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Service National des Jeunes (SNJ) : la nouvelle recrue, Souleymane Dembelé denounce la violation des textes

La direction du Service National des Jeunes (SNJ) a convoqué le reliquat de la troisième cohorte n’ayant pas accompli leur service militaire obligatoire, le mardi 25 avril 2023, pour le départ à la formation sur Bapho à Ségou. Pour savoir l’état d’esprit des nouvelles recrues, le journal Le Pays a tendu son micro à Souleymane Dembelé de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Le nouveau fonctionnaire se montre mal à l’aise et anxieux. Lisez plutôt l’entretien !
1-Pouvez-vous présenter à nos lecteurs s’il vous plaît ?

Souleymane Dembélé, recrue de l’enseignement Supérieur

2- Après deux cohortes, vous êtes la troisième promotion des admis de la fonction publique depuis 2021 qui doit suivre très prochainement une formation militaire dans le cadre du service national des jeunes (SNJ). Quel est votre état d’esprit ?

Souleymane Dembélé : Tout d’abord, nous sommes très honorés par notre recrutement pour servir notre pays en tant qu’enseignants-chercheurs. Nous sommes plutôt la deuxième promotion des admis de la fonction publique depuis 2021 devant suivre une formation militaire dans le cadre du service national des jeunes (SNJ). Mal à l’aise, déçus, anxieux sont des qualificatifs que nous pouvons utiliser pour décrire notre état d’esprit. Mal à l’aise de voir les autorités abuser de leur pouvoir. En fouillant les textes, nous avons été surpris de constater qu’il y a une ambiguïté qui doit être vite levée. En République du Mali il n’y a, à notre connaissance, aucun texte qui affirme que les recrues de la fonction publique doivent aller forcément faire le SNJ. Nous sommes dans une instruction verbale du Président de la transition. Or normalement le statut de la fonction publique ainsi que tous les statuts particuliers devaient être modifiés afin d’inclure cette instruction présidentielle. A ce jour, jusqu’à modification des textes, il n’y a en réalité aucun lien entre le fonctionnaire et le SNJ. Déçus de voir nos multitudes tentatives d’ouvrir le dialogue avec les autorités se solder par des échecs. En effet, aucune recrue à l’heure où nous sommes n’est capable de dire exactement quels sont ces droits pendant le temps du SNJ. Ce sentiment de déception est renforcé par le déficit de communication officielle des autorités quant à notre situation. De notre admission au concours, proclamée le 06 octobre, nous n’avons reçu aucune information avant le 18 novembre pour découvrir notre arrêté d’intégration. Après cette date, nous sommes encore restés sans information jusqu’au 22 Décembre où nous découvrons l’arrêté de notre Mise à la disposition du Ministère de la Jeunesse et des Sports, chargé de l’Instruction civique et de la Construction citoyenne. Ensuite, notre dernière convocation remonte au 10 Février 2023 où nous recevons le communiqué de la Direction du SNJ nous invitant à la visite d’entrée au centre de formation le mercredi 15 février 2023. C’est seulement après cela, que nous avons reçu le 13 février un avis de la part du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique nous conviant à une réunion le lendemain, c’est-à-dire le 14 février 2023. De cette date à nos jours, nous n’avons reçu aucune autre information. Vous constaterez qu’entre deux informations, il y a en moyenne un mois et entre 3 à 5 jours entre une annonce et une convocation. Ceci démontre un manque de considération et d’empathie à notre égard. Cela fait 6 mois que cette situation perdure. Enfin anxieux car nous ignorons comment nos familles dont nous avons la charge vont vivre pendant que nous serons casernés. 11240 F CFA par mois, soit 375 F CFA par jour voici ce avec quoi nous sommes supposés nourrir nos familles pendant que nous effectuons le service militaire ! Sachant que notre arrêté d’intégration date de novembre 2022, soit 5 mois que nous attendons de pouvoir prendre activité et toucher nos salaires. Or nous avons tous dû mettre fin à nos différents engagements professionnels ailleurs après la publication de l’arrêté d’intégration, nous mettant nous et nos familles dans une situation de précarité liée au manque de revenu. S’il faut ajouter six mois de casernement, cela nous ferait pratiquement un an depuis notre recrutement sans salaire. L’expérience vécue des fonctionnaires de la troisième cohorte du SNJ nous préoccupe d’autant plus, car ces derniers n’ont bénéficié que de 11240 FCFA par mois pendant toute la durée de leur formation ! Il nous est impossible de nourrir nos familles avec un tel montant, surtout étant casernés. Un tel sacrifice n’est pas demandé même aux militaires car eux bénéficient de rappels, sachant qu’ils sont enrôlés à des âges jeunes et n’ayant pas encore des familles à charge.

3- Contrairement aux deux premières cohortes, vous vous dénoncez certaines irrégularités dans le processus. Pouvez-vous nous en dire un peu plus, s’il vous plaît ?

Souleymane Dembélé : les irrégularités, il y en a amplement et certaines des plus copieuses. Commençons par les cinq mois d’attente depuis la signature de notre arrêté d’intégration sans effectuer la prise de service. Ensuite, il y a l’arrêté n°2022-5769/MESRS-SG du 09 décembre 2022 qui nous a directement mis à disposition auprès du ministère de la jeunesse et des sports, sans prendre de disposition concernant les prises de service préalables (Aucun texte de loi ne conditionne l’affectation et la prise de service du fonctionnaire au SNJ). Le non-respect de la limite d’âge (18 ans et 35 au plus) prévue dans l’article 5 de la loi n° 2016-038 du 7 juillet 2016 instituant le SNJ sachant que la majorité des recrues (environ 60%) a plus de 35 ans révolus. Enfin le non-paiement des salaires pendant la période de formation bien que cela soit garanti par l’article 8 de la même loi. Tout ceci dans un silence absolu des autorités au pouvoir malgré de multiples correspondances adressées et aussi malgré les sonnettes d’alarme.

4- Que prévoient concrètement les textes sur la question ?

Souleymane Dembélé : tout d’abord une mise à disposition ne doit pas précéder l’affectation et la prise de service d’un fonctionnaire. Aujourd’hui, aucun texte en République du Mali ne spécifie l’obligation pour un fonctionnaire d’effectuer le service militaire ou le service national des jeunes. Les textes antérieurs instituant le SNJ sont clairs. Dans la loi N°2016-038/ du 7 Juillet 2016 portant institution du Service National Des Jeunes, l’Article 5 stipule clairement que « Les conditions d’accès au Service national des Jeunes sont : être de nationalité malienne ; être âgé de 18 au moins et de 35 ans au plus ; jouir de tous ses droits civiques ; être de bonne moralité. » Et dans l’article 8 il est explicitement mentionné que « Les jeunes recrutés des fonctions publiques de l’Etat et des Collectivités Territoriales ainsi que des autres statuts bénéficient de la totalité de leur salaire pendant le prêt de service. Ils conservent également l’intégralité de leurs droits à l’avancement. Toutefois, les jeunes recrutés des fonctions publiques de l’Etat et des Collectivités Territoriales ainsi que des autres statuts participent financièrement au coût de la Formation Commune de Base. Le montant de leur participation est fixé par voie réglementaire. ».

En l’état, ces textes ne peuvent concerner la catégorie d’âge moyenne des enseignants-chercheurs qui sont au-dessus de cette tranche d’âge (plus de 60% des recrues de l’enseignement supérieur ont plus de 35 ans, les plus âgés ayant 45 ans révolus). De plus les autorités procèdent à un abus de pouvoir en ne versant que 11240 F CFA par mois pendant la formation militaire et cela sans droit à un rappel de salaire, chose qui n’est pas demandée même aux forces de l’ordre. Où est la logique ?

5- Cela veut dire que vous n’allez pas vous soumettre à cette exigence ?

Souleymane Dembélé : partant de l’expérience des fonctionnaires de la 3ème cohorte du SNJ, nous pensons que nous engager dans ces conditions ne pourra déboucher que sur une catastrophe pour nous et nos familles. Ce sentiment est renforcé́ par l’insuffisance de communication officielle de la part de l’administration publique et le non-versement de l’intégralité du salaire. Avant d’être des enseignants-chercheurs, nous sommes des citoyens et nous le demeurons. Le devoir du citoyen, c’est d’attirer l’attention des autorités sur des sujets qu’il pense incompris. D’ailleurs les autorités le prônent en ces termes : « Si vous constatez une quelconque dérive, alertez-nous, remontez-la nous ». Nous pensons répondre à ce devoir de citoyen. La responsabilité des enseignants-chercheurs que nous sommes, ne se limite pas seulement à enseigner. En plus de la rigueur et la transparence dans nos activités de recherche que nous menons et que nous enseignons, notre rôle consiste également à identifier, signaler, analyser puis aider les populations y compris les autorités à résoudre les problèmes de la société. Loin de nous toute idée de supériorité, nous dénonçons juste des constats qui ont été faits par ceux qui ont déjà fait le SNJ dans sa forme actuelle. Le temps est en train de nous donner raison, conforté par la sortie récente de la première cohorte de fonctionnaire ayant fait le SNJ format actuel.

6-Tout le monde sait que le Mali vit une crise multiforme sévère depuis 2012, d’où cette initiative même de relance du Service national des Jeunes. Est-ce que dans ce contexte, l’atmosphère est propice pour créer un autre foyer de tension au Mali ?

Souleymane Dembélé : loin de nous, l’idée d’initier une tension. D’ailleurs, depuis l’arrêté n°2022-5769/MESRS-SG du 09 décembre 2022 nous mettant à disposition auprès du ministère de la jeunesse et des sports, nous n’avons ménagé aucun effort pour ouvrir le dialogue avec les différents départements ministériels concernés. Mieux encore, nous avons tous fait nos visites médicales ce qui témoigne de notre volonté à nous conformer aux textes de la nation, malgré nos préoccupations légitimes.

Il convient de rappeler que c’est le peuple qui s’est indigné du régime précédent. Cela ne devrait-il pas être une chance inouïe de bâtir ensemble une nation avec le respect des textes mais aussi le respect des droits des citoyens ? Malheureusement fort est de constater que les mêmes pratiques demeurent : le fort piétine dès qu’il le peut plus faible que lui. Sinon en vertu de quoi peut-on décider de caserner un chef de famille sans revenu ? Comment est-il censé nourrir sa famille ? Si on décide d’instaurer un service militaire obligatoire, on a le devoir impératif de se donner les moyens financiers, matériels et organisationnels pour sa réalisation. Le foyer de tension s’il existe c’est le budget alloué au SNJ avec un contenu du programme d’activité si pauvre. Nous estimons que les objectifs du SNJ ne sauraient être atteints si on forme des frustrés. Caserner un chef de famille et le priver de ses droits élémentaires dont son salaire, c’est le mettre dans la précarité et cela ne peut aboutir qu’à de la frustration. Dans ce contexte est-on sûr d’avoir de meilleurs fonctionnaires ?

7- Quelle sera donc la meilleure démarche à suivre pour obtenir gain de cause ?

Souleymane Dembélé : pour nous obtenir gain de cause signifie un SNJ qui atteint pleinement ses objectifs sans empiéter sur le droit d’un quelconque citoyen. Cela ne peut se faire quand l’administration publique se refuse au dialogue. Nous sommes des chercheurs, notre avantage comparatif demeure dans notre capacité à réfléchir aux problématiques, à les analyser et à proposer des recommandations. L’approche constructive consiste à analyser les textes en vigueur à s’assurer qu’ils sont respectés, et surtout que le SNJ ne cause pas de frustrés. Pour cela, il important qu’il y ait une communication officielle de la part des autorités. Cette communication doit préciser les conditions dans lesquelles nous ferons le SNJ : définir clairement les aspects juridiques et les respecter, préciser le processus que nous devons effectuer, déterminer nos droits, clarifier les conditions. Nous souhaitons également une clarification concernant les femmes enceintes ou allaitantes, les personnes en âge avancé ou ayant des maladies chroniques. Nous souhaitons bénéficier de nos salaires et d’une garantie contre les risques de blessure si toutefois nous sommes casernés. Cela nous enlèvera une énorme épine des pieds et contribuerait à nous assurer ainsi que nos familles dont nous avons la charge. À défaut, un format adapté pourra être réfléchi : Réduire le temps de formation ou ne pas nous caserner, cela nous permettra d’effectuer un suivi des projets en cours au moins pendant les week-ends. Des formats adaptés à l’enseignement ont été adoptés dans le passé, par exemple effectuer les formations sur plusieurs années, en casernant les fonctionnaires pendant les vacances académiques. Nous réclamons nos affectations sans délai conformément aux textes suivis d’une prise de service. Et si SNJ, une forme civique à l’Institut Pédagogique Universitaire ou une formation complète avec un grade d’officier de réserve et ceci à l’école militaire inter-armes.

8-Votre dernier mot ?

Souleymane Dembelé : l’histoire retiendra que nous avons pleinement joué notre rôle de citoyens ayant utilisé toutes les voies pacifiques pour tenter de dialoguer avec nos autorités de tutelle en vue de trouver une issue qui nous honore tous. Cependant à ce jour, si nous faisons la formation SNJ, après avoir attendu depuis le 06 octobre 2022 (date de notre admission aux recrutements d’enseignants-chercheurs sur titre et par sur concours direct), ça sera un désastre social pour la plupart de nos familles respectives d’autant plus que nous n’avons toujours pas pris nos services et que nos droits salariaux garantis par les textes du SNJ sont violés au vu et au su de tous. En effet, la partie gouvernementale prend le soin de rédiger dans ses arrêtés successifs, en particulier dans notre arrêté d’intégration dans la fonction publique (arrêté n°2022-5346/MESRS-SG du 18 novembre 2022) que « Le présent arrêté, qui prend effet du point de vue solde pour compter de la date de prise de service des intéressés, sera enregistré et communiqué partout où besoin sera ». La logique voudrait que la prise de service se fasse dans les jours qui suivent ce communiqué, mais nous avons été stupéfaits quand nous avons pris connaissance de l’arrêté n°2022-5769/MESRS-SG du 09 décembre 2022 qui nous a directement mis à disposition auprès du ministère de la jeunesse et des sports, sans prendre de disposition concernant les prises de service.

Comment peut-on mettre à disposition un salarié auprès d’un autre département ministériel, de surcroît un nouveau fonctionnaire, sans que ce dernier ait fait sa prise de service ?

Les 5 longs mois d’attente entre notre mise à disposition et la convocation pour un éventuel démarrage effectif de la formation SNJ (prévue à ce jour le 25 avril 2023) ne doivent-ils pas être pris en compte pour réduire les préjudices sociaux causés par l’obligation de SNJ pour les enseignants-chercheurs ?

Souleymane Dembélé : Qui va prendre en charge nos familles pendant la période de SNJ si on ne nous donne que 11240 F CFA par mois (si on s’en tient à ce qui a été fait avec la promotion précédente) ?

Qui peut nous garantir que les droits constitutionnels de liberté de culte seront garantis pendant la période de casernement, en particulier nos camarades musulmans pourront-ils faire leurs 5 prières quotidiennes sans risque de représailles de la part des encadreurs ?

Entretien réalisé par Issa Djiguiba

Source : LE PAYS- Mali

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