Le Bureau du Vérificateur Général (BVG) du Mali a récemment mis au jour des irrégularités graves dans la gestion des fonds de l’Agence de Gestion du Fonds d’Accès Universel (AGEFAU). Une vérification financière couvrant les exercices 2020 à 2023 révèle des pratiques douteuses et des abus financiers éclaboussant l’ancien Premier ministre Choguel Kokalla Maïga. Au cœur de l’affaire : des dizaines de millions de francs CFA de frais de mission irrégulièrement attribués.
Le dépôt à terme de 20 milliards de FCFA
Dans le cadre d’une convention conclue entre l’AGEFAU et la BMS-SA, un dépôt à terme de 20 000 000 000 FCFA a été effectué. Selon l’article 2 de cette convention, ces fonds demeurent bloqués jusqu’à l’expiration du délai fixé, et seront constitués par débit du compte de l’AGEFAU ouvert à la BMS-SA. L’article 3 précise également que les fonds placés seront rémunérés au taux nominal annuel de 5.25% hors taxes. Les intérêts générés seront reversés trimestriellement sur le compte de l’AGEFAU à la banque.
AGEFAU : une mission noble ternie par des irrégularités
Bamada.net-Créée en 2016, l’AGEFAU est un établissement public à caractère administratif, placé sous la tutelle de la Primature. Sa mission est de promouvoir l’accès universel aux télécommunications et aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Pourtant, les résultats de la vérification financière menée par le BVG mettent en évidence des détournements de fonds et une gestion pour le moins douteuse.
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Des faits accablants
Parmi les irrégularités relevées, le rapport met en lumière deux événements marquants impliquant directement Choguel Kokalla Maïga dans son rôle de Premier ministre et Président du Conseil d’administration de l’AGEFAU :
- Cérémonie d’inauguration à Konobougou (9 décembre 2023) : Une somme de 18,46 millions FCFA a été allouée aux frais de mission, dont 15 millions FCFA versés directement à Choguel Kokalla Maïga sous prétexte de « dépenses de souveraineté ». Or, selon les textes, une indemnisation de 75 000 FCFA était prévue pour cette mission d’une journée.
- Lancement du projet pilote d’extension du réseau (27-28 décembre 2023) : Une enveloppe de 28,42 millions FCFA a été débloquée, dont 20 millions FCFA de fonds de souveraineté versés à l’ancien Premier ministre. Pourtant, les règlements n’autorisent qu’un maximum de 150 000 FCFA pour une mission de deux jours.
Au total, ce sont 34,77 millions FCFA qui ont été attribués de manière irrégulière à l’ancien chef du gouvernement.
Une violation manifeste des règles de gestion publique
Le rapport du BVG dénonce une gestion défaillante et une utilisation abusive des fonds publics. Ces fonds, destinés à promouvoir l’accès universel aux TIC, ont été détournés à des fins personnelles. Le Directeur général, l’Agent comptable et le Régisseur d’avances de l’AGEFAU sont pointés du doigt pour avoir ordonné et exécuté ces dépenses irrégulières.
Outre les frais de mission, le rapport révèle d’autres irrégularités majeures :
- Des avances non justifiées ;
- Des intérêts non recouvrés sur des placements financiers ;
- Des redevances non reversées à l’Office de Radio et Télévision du Mali (ORTM).
Des recommandations pour redresser la barre
Face à ces dysfonctionnements, le BVG formule des recommandations claires :
- Remboursement des sommes perçues indûment : Les montants irrégulièrement versés doivent être restitués au Trésor public.
- Renforcement du contrôle interne : Une meilleure supervision des dépenses est indispensable pour prévenir de futurs abus.
- Sanctions contre les responsables : Les acteurs impliqués dans ces irrégularités doivent être traduits devant les juridictions compétentes.
Un appel à la transparence et à la responsabilité
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Ce scandale met en évidence les failles de la gestion des fonds publics au Mali. L’AGEFAU, conçue comme un instrument de réduction de la fracture numérique, se retrouve ternie par des pratiques contraires à l’éthique et à la bonne gouvernance. La confiance des citoyens dans les institutions publiques exige des actions concrètes pour assainir les finances publiques et assurer une transparence totale dans la gestion des ressources.
Le Cas de la Convention de Dépôt à Terme avec la BMS-SA
L’AGEFAU, dans le cadre de la gestion de ses ressources financières, a conclu une convention de dépôt à terme (DAT) avec la Banque Malienne de Solidarité (BMS-SA) en date du 6 juillet 2017. Selon les termes de cette convention, un montant de 20 milliards de FCFA a été déposé à la banque en faveur de l’AGEFAU. Ces fonds ont été placés sous la condition de rester bloqués jusqu’à la fin du délai spécifié dans l’accord. Le dépôt devait générer des intérêts à un taux de 5,25% par an, avec des paiements trimestriels sur le compte de l’AGEFAU.
Cependant, une vérification a révélé des anomalies notables dans le paiement des intérêts dus sur ce dépôt. Entre le 5 juillet 2020 et le 5 juillet 2023, la BMS-SA a payé les intérêts au taux de 4,5%, en dessous du taux contractuel de 5,25%. En conséquence, l’écart non payé s’élève à 409 317 101 FCFA. Cette différence n’a pas été réclamée par l’Agent Comptable de l’AGEFAU, malgré l’existence de la convention qui stipule clairement le taux d’intérêt applicable.
Après la réception du Mémo n°01 du 30 avril 2024 de l’équipe de vérification, le Directeur Général de l’AGEFAU a sollicité des explications auprès de la BMS-SA, qui a reconnu l’erreur et a procédé au remboursement intégral de l’écart, confirmant ainsi l’existence de l’anomalie. Cependant, la question se pose : comment une telle erreur a-t-elle pu passer inaperçue pendant trois ans, et pourquoi l’Agent Comptable n’a-t-il pas pris d’initiative pour récupérer ces fonds manquants ?
Les Irrégularités sur les Marchés Publics
Un autre point de friction concerne les marchés publics passés par l’AGEFAU, notamment les achats de véhicules et de consommables informatiques. L’équipe de vérification a constaté que certains marchés ont été visés par le Contrôleur financier, malgré des prix unitaires supérieurs à ceux prévus par les mercuriales des prix en vigueur. Par exemple, dans le marché relatif à l’acquisition de véhicules pour l’AGEFAU, les prix des véhicules tout terrain 4×4 étaient respectivement de 37 152 000 FCFA et 135 175 000 FCFA l’unité, alors que les prix maximums fixés étaient de 27 800 000 FCFA et 97 200 000 FCFA.
Des anomalies similaires ont été observées dans l’achat de consommables informatiques et d’équipements de bureau. L’écart total des prix majorés par rapport aux mercuriales s’élève à 58 376 300 FCFA. Ces irrégularités soulèvent des questions sur la transparence des procédures d’achat et la rigueur dans l’application des prix établis par l’État.
Les Dépenses de Souveraineté Indues
En outre, l’équipe de vérification a mis en évidence des dépenses de souveraineté indues ordonnées et payées par le Directeur Général, l’Agent Comptable et le Régisseur d’avances de l’AGEFAU. Ces dépenses, en lien avec des missions à l’intérieur et à l’extérieur du pays, ont été jugées irrégulières, notamment en raison de leur montant supérieur à celui prévu par la réglementation en vigueur. L’avenant n°01 à l’Accord d’établissement de l’AGEFAU précise les modalités de prise en charge des frais de mission, mais des dépassements importants ont été constatés. Cela soulève la question de la gestion appropriée des fonds alloués à des fins de mission et de représentation.
Les Conséquences de Ces Irrégularités
Les irrégularités financières au sein de l’AGEFAU ont des conséquences graves. Elles témoignent non seulement d’une gestion défaillante des fonds publics, mais aussi d’une faiblesse dans le contrôle interne. Les manquements relevés par l’équipe de vérification, allant de la mauvaise application des taux d’intérêt à la gestion des marchés publics en passant par des dépenses indûment justifiées, laissent entrevoir un manque de rigueur dans la supervision et l’audit des finances publiques.
Le Contrôleur financier, en vertu du Décret n°2018-0009/P-RM du 10 janvier 2018, est chargé de vérifier la disponibilité des crédits et de s’assurer que les prix sont conformes aux mercuriales en vigueur. Cependant, dans ce cas, il semble que des failles dans le contrôle aient permis à ces irrégularités de se produire, sans intervention corrective.
Conclusion : Appel à la Rigueur et à la Transparence
Il est impératif que des mesures immédiates soient prises pour rectifier ces erreurs et éviter que de telles situations ne se reproduisent. L’AGEFAU, en tant qu’institution gestionnaire de fonds destinés à la promotion de l’accès universel, doit garantir une gestion transparente et conforme aux normes en vigueur. Il est crucial que des sanctions appropriées soient envisagées et que des mécanismes de contrôle plus stricts soient mis en place pour prévenir les détournements et les erreurs de gestion.
Les autorités doivent veiller à ce que la gestion des fonds publics se fasse dans un cadre rigoureux, en respectant les réglementations financières, afin de préserver la confiance du public et d’assurer le bon usage des ressources mises à disposition de l’AGEFAU.
Écarts sur les intérêts générés
L’équipe de vérification a constaté que l’Agent Comptable de l’AGEFAU n’a pas recouvré la totalité des intérêts dus sur ce dépôt à terme. En effet, entre le 5 juillet 2020 et le 5 juillet 2023, la BMS-SA a payé des intérêts au taux de 4.5% au lieu du taux contractuel de 5.25%. Cette différence a généré un écart de 409 317 101 FCFA, qui n’a pas été réclamé par l’Agent Comptable.
Le Mémo n°01 du 30 avril 2024, émis par l’équipe de vérification, a demandé des explications à la BMS-SA. En réponse, la banque a confirmé l’écart et a procédé à la restitution de la totalité de l’écart constaté, soit 409 317 101 FCFA, le 31 mai 2024, comme l’indique l’avis de crédit.
Des irrégularités dans la gestion des marchés
La vérification a aussi révélé que le Contrôleur financier a validé des marchés dont les prix unitaires sont supérieurs aux prix maximums fixés par la mercuriale des prix. Parmi ces irrégularités, il convient de noter :
- Marché n°03694/DGMP/DSP 2022 du 17 novembre 2022 pour l’acquisition de trois véhicules pour l’AGEFAU. Les prix des véhicules étaient de 37 152 000 FCFA et 135 175 000 FCFA respectivement, alors que la mercuriale des prix prévoyait un maximum de 27 800 000 FCFA et 97 200 000 FCFA.
- Marché n°03100/CPMP/PRIM-2021 du 23 août 2021 pour l’achat de consommables informatiques, où les cartouches d’encre HP 05a ont été facturées à 115 730 FCFA l’unité, bien au-dessus du prix unitaire maximum de 40 000 FCFA.
- Marché n°02946/CPMP/PRIM-2021 du 10 août 2021 pour la fourniture de matériels de bureau, avec des majorations de prix sur des équipements comme un climatiseur, une broyeuse, un réfrigérateur et un vidéoprojecteur, qui ont entraîné des surcoûts de 940 000 FCFA, portant le montant total des majorations à 58 376 300 FCFA.
Pour consulter l’intégralité du rapport du BVG, rendez-vous sur leur site officiel : www.bvg-mali.org.
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MLS
Source: Bamada.net