs fois exprimé leur ouverture à un dialogue fondé sur l’équité et la non-ingérence. Ce sommet pourrait donc clarifier les intentions, dissiper les malentendus et esquisser les contours d’une coopération réajustée, qui n’exclurait personne.
Des attentes fortes, des risques réels
La réussite de ce sommet n’est pas acquise. Les enjeux sont colossaux, tout comme les risques d’échec. Une posture trop rigide de l’un ou l’autre camp pourrait raviver les tensions. Pire, une impasse serait interprétée comme la preuve irréfutable de la fracture géopolitique irréconciliable au sein de la sous-région.
Mais à l’inverse, une dynamique constructive pourrait ouvrir la voie à une nouvelle architecture sécuritaire et politique ouest-africaine, dans laquelle les États collaborent selon leurs forces, leurs spécificités et leurs aspirations souveraines. Une Afrique de l’Ouest repensée, non plus sous le prisme de la soumission, mais de la complémentarité.
Conclusion : entre défi historique et espoir régional
Ce sommet d’Accra s’annonce comme un moment de vérité pour l’Afrique de l’Ouest. Réunir autour d’une même table la CEDEAO et l’AES, après des mois de tensions, est en soi un signal fort. Le Ghana, dans son rôle de facilitateur, tente de redonner une chance au dialogue là où d’autres auraient parié sur l’irréversibilité de la rupture.
Qu’il débouche sur une réconciliation progressive ou qu’il confirme une scission définitive, ce rendez-vous aura des répercussions durables sur l’avenir de l’intégration régionale. La balle est désormais dans le camp des dirigeants présents à Accra. L’histoire jugera s’ils auront été à la hauteur de leurs responsabilités historiques.
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Moussa Keita
Source: Bamada.net