A l’approche des commémorations du 20e anniversaire du génocide au Rwanda, le président Paul Kagame, souvent loué pour les progrès accomplis depuis par le pays, a perdu ces derniers mois les faveurs d’une partie de la communauté internationale.
Homme fort du Rwanda depuis 1994, M. Kagame suscite de plus en plus de critiques chez ses alliés occidentaux, notamment américains: déjà accusé de soutenir des rebelles recrutant des enfants-soldats en République démocratique du Congo (RDC) voisine, il est désormais soupçonné d’être derrière les éliminations de dissidents en exil.
Washington, soutien majeur du gouvernement Kagame depuis qu’il a renversé en 1994 le régime extrémiste hutu et arrêté le génocide, a ainsi fermement condamné le « meurtre » de Patrick Karegeya. Cet ancien chef des services rwandais de renseignements, autrefois proche du président rwandais et devenu un critique virulent, a été retrouvé mort le 1er janvier à Johannesburg.
Les Etats-Unis sont « préoccupés par la succession de ce qui semble être des meurtres à mobiles politiques d’exilés rwandais influents », a récemment déclaré une porte-parole du département d’Etat, Jen Psaki.
« Les récentes déclarations du président Kagame au sujet des +conséquences auxquelles doivent faire face ceux qui trahissent le Rwanda+ sont un grand sujet d’inquiétude pour nous », a-t-elle ajouté en des termes inhabituellement vifs envers le dirigeant rwandais.
« La trahison a des conséquences »
Quelques jours auparavant, M. Kagame, sans citer explicitement M. Karegeya, avait déclaré publiquement à Kigali que « la trahison a des conséquences ». « Face à quelqu’un n’ayant pas honte de détruire ce que nous avons mis du temps à construire, pour ma part je ne ressens aucun complexe à protéger ce que nous avons construit », avait-il expliqué.
Dans un entretien à l’hebdomadaire Jeune Afrique lundi, il a répondu de façon ambiguë à ceux qui accusent Kigali du meurtre.
« Dans le fond, peu m’importe » qui a tué Patrick Karegeya, a déclaré M. Kagame, le présentant comme un partisan du terrorisme. « On est tué comme on a soi-même tué. Chacun a la mort qu’il mérite », a ajouté le président, que ses adversaires accusent de gouverner sans partage et de bâillonner toute opposition réelle.
L’allié américain avait déjà pris certaines distances en juillet 2012 après un rapport de l’ONU accusant Kigali de soutenir le M23, groupe rebelle actif dans la riche province minière du Nord-Kivu, dans l’est de la RDC.
Kigali avait démenti, mais des diplomates attribuent au désengagement du Rwanda – sous intense pression internationale – la défaite fin 2013 du M23, écrasé par la pourtant faible armée congolaise épaulée par l’ONU.
« Les Etats-Unis étaient l’un des plus fervents partisans du président rwandais », appréciant sa « capacité à gérer, gouverner, faire avancer le Rwanda », explique Paul Simon Handy, de l’Institut des études de sécurité (ISS). Mais « l’administration Obama a une approche complètement différente des administrations Clinton et Bush », semblant « moins encline à tolérer les atteintes aux droits de l’Homme ».
« Culpabilité occidentale »
Selon un diplomate européen, la réticence à critiquer Kagame était longtemps due à « la culpabilité occidentale de n’avoir pas empêché le génocide et de s’être contenté d’observer » le massacre de près d’un million de Tutsi par des extrémistes hutu.
« On ne peut contester que Kagame a aussi fait beaucoup de choses positives pour le Rwanda. Son bilan en matière de corruption et de réformes économiques est un exemple pour le reste du continent », estime ce diplomate.
« Il a aussi apporté la paix et la stabilité au Rwanda, c’est indéniable. Le problème est que certains aspects de lui nous mettent, disons, profondément mal à l’aise », ajoute-t-il.
Kigali n’a cure des critiques. « Ce n’est pas la première fois qu’un responsable américain tente de faire la leçon à un chef d’Etat africain », a réagi l’ambassadeur rwandais à l’ONU, Olivier Nduhungirehe.
Quant à M. Kagame, il a dénoncé dans Jeune Afrique le « +deux poids, deux mesures+ avec lequel l’Occident prétend juger l’Afrique », disant « ne pas accepter la logique » selon laquelle « seules les grandes puissances ont le droit et l’intelligence de dire qui est terroriste et qui ne l’est pas, qui mérite son sort et qui doit être épargné ».
La ministre des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo a minimisé les critiques américaines, estimant que toute relation a « des hauts et des bas ».