Comme l’indique sa dénomination en bamanankan, ‘’Sira’’ – route en français- et ‘’bila’’ qui signifie libérer, était un événement qui avait pour but de rassembler les populations et réchauffer les liens sociaux. Ainsi les préparatifs, qui commençaient par les travaux d’entretien des routes reliant les différentes localités, témoignaient déjà du sens profond de la festivité. Chaque village entretenait la route menant à celui du voisin, lequel prenait le relais et ainsi de suite.
Des villages comme Kèlèkèlè, Kouen, Bensina ou N’donfana, devant accueillir l’événement, mettaient tout en œuvre pour être à hauteur des attentes de leurs hôtes. L’organisation leur était confiée à tour de rôle et en duo. Cela passait par des activités de chasse, d’assainissement et de décoration pour se donner meilleure image pour l’occasion.
Pour rendre le séjour agréable aux visiteurs, les habitants faisaient tout pour prouver leur sens de l’hospitalité, leur ouverture à l’autre, leur disponibilité à renforcer les relations de bon voisinage. Tout pour relever le défi de l’organisation et honorer la tradition. En outre, il permettait de faire la promotion des instruments de musique traditionnelle, notamment le ‘’didadi’’ sorte de tam-tam qui est l’un des instruments favoris du terroir. Toujours jouée en équipe, cette musique n’était pas choisie au hasard, car elle incarnait l’esprit de communion, objectif du festival.
Quand arrivait le jour j, fixé à la fin de l’édition précédente, les jeunes festivaliers, porteurs du message du chef de leur village, empruntaient la route le soir. Par respect pour la tradition, ils s’arrêtaient au seuil du village d’accueil, se contentant de signaler leur présence par les sons de tam-tam, synonyme de demande d’autorisation d’entrée. Avec des ovations, de l’eau, une délégation les accueillait alors pour les conduire ensuite chez le chef du village, auquel ils transmettaient le message de fraternité de son homologue. Après le dîner, la foule envahissait la place publique dans un esprit de cohésion voire de fraternité. Le tam-tam grondait toute la nuit, jusqu’à l’aube, deux cercles de danseurs rivalisaient de talent sans la moindre animosité. En plus de la cantatrice accompagnant les musiciens, les jeunes danseuses improvisaient des chansons pour la paix et esquissaient d’énergiques pas que leur permettait leur âge.
Rien d’étonnant qu’un tel événement soit agrémenté par des plats copieux, des boissons et des causeries animées autour du thé. Les activités reprenaient dans la journée après le repas et un repos bien mérité, et jusqu’au soir où, les visiteurs satisfaits certainement de leur séjour, revenaient demander la route du retour tout en remerciant le chef du village pour son hospitalité. C’est ainsi que ce dernier, entouré de ses conseillers, acceptait leur demande et leur donnait des colas pour son pair. À son retour au bercail, le chef de l’équipe se rend directement chez le chef du village pour le compte-rendu.
Source de cohésion sociale
Le Mali est surtout riche de par sa diversité ethnique et culturelle. Selon un adage, la beauté d’un tapis réside dans ses rayures. Les différentes communautés ont toujours vécu dans la parfaite harmonie. Les villages de Kèlèkèlè, Kouen, Bensina, ou N’donfana n’ont pas fait exception à la règle en instituant le festival ‘’Sirabila’’ pour créer des liens d’amitié, préserver et consolider les anciennes relations, éviter les mésententes. Mais si cela arrivait, on usait des voies ancestrales, c’est-à-dire la médiation traditionnelle pour rappeler les belligérants à l’ordre. Comme l’a rappelé l’humoriste Yoro dans un spectacle : «Le Mali n’aurait pas besoin de la communauté internationale pour gérer ses crises, si on n’avait pas délaissé les valeurs ancestrales telles que le cousinage à plaisanterie.»
‘’Sirabila’’ et d’autres événements socioculturels qui existaient à travers le Mali, ont été des facteurs de paix, de communion faisant de ce pays un havre de stabilité. Mais force est de reconnaître que leur disparition est en train de laisser la place à la haine et à la rivalité communautaire. On assiste à des différends entre villages limitrophes qui vivaient ensemble depuis des siècles. Il est impératif que nous retournions à nos valeurs ancestrales, pour recoudre le tissu social. Aucun peuple ne peut se développer sans sa culture. «La culture c’est ce qui reste quand on a tout oublié », a déclaré un penseur.
Broulaye Koné, Stagiaire