Le temps de la clémence chez les juges est révolu. Si les alertes sécuritaires, l’évolution malheureuse de la situation sécuritaire de notre pays avec la guerre que les séparatistes veulent encore imposer à la nation, ajoutés à l’irrédentisme terroriste auquel fait face notre armée depuis une décennie m’interpellent pas, la hausse vertigineuse des mandats de dépôt doit faire frémir.
Ce vendredi, l’administrateur de la Page Facebook ‘‘Kati Kounafoni’’ qui est à l’origine de la fausse alerte d’une voiture piégée stationnée à Kati, qui a avait créé, ce jeudi une grande frayeur dans la ville garnison, et même à Bamako, a été placé sous mandat de dépôt par le procureur du pôle spécialisé de lutte contre la cybercriminalité pour diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler l’ordre public. Son jugement est prévu pour le 26 octobre 2023. Un mois de purgatoire que sa corporation semble bien s’accommoder au regard de la gravité de la panique créée ?
En effet, après déploiement des services techniques, il s’est avéré que cela était une fausse alerte et que l’auteur de la vidéo n’avait aucune preuve de ce qu’il avançait. Il cherchait apparemment le «Buzz». Il faut aussi rappeler que ce jeune homme était l’auteur de la fausse alerte à la bombe dans le quartier de Sotuba que le commissaire d’alors avait regretté et condamné.
La liberté d’expression dont se servent, usent et abusent beaucoup de Maliens (et d’Africains) avec le développement d’Internet est consacrée dans notre tradition (ni te fo ne ma ni te fo ne ye, e te ke ma gnema ye) et dans la plupart des environnements juridiques. Elle est consacrée par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, dont se réfère le préambule de notre Constitution : «tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
La nouvelle constitution de notre pays constitutionnalise la liberté d’expression en son article 15 en précisant bien qu’elle a pour limite la loi : «la liberté de presse et le droit d’accès à l’information sont reconnus et garantis. Ils s’exercent dans les conditions déterminées par la loi. »
En d’autres termes, l’absolutisme dont se prévalent certains pour se poser en censeur ou en libertin voir anarchiste ne peut prospérer en tout lieu et en tout temps.
Au risque de contrarier la profession très jalouse de ses conquêtes et acquis, la liberté d’expression n’est et saurait être un absolu, surtout en temps de crise, comme la guerre asymétrique et à laquelle notre pays fait face depuis dix (10) ans et à la provocation séparatiste depuis quelques semaines.
La liberté de presse est sujette à de nombreuses limites que les activistes, vidéomans, photomans des réseaux sociaux, et surtout Facebook, ne doivent pas ignorer.
Point ne s’agit de brider la liberté d’expression de quiconque, dans un Mali où tout le monde s’improvise journaliste et communicateur avec un téléphone chinois et un forfait de 200 FCFA, mais d’effectuer un rappel des limites fixées par la loi.
Sous prétexte de liberté d’expression on ne peut porter atteinte à la vie privée et au droit à l’image d’autrui tout comme tenir certains propos interdits par la loi : l’incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse, l’apologie de crimes de guerre, les propos discriminatoires à raison d’orientations sexuelles ou d’un handicap, l’incitation à l’usage de produits stupéfiants, le négationnisme.
C’est une éthique et une exigence morale que se fait le journaliste de ne pas mentir et de ne pas tenir de propos diffamatoires. La diffamation se définissant par toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne. Il est possible pour se défendre d’une accusation de diffamation d’invoquer l’exception de vérité, c’est-à-dire de rapporter la preuve de la vérité de ses propos.
De cela, les vidéomans qui s’improvisent journalistes et tendent même à prendre leur place savent-ils ?
Ceux qui passent leur temps à injurier sur les réseaux sociaux doivent savoir qu’ils sont en porte-à-faux avec la loi et passible des rigueurs de celle-ci. Rien n’autorise l’injure, ni morale, ni la politique, encore moins l’ignorance.
Pour ceux qui pensent jouir de leur liberté avec des forfaits de 200 F CFA l’injure se définit comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait.
Il existe à l’attention des alter-journalistes et communicateurs, des limites spécifiques à la liberté d’expression telles que le secret professionnel, le secret des affaires ou le secret défense. Enfin certaines personnes, en raison de la fonction qu’elles occupent, sont tenues à un « devoir de réserve ». C’est le cas des fonctionnaires qui doivent exprimer leurs opinions de façon prudente et mesurée, de manière à ce que l’extériorisation de leurs opinions, notamment politiques, soit conforme aux intérêts du service public et à la dignité des fonctions occupées. Plus le niveau hiérarchique du fonctionnaire est élevé, plus son obligation de réserve est sévère.
Le sentiment d’anonymat et d’impunité sur internet est un leurre, les auteurs de propos répréhensibles peuvent être identifiés par une levée de l’anonymat et poursuivis comme dans le cas récent du vieux qui a copieusement injurié le président et le Premier ministre suite à l’attaque du bateau Tombouctou. Sur Internet, on ne peut échapper à la loi et surtout en temps de guerre. Y sommes-nous ?
Quand des individus s’opposent et bravent la nation malienne et lui déclarent la guerre, à notre humble avis, les euphémismes n’ont point droit de cité : ni dounou sera so dala, Moriba-Yassa don bana. Le Mali est la cible des factions terroristes alliées aux séparatistes depuis 2011. La situation sécuritaire doit susciter la retenue, faute d’empathie ; car le Mali est le seul héritage qu’on n’aura jamais. Alors, que chacun en prenne soin, l’épargne et épargne à la nation des déchirures et des pantalonnades. Nous avons eu suffisamment de frayeur pour être distraits des chercheurs de buzz qui inventent des alertes à la bombe, infraction que l’article 167 du Code pénal punit de trois mois à deux ans et d’une amende de 24.000 à 240.000 FCFA «ceux qui, par des voies et moyens quelconques, ont sciemment propagé dans le public des fausses nouvelles ou des allégations mensongères de nature à ébranler directement ou indirectement sa confiance dans le crédit de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics, de tous organismes où ces collectivités et établissements publics ont une participation… ceux qui, par les mêmes moyens et dans le but de provoquer la panique… ».
Par Abdoulaye OUATTARA
Info Matin