Il y a à peine un mois, le kg se vendait à 370 Fcfa dans la capitale du Kénédougou. Mais le prix a subitement chuté pour se stabiliser entre 175 et
200 Fcfa. Ce qui fait l’affaire des acheteurs, mais pas des cultivateurs qui se plaignent des difficultés liées à la production et à la commercialisation
À Sikasso, le premier trimestre de l’année, c’est la saison de la pomme de terre. Chaque samedi, les producteurs viennent écouler une grande partie de leur production au marché de Médine, appelé «soukounikoura» dans la capitale du Kénédougou. Il est 10 heures au marché «soukounikoura». Les discussions vont bon train entre acheteurs et vendeurs. On aperçoit beaucoup de camions, de véhicules Pick-up double cabine, de voitures, de tricycles à moteur et de charrettes à traction animale. Tous ces moyens de transport sont remplis de pomme de terre.Ce produit est beaucoup consommé dans notre pays. En effet, la saveur unique du ragoût de pomme de terre fait le succès de sa commercialisation. Souriant, le cultivateur Souleymane Ouattara de Zanso attire ses clients à la criée : «Vous voulez combien de kg de pomme de terre ? Le kg fait 175 Fcfa. Approchez, ne partez pas».
Ce vieux paysan affirme avoir commencé à cultiver la pomme de terre, il y a 30 ans. « Actuellement, je possède trois hectares», révèle-t-il. L’homme a la moitié du visage mangé par un cache-nez qu’il arbore contre la poussière. Chapeau et blouson bleu pour se prémunir de la fraicheur, l’expérimenté agriculteur révèle qu’il y a à peine un mois, le kg se vendait à 370 Fcfa. Mais le prix a subitement chuté pour se stabiliser entre 175 et 200 Fcfa. Cette dégringolade est la conséquence de l’implacable loi en vigueur sur tous les marchés : la fixation du prix d’une marchandise découle du rapport entre l’offre et la demande. Sachant que la culture de la pomme de terre rapporte rapidement de gros bénéfices, beaucoup de paysans ont investi ce créneau. C’est pourquoi pendant la période des récoltes, les marchés sont inondés de pomme de terre et les prix chutent.
Ce qui fait le bonheur des consommateurs, mais pas des producteurs. Le quinquagénaire Ouattara s’en plaint beaucoup. Il fait observer que le prix des semences qui est passé de 16.000 à 23.000 Fcfa, celui des engrais de 11.000 à 21.000 Fcfa. Il en appelle au gouvernement pour réduire les prix des semences et des engrais. L’autre difficulté majeure c’est le manque d’espace approprié pour conserver l’abondante production de pomme de terre. Comme Ouattara, beaucoup de producteurs sont obligés de construire des hangars pour conserver leurs récoltes.
ZONE DE PRODUCTION PAR EXCELLENCE. Habillé en «trois poches», le grossiste Inza Berthé, venu du village de Kemassounou, est assis dans son petit magasin. Il nous confie qu’auparavant, il pouvait vendre 4 tonnes de pommes de terre les samedis. Mais actuellement, la cherté de la vie a tout changé. «Nous prenons les semences et les engrais à crédit. Mais la loi du marché nous oblige à céder, à crédit aux clients, notre pomme de terre», se lamente Inza Berthé. Il ajoute que les méthodes de stockage de la pomme de terre ne sont pas satisfaisantes. Selon lui, les frais de conservation dans l’ancienne chambre froide de Sikasso coûtaient extrêmement cher. En plus, la chambre est située très loin des villages des cultivateurs.
Konimba Djourté est cultivateur à Bamadougou. Pour lui, le secteur connaît d’énormes difficultés. Certains paysans sont obligés de vendre des biens familiaux, notamment des bœufs pour acheter des semences. D’autres s’endettent pour acheter des semences. Après la récolte, ils sont obligés de rembourser les dettes. M. Djourté invite les administrateurs des banques et des caisses de microfinance à assouplir les conditions des prêts.
Dans notre pays, les besoins de consommation de pomme de terre sont estimés à 400.000 tonnes. Zone de production par excellence, la région de Sikasso produit 200.000 tonnes. Le président du Groupement interprofessionnel de la pomme de terre, Abdoul Karim Sanogo, assure que Sikasso demeure le plus grand bassin de production de pomme de terre. Même si les Régions de Ségou, Koulikoro, Kayes, Gao, Tombouctou, Mopti et Kidal en produisent une certaine quantité. Selon Mr Sanogo, plus de la moitié de la pomme de terre de Sikasso est vendue à Bamako et seulement 15% sont exportés dans la sous-région.
Par ailleurs, le responsable de la filière rappelle qu’il y a une dizaine d’années, la production nationale se chiffrait à environ 100.000 tonnes. «Aujourd’hui avec l’appui de l’Etat et des partenaires techniques et financiers, nous sommes à plus de 300 000 tonnes», précise-t-il. Les difficultés qui freinent la production, selon Abdoul Karim Sanogo, sont les aléas climatiques, le manque de subvention pour acheter les engrais spécifiques et les semences. Il insiste ainsi sur la hausse des coûts de production de la pomme de terre et le manque d’espace adéquat pour écouler la production à Sikasso. « Aujourd’hui, le marché de Médine est envahi par les lots à usage d’habitation. Si rien n’est fait dans deux ans, il n’y aura plus de place pour vendre la pomme de terre dans ce marché », prévient notre interlocuteur.
Concernant les difficultés liées à la commercialisation, le président du Groupement interprofessionnel affirme que de nos jours, les pertes avoisinent 24% de la production de la pomme de terre. Ces pertes sont chiffrées en milliards de Fcfa au détriment des producteurs. Et aussi, le marché de Médine n’étant pas couvert, le soleil contribue beaucoup à avarier la pomme de terre.
Pour répondre aux inquiétudes des producteurs, l’Etat malien et le Japon sont en train de construire un nouveau site de conservation d’une capacité de 3000 tonnes. Le coût de ce partenariat s’élève à 1,580 milliard Fcfa. Ainsi, les producteurs auront, à partir du mois de mars prochain, de nouvelles chambres de conditionnement de pomme de terre, en plus de l’ancienne dont la capacité est de 500 tonnes.
Le président du Groupement interprofessionnel de la pomme de terre et le directeur régional du commerce, de la consommation et de la concurrence de Sikasso, Seydou Kassogué, estiment que ces chambres permettront de conserver la pomme de terre pendant 8 mois et de stabiliser des prix rémunérateurs pour les producteurs. Il en découlera une augmentation de la production et la régulation du marché.
Mariam F. DIABATÉ
Source: Essor