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Retour à l’ordinaire

Lassana Bathily Le magasinier malien de l’Hyper Cacher, naturalisé français grâce à son action lors de la prise d’otages, aspire à retrouver l’anonymat.

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Les attentats de janvier 2015 ont généré un curieux effet papillon. Alors que les scènes d’horreur se sont déroulées dans les XIe et XXe arrondissements de Paris, les effets les plus incongrus ont été ressentis jusque dans un petit village du Sahel malien. A quelques heures de route de Kayes, dans le grand nord-ouest du pays, le village de Samba Dramané trône depuis les temps immémoriaux sur une brousse erratique. Il y a peu, les maisons s’endormaient avec le bruit du bétail rentrant à l’enclos et la lumière cuivrée du soleil couchant. Désormais, l’électricité irradie les rues, un dispensaire guérit les souffrants et la population profite d’un flamboyant château d’eau. Tout cela, les villageois le doivent à Lassana Bathily, l’ex-employé de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, décidément bienfaiteur en ce bas monde.

Le 20 janvier 2015, le Malien, passé d’anonyme à super-héros en moins de temps qu’il n’en faut pour y penser, sort de l’Hôtel de Beauvau, radieux, sa naturalisation en poche. La France le remercie avec force ostentation d’avoir tenté de dissimuler des otages au terroriste Amedy Coulibaly. Dans l’élan, Bathily lance une fondation (1), entendant transformer une notoriété tonitruante en dollars redistributifs. Mais de conte de fées, le roman vire vite au cadeau empoisonné. Bathily devient le psychotrope d’un pays névropathe. Un placebo donné à une société bardée de spasmes identitaires, raide comme une queue-de-pie dès que la laïcité entre en scène.

Le héros musulman existerait donc, combattant âprement le monstre venu des mêmes cieux. Le comble de l’embarras est atteint avec la vanne lourdingue de François Hollande qui le convie dans le jardin d’hiver de l’Elysée : «Ah, voilà mon Français préféré !» Lassana Bathily n’a alors que 25 ans et, pour le taciturne qu’il est, outre que le costard taille trop grand, la scène lui provoque des nœuds à l’estomac. Concomitamment, sa mère restée à Samba Dramané l’informe par téléphone du décès de son petit frère Boubakar, 19 ans, terrassé par une maladie.

Avec Libé, le jeu de chat et la souris le plus kafkaïen de l’histoire aura duré quinze mois. Comme de nombreux confrères, le journal tente de rencontrer Bathily peu après la prise d’otages de l’Hyper Cacher, intrigué par cet homme sur lequel le pays projette tant de fantasmes. En tout et pour tout, nous ne recevrons que ce mail robotique à souhait, d’une dénommée Agnès, qui, à n’en pas douter, a quelques notions de com :«Lassana vous remercie. […] Il aurait aimé répondre personnellement à chacun d’entre vous. […] Il compte sur vous, à son retour, pour soutenir tous ses projets.» C’est que le sentant ployer face au tsunami, ses quelques proches en France forment rapidement un cordon sanitaire pour contenir la presse, et œuvrent à son exfiltration vers le Mali. Parmi eux, entre autres, Denis Mercier, le parrain RESF (Réseau éducation sans frontières) de Bathily, et Abdoulaye, un cousin bossant à la mairie d’Alfortville (Val-de-Marne). Quant à la mystérieuse Agnès, elle demeure introuvable, le 07 associé au mail bamakoparis2015@gmail.com étant invariablement sur boîte vocale…

Vient ensuite le temps de l’hiver nucléaire. Dans un article de juin 2015,Libération donne la parole aux otages restés terrés de longues heures dans la chambre froide située au sous-sol du supermarché. Lassana Bathily leur propose alors de fuir avec le monte-charge. Deux d’entre eux, Yohann et Jean-Luc, décrivent la scène ainsi dans nos colonnes : «Il nous disait qu’on allait pouvoir déboucher à l’étage sur la sortie de secours, et fuir. […] Mais c’était super risqué. La sortie de secours, je n’avais pas réussi à l’ouvrir et à l’étage, il y avait le tireur.» «C’est vrai qu’il nous a proposé ça. […] Mais nous, on s’est tous dit : c’est la mort assurée. Le monte-charge fait du bruit, et il n’y a pas de place pour tout le monde.» Lassana Bathily est alors en pleine tournée américaine – invité d’honneur des communautés juives et musulmanes – et ne répond pas aux appels de Libé. Informé par un cousin à son retour, il dit avoir été «trahi», «anéanti», «blessé». L’extrême droite se déchaîne, l’accusant d’avoir menti sciemment pour obtenir des papiers, de n’avoir caché personne et d’être un Superman de pacotille. Le nombre d’insultes supplante désormais celui des demandes d’interviews – près de 700 en un an, dont 550 refusées. Lorsque son livre Je ne suis pas un héros (2) sort il y a quelques semaines, il demande à son éditeur de blacklisterLibération.

Finalement, on l’entretient début mars dans une petite pièce du cabinet de son avocate et conseillère Samia Maktouf. Bathily désire fumer le calumet de la paix. Plus timide tu meurs : ses réponses n’excèdent jamais les sept mots. La charge du contentieux semble peser le poids de l’univers. On met les pieds dans le plat. Il s’excuse pour le boycott. On s’excuse pour la surexposition. Il s’excuse encore. On s’excuse une fois de plus. Son histoire est à la fois félicité et tourmente. Il dit qu’il ne regrette rien mais que s’il avait droit à un vœu, il opterait pour la renaissance éternelle de l’anonymat. Il a l’insouciance d’un pinson et la gentillesse d’un camelot. Son histoire est celle, bègue, des milliers d’Africains venus trimer en Europe. C’était en 2006 : un vol pour Bâle, un train pour la gare du Nord. Un matelas dans un foyer de compatriotes. Le labeur le jour, les palabres en soninké la nuit. Le week-end ? L’ennui, la bienveillance de peu et le racisme des anxieux. Pas de femme. Lassana en garde la sensation «d’être tombé dans un puits sans lumière tant les premiers mois ont été tristes.»

Son auréole l’a porté d’un sous-Smic à l’Hyper Cacher à un vrai Smic à la mairie de Paris. Il est aujourd’hui en CDD et s’occupe de la technique au stade Charléty. Il est «content mais bientôt en fin de contrat». Le soir du 13 Novembre, Lassana rentre chez lui à pieds quand le terrorisme électrise sa vie à nouveau. Il habite à une poignée de numéros du Bataclan. Confiné une bonne partie de la nuit dans un bar, il regarde passer les blessés et se terre sous sa fidèle casquette. Candide, il dit aimer «être libre», ce qui revient parfois à «être seul». Samia Maktouf estime que son héroïsme réside dans sa capacité fulgurante à être resté lui-même. «Lassana, c’est un moment de sérénité dans une vie», confie-t-elle, conquise. Lassana Bathily rebaptiserait bien son livre «Laissez-moi vivre !» Ce soir-là, il rejoint des potes pour jouer à la console et languit d’être samedi, jour où il assure le capitanat du FC Africa, un club de foot qui sévit dans le nord de Paris.

27 juin 1990 Naissance à Bamako.

10 mars 2006 Arrivée en Europe.

juin 2012 Obtention de deux CAP, carreleur et peintre.

9 janvier 2015 Prise d’otages à l’Hyper Cacher.

20 janvier 2015 Naturalisation place Beauvau.

Willy Le Devin

Source: Liberation.fr
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