La Coordination des mouvements armés (CMA), depuis ce 20 mai, a ajouté une nouvelle corde à son arc de défiance envers la République : le droit de grâce à 21 détenus. La grâce étant l’une des prérogatives attachées à la fonction présidentielle au Mali, le Président de la CMA n’en a pas qualité. Aussi, cette grâce suppose un certain nombre de préalables qui ont été transgressés à Kidal par les autorités autoproclamées. Désormais, un seuil critique est atteint dans le processus de sécession de Kidal.
Le pouvoir de gracier est un acte régalien qui a une histoire qui ne commence certainement pas dans les sables mouvants de Kidal. Sans qu’on ne puisse établir par quelle alchimie Bilal Ag ACHERIF, le Président en exercice de la coordination des mouvements armés (CMA) est-il parvenu à s’en arroger les prérogatives d’actes régaliens, le constat est d’évidence qu’il ne boude pas le plaisir de défier l’État, à travers des décisions manifestement concurrentielles de celles du Président de la République du Mali.
Le coup de griffe ravageur
Le Gouvernement, dans son communiqué de service minimum, condamne du bout des lèvres alors que la CMA est arrogamment installée dans la récidive. ‘’Ces actes anti-républicains vont d’une prétendue grâce accordée à des détenus, à la délivrance d’autorisations de déplacement sur des sites d’orpaillage en passant par le refus de recevoir les médecins en charge de la lutte contre la maladie à Coronavirus et les nombreux obstacles érigés contre la présence de l’Armée nationale reconstituée’’, lit-on dans son communiqué daté du 27 Mai, 7 jours après la décision de la CMA de gracier 21 détenus. Cette condamnation tardive et purement protocolaire est indicative de l’état désespéré et désespérant dans lequel se trouve la Nation malienne aujourd’hui du fait de l’aplatissement de nos autorités devant une poignée d’irrédentistes qui, faut-il le reconnaître, bénéficie du soutien actif et très intéressé d’un ami commun. Suivez la direction de mon regard. Est-ce parce qu’adossé à ce roc inébranlable de l’étranger omniprésent, que Bilal Ag ACHERIF donne un coup de griffe ravageur aux principes de la République, ou est-ce une déclaration d’indépendance à peine déguisée ? En tout cas, le pouvoir de gracier est normatif (réglé).
Un pouvoir normatif
La grâce présidentielle s’apparente en droit français à une suppression ou à une réduction de la sanction pénale (la réponse de l’État contre l’auteur d’un comportement incriminé.). La condamnation reste néanmoins inscrite au casier judiciaire et diffère ainsi de l’amnistie, qui est étymologiquement un « oubli ». Depuis 2008, la grâce présidentielle est individuelle.
Le pouvoir de suspendre ou de modérer les peines associées à une décision de justice en dernier ressort appartenait sous l’Ancien Régime aux rois de France. À l’avènement de la République, il continue d’être un pouvoir régalien, qui en droit français appartient exclusivement au président de la République.
À partir du XIVe siècle, les Lettres de justice (également appelées Lettres de grâce, étaient l’une des expressions de la justice retenue du Roi de France sous l’Ancien Régime. Ces lettres remontent au droit romain et étaient utilisées dans le droit canonique. Elles permettaient bien souvent au souverain de modifier la règle d’exécution de la sentence) et en particulier les lettres de rémission sont l’instrument dont use le roi pour arrêter une procédure de justice, ou pardonner une condamnation. Apparues sous le règne de Philippe VI de Valois, initialement réservées aux nobles, les grâces royales deviennent accessibles au reste de la population à partir de l’accession au trône de Jean II le Bon, qui gracie 200 condamnés par an. Claude Gauvard dit que les grâces à cette époque peuvent être pour le roi un acte politique, comme s’assurer de la fidélité de certains vassaux sous influence anglaise ; elles peuvent aussi résulter de la connivence du roi avec certains sujets, en particulier lors des cas d’homicides commis en vengeance d’un adultère ; les rois peuvent aussi pardonner à de simples sujets qui lui en feraient la supplique, en particulier à l’occasion de fêtes religieuses importantes. Le droit de grâce est aboli à la Révolution, puis réintroduit sous le consulat.
Une chandelle à dieu et une au diable
La grâce présidentielle est l’une des prérogatives attachées à la fonction présidentielle au Mali. Elle est prévue par l’article 45 de la Constitution du 25 Février 1992 qui dispose : ‘’le président de la République est le président du Conseil supérieur de la magistrature. Il exerce le droit de grâce. Il propose les lois d’amnistie’’.
Dans les 122 articles de la Loi fondamentale du Mali, le Président de la République ne partage ce pouvoir régalien avec personne d’autre. En d’autres termes, seul le Président de la République a le pouvoir de gracier quelqu’un en République du Mali. Que Bilal Ag ACHERIF le fasse, n’est que pure imposture attentat à la souveraineté nationale.
Mais, ce pouvoir exclusif présidentiel n’en est pour autant pas moins encadré par la loi. La grâce suppose un certain nombre de préalables. Par exemple, il faut avoir été condamné pour prétendre à la grâce. Et pour être condamné, il faut un jugement équitable devant un tribunal légalement constitué. Or, les juges ont déserté Kidal depuis des lustres. Les Caddis ? Ils ne rentrent constitutionnellement pas dans le dispositif judiciaire du Mali.
De même, dans la pratique, une demande écrite du demandeur de la grâce ou de son avocat ; un dossier technique monté par l’Administration pénitentiaire, le Parquet général et le Département de la Justice sont indispensables.
Les 21 détenus de Kidal ont-ils fait une demande écrite adressée au Président de la République ? Que nenni ! Il y a-t-il eu un dossier technique les concernant ? Basta ! Que dalle ! Cette prétendue grâce (présidentielle ou quoi ?) est l’œuvre de prestidigitateurs, habiles, qui vendent la martingale ; tentent de donner le change à un décret présidentiel. IBK a gracié à Bamako ; moi Bilal, je gracie à mon tour à Kidal ; à chacun son champ d’autorité.
Du côté du pouvoir, comment en est-on arrivé à donner une chandelle à dieu et une au diable ? Comment en est-on arrivé à ce point à sacrifier l’essentiel, la fameuse ligne rouge (l’unité nationale, l’intégrité du territoire, la forme républicaine et laïc de l’Etat et à privilégier l’accessoire, la prime à des coupe-jarrets sécessionnistes ? L’on est peut-être coupable d’avoir trop vite fait l’inquisition de ceux qui ont crié au bradage du Mali que nous ont légué nos pères. C’est un crève-cœur : Kidal est un électron libre déclaré et assumé.
PAR BERTIN DAKOUO
INFO-MATIN