Le Mali s’achemine-t-il vers une nouvelle crise de révision constitutionnelle après celle de 2017 ? On est tenté de répondre oui, au vu des divergences qui s’affichent au sujet de cette révision constitutionnelle imposée par l’extérieur aux autorités maliennes. En effet, sous la pression de l’ONU et de certains pays, le président Ibrahim Boubacar Keïta, après l’échec de 2017, a remis, le mois dernier, aux partis politiques et aux organisations de la société civile l’avant-projet de son « fameux » révision de la Constitution. Mais comme en 2017, plusieurs acteurs politiques et de la société civile ont déjà exprimé leur opposition, insistant sur la nécessité d’établir au préalable un dialogue politique national.
Le président Ibrahim Boubacar Keita semble déterminé à mener à terme le projet de révision constitutionnelle malgré l’échec de la dernière tentative en juin 2017. Alors même que les conditions à l’origine de la mobilisation populaire spontanée qui a contraint IBK à reculer le vendredi 19 août 2017, sont toujours de mise, quand elles ne se sont pas tout simplement empirées.
La précipitation du chef de l’Etat à mener une révision constitutionnelle malgré un contexte peu favorable peut être liée à la pression exercée sur lui par la « communauté internationale ». En effet, dans une déclaration (sous forme d’ultimatum adressé aux signataires de l’accord d’Alger) émanant du siège de l’ONU à New-York. Dans cette déclaration, il est clairement écrit, entre autres : « Le Conseil exhorte le Gouvernement malien et les groupes armés de la Plateforme et de la Coordination à continuer d’accélérer l’application de l’Accord au moyen de mesures sérieuses, significatives et irréversibles, à prendre de manière urgente. Il souligne l’importance d’une plus grande appropriation et priorisation de la mise en œuvre de l’Accord. Il encourage l’adoption par les parties maliennes d’une feuille de route révisée avec un calendrier clair, réaliste et contraignant, portant sur un nombre restreint de priorités, y compris l’aboutissement de la réforme constitutionnelle à l’issue d’un processus de collaboration et de participation, l’adoption d’un plan global en vue d’un redéploiement effectif des Forces de défense et de sécurité maliennes réformées et reconstituées vers le nord du Mali, ainsi que la création de la zone de développement des régions du nord… ».
Le chef de la Mission onusienne au Mali (Minusma), Mahamat Saleh Annadif abonde dans le même sens, il souhaite que le processus de révision de la constitution soit mené à son terme avant la fin de l’année 2019.
Alors questions : est-ce cette injonction émanant de l’ONU qui fait trembler le président IBK ? Est-ce parce que le Conseil de sécurité et d’autres donneurs d’ordres le veulent que le chef de l’Etat s’est-il précipité à engager le processus de révision constitutionnelle, malgré le désaccord autour de ce projet ? Des nombreuses voix l’affirment.
Des voix s’élèvent contre le nouveau projet de révision
En effet, si la plupart des acteurs politiques et de la société civile sont d’accord sur la nécessité de réviser la constitution de 92, des divergences sur la manière d’aborder la révision demeurent fortes. Le cadre national de concertations dirigé par le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation (MATD) est boudé par de nombreux partis politiques. Celui-ci est pourtant censé se faire avec le gouvernement, les partis politiques, les organisations de la société civile mais aussi les groupes armés.
Plusieurs partis ont même décliné l’invitation d’IBK de se rendre à Koulouba, le 11 avril dernier. C’est le cas, notamment du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) qui regroupe des partis de l’opposition, dont l’Union pour la République et la démocratie (URD) de Soumaïla Cissé, ainsi que des organisations de la société civile.
Pour cause, Nouhoum Togo, un des porte-parole de l’opposition, précise que cette dernière n’a pas été associée à l’élaboration du document. « Nous n’étions pas associés à ce travail. Il y a des procédures à respecter et on ne se reconnaît pas dans ce projet de Constitution qui ne nous engage pas non plus », affirme-t-il, en reconnaissant tout de même que l’URD, parti du chef de file de l’opposition avait bien élaboré un document qui a été remis aux experts chargés de la révision de la Constitution.
« Toute réforme doit découler d’un dialogue politique national. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui », renchérit pour sa part Nouhoum Sarr, également membre du FSD et président du parti FAD. « La question de réformer la Constitution doit être posée aux Maliens au cours d’une conférence nationale. Mais cela n’est pas leur priorité aujourd’hui. Les Maliens veulent la fin des massacres, des tensions sociales et la relance de l’économie », ajoute celui qui a été porte-parole de Soumaïla Cissé lors de la présidentielle de 2018.
Un avis que partage Mohamed Youssouf Bathily alias Ras Bath, porte-parole du Collectif pour la défense de la République (CDR), en pointe lors des manifestations contre la révision de la Constitution en 2017. Pour l’activiste, « aucune réforme ni révision ne saurait être conduite dans le contexte politique et sécuritaire actuel ».
Les FARE An Ka Wuli estiment que la situation de crise politique au Mali, exacerbée par la controversée élection du Président de la République de juillet et août 2018, avec ses épisodes de marches réprimées, exige que les fils du Mali (politiques et société civile) se réunissent, se parlent et s’entendent pour sortir le pays du mauvais pas où il est engagé depuis 2012, avant tout processus de révision constitutionnelle.
Le RDPM de l’ancien premier ministre, Cheick Modibo Diarra s’oppose aussi à tout processus de révisons constitutionnelle.
Même avis tranché de la part du CNAS Faso Hère qui s’oppose farouchement à toute révision de la constitution de 1992. Le parti de Soumana Sacko estime que « la constitution de 1992 n’est certes pas le coran, ni la bible encore moins une parole d’évangile mais elle mérite respect à cause du sang des martyrs. Les raisons évoquées ne sont pas valables, qu’ils nous montrent les failles. Qu’on laisse en paix notre constitution sinon ils nous trouveront sur leur chemin ».
Un échec comme en 2017 ?
C’est la quatrième tentative de révision de la Constitution de 1992. Tous les présidents de l’ère démocratique ont tenté sans réussir la réforme de la Loi fondamentale.
En 2017, cette révision s’est heurtée à une forte opposition des populations à travers le mouvement “An tè A banna” dans tout le pays.
Les acteurs du mouvement avaient reproché au président IBK de vouloir prendre notre démocratie en otage et de surcroit de n’avoir pas pris en compte les critiques objectives de l’opposition politique. Finalement, IBK avait reculé face à l’amplification de la contestation populaire contre le projet qui lui tenait tant à cœur. Cette décision du président avait constitué une victoire pour les détracteurs du projet réunis au sein d’une plate-forme « Touches pas à ma constitution », un regroupement de partis politiques, d’organisations de la société civile et de diverses associations qui estiment que cette révision est opportune au regard de la situation que traverse le pays.
Depuis le début de la procédure, la plate-forme avait organisé plusieurs gigantesques manifestations à Bamako et dans les autres grandes villes du pays, ainsi qu’à l’extérieur. La contestation populaire était si forte que le gouvernement a dû déjà, le 21 juin 2017, reporter le référendum prévu dans un premier temps le 9 juillet 2017.
Le président IBK avait estimé à l’époque que l’initiative, qui a pourtant reçu l’onction du Parlement et de la Cour Constitutionnelle, n’a pas été suffisamment expliquée aux maliens. Après avoir reçu tour à tour les principaux acteurs politiques, associatifs et religieux du pays, le chef de l’Etat malien a fini lui-même par se convaincre que les explications « peinent à être entendues et acceptées ». D’autant que parallèlement, la contestation des opposants au projet n’a pas faiblit d’un iota.
L’échec de la tentative de révision de 2017 illustre le fossé existant entre les attentes des Maliens et l’action publique. Pour rappel, l’installation du Parlement malien, à la suite de l’élection législative de décembre 2013, avait marqué une étape cruciale dans le processus de sortie de crise du pays. L’une des principales préoccupations des populations étaient de voir cette institution, longtemps perçue comme une « caisse de résonance » du gouvernement, jouer un rôle plus déterminant dans le processus législatif. L’action du Parlement était donc très attendue dans la mise en œuvre des réformes envisagées.
Or, le 3 juin 2017, avant la décision du président, le Parlement avait adopté le projet de révision de la Constitution avec 111 voix pour et 35 contre. L’Assemblée nationale, alors même qu’elle disait avoir mené des consultations, n’avait pas su prendre la mesure des réticences et des réserves face à cette révision constitutionnelle mettant ainsi en perspective sa déconnexion des attentes de nombreux Maliens.
La polarisation de l’opinion publique nationale entre le « oui » et le « non » à cette réforme avait fini par créer une tension palpable dans la population.
La révision constitutionnelle, malgré qu’elle soit présentée par le président de la République et le gouvernement comme une « exigence » de l’Accord pour la paix et la réconciliation, a fait l’objet de contestations populaires d’où la nécessité d’une meilleure inclusivité du processus.
La mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation ainsi que les réformes qui en découleront sont nécessaires, mais elles ne pourront avoir un effet stabilisateur que si la population y adhère.
Il incombe non seulement aux parties signataires, mais aussi aux autorités maliennes et aux partenaires engagés dans le processus de paix, d’impliquer davantage toutes les forces vives de la nation.
Mémé Sanogo
L’Aube