Kasperczak s’engage dans un challenge différent de celui de 2002, mais en se mettant à lui-même une pression quasi similaire
Modération dans le ton, mais assurance dans le propos. Lundi dernier, lors de sa conférence de presse, Henrik Kasperczak pouvait s’épargner la prudence qu’aurait naturellement observée tout étranger se risquant sur un territoire inconnu. Il a donc logiquement opté pour la franchise de l’hôte de retour sur une terre amie, affichant sans réserve sa confiance dans la qualité du groupe qu’il s’apprête à prendre en mains et son optimisme quant aux résultats escomptés. Le technicien polonais est d’autant plus persuadé d’effectuer un retour gagnant que son premier séjour malien en 2001-2002 n’est jalonné que de souvenirs positifs. Kasperczak avait réussi une réelle prouesse sportive en amenant en demi-finale de la CAN une équipe construite en l’espace de six semaines et au fil de onze matches livrés tambour battant. Il avait monté un groupe compétitif à l’intérieur duquel cohabitaient déjà de forts tempéraments, mais qui n’était aucunement gangréné par la bataille des egos. Et il avait vécu une Coupe d’Afrique des nations imprégnée d’une ferveur populaire indescriptible et qui jusqu’aujourd’hui encore constitue une parenthèse unique dans l’histoire de notre football.
Lors des quatre mois passés dans notre pays, Kasperczak, grand voyageur du ballon rond, a sûrement acquis la conviction que le Mali était indiscutablement une terre de football, qui ne peut certes pas échapper aux coups du sort et aux dégâts des gestions erratiques, mais qui conservera toujours intactes sa capacité à se reconstituer et son aptitude à rebondir. Fort de cette certitude et ayant évalué notre potentiel actuel, il s’est lancé un défi que certains trouveront osé, celui de la conquête du trophée continental en 2015. La barre est-elle placée trop haut comme elle l’avait été il y a quelque temps par des dirigeants du précédent bureau de la Fédération malienne de football ?
Ceux-ci n’avaient d’ailleurs pas hésité à surcharger la pirogue des ambitions en y ajoutant une qualification pour la Coupe du monde 2010. Les annonces de l’ex FMF et du technicien polonais semblables dans leur contenu sont, à notre avis, différentes dans leur essence. Auparavant, elles relevaient de la pure incantation, ne s’appuyant sur aucun véritable projet, faisant l’impasse sur les erreurs commises aussi bien dans la préparation de l’équipe que dans la gestion de la compétition. C’est pourquoi les déroutes comme celle subie de Luanda ont été si amères, pourquoi les demi-succès enregistrés au Gabon et en Afrique du Sud laissaient un arrière-goût d’insatisfaction, pourquoi le public ressentait une vraie lassitude à se voir infliger ce qui ressemblait à un éternel recommencement.
DANS UN APPRENTISSAGE ACCÉLÉRÉ-Ce que Kasperczak se propose de faire aujourd’hui, c’est un gros travail à accomplir auprès d’une sélection qui intégrera l’objectif du sacre continental comme un défi «atteignable» ; qui ne s’autorisera aucun relâchement dans sa recherche de la performance; et surtout qui aura tiré en toute lucidité les leçons du passé. Le nouveau sélectionneur a d’ailleurs délivré un signal qu’il faut interpréter à sa juste signification. En signant pour 14 mois, le patron des Aigles s’applique à lui-même une règle implacable du football de sélection nationale : ce n’est qu’en obtenant des résultats significatifs sur le court terme que l’on acquiert le droit de travailler sur le long terme. Ce qui signifie prosaïquement que pour pouvoir asseoir un vrai projet de jeu, il faut d’abord réussir l’opération commando de la qualification et du bon parcours en tournoi final. Le principe fait sans doute grimacer les puristes, mais il vaut autant pour les ténors confirmés que pour les nations ambitieuses au nombre desquelles nous nous efforçons de figurer. Henrik Kasperczak est persuadé de disposer d’un effectif à hauteur de son ambition, mais à qui il faudra certainement apprendre à exprimer de manière plus élaborée une culture de la gagne jusqu’ici embryonnaire. En 2001, l’entraîneur des Aigles avait lancé ses troupes dans un apprentissage accéléré et n’avait pas lésiné sur la difficulté des épreuves à passer. Au sortir d’une Coupe Cabral très peu satisfaisante sur le plan aussi bien de la qualité de l’opposition que du résultat final, il avait soumis ses poulains à un véritable parcours du combattant : six matches amicaux livrés entre le 5 décembre 2001 et le 10 janvier 2002 contre des sparring partners qui étaient des sélections haut de gamme pour quatre d’entre eux. L’Egypte et le Maroc furent défiés sur leur propre terrain. Tandis que les matches contre la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Zambie et le Burkina Faso furent livrés sur les terrains de nos capitales régionales.
Au final, le bilan chiffré n’était sans doute pas très reluisant : deux victoires, trois nuls et surtout une terrible défaite (0-3) concédée aux Éléphants à Sikasso. Mais l’essentiel n’était pas là. Au bout de ses essais, le sélectionneur tenait l’ossature de son équipe avec le portier Maha, les défenseurs Police, Boubacar Diarra «Becken», Fousseyni Diawara et Daouda Diakité, les demis récupérateurs Djila et Djiibril Sidibé, les attaquants Bassala Touré, Seydou Kéita et Mamadou Bagayogo. Le brassard de capitaine fut attribué à Soumaïla Coulibaly qui le conserva jusqu’à la fin de la compétition en dépit de ses prestations en demi-teinte. Le noyau dur ainsi constitué et dont la plupart des éléments n’était pas des titulaires indiscutables au début de la préparation, a (comme on le dit) bien voyagé. Il a été stoppé par «l’accident industriel» survenu en demi-finale quand les Aigles ont payé au prix fort le choix de l’attentisme pratiqué en première mi-temps face au Cameroun (0-3 dont deux buts encaissés aux 40ème et 45ème minutes).
EN TIRANT LE FREIN À MAIN-Pour sa seconde mission, Kasperczak ne reconduira certainement pas à l’identique sa méthode antérieure puisqu’une bonne partie du matériau humain dont il dispose s’est déjà rodée à la compétition internationale. Les matches tests qu’il se propose de faire livrer contre des adversaires de haute volée auront comme but de déceler ses futurs hommes de base, ceux qui tiendront la baraque aussi bien que ceux qui feront vivre les schémas tactiques. Les Aigles de 2002 savaient alterner l’abnégation (le nul 0-0 en match de poule contre le redoutable Nigéria) et l’inspiration (les promenades inattendues réussies avec une aisance incroyable face à l’Algérie et à l’Afrique du Sud sur le même score de 2-0). Ils ne rechignaient pas au baroud d’honneur quand la cause semblait perdue (la deuxième mi-temps contre le Cameroun et le match de classement perdu devant le Nigéria 0-1).
C’est cette polyvalence tactique qui manque aujourd’hui à notre sélection nationale. La première lacune qui saute aux yeux est que l’E. N. affiche des limites affligeantes dans son expression offensive. Elle se montre peu incisive quand se pose à elle la nécessité de remonter un score, même face à des adversaires à sa portée. Tout comme elle donne l’impression de jouer en tirant le frein à main dans des rencontres où elle n’a absolument rien à perdre. Ces lacunes majeures ont été flagrantes lors des demi-finales disputées au Gabon et en Afrique du Sud. Elles ont été pénalisantes à l’extrême dans les matches qualificatifs pour le Mondial 2014 contre le Rwanda et le Bénin à Bamako. Elles obligent donc la sélection à franchir un palier qualitatif si elle vise autre chose que les accessits. Les Aigles ont le potentiel pour faire mieux et plus fort. Cela, Kasperczak le sait, lui qui parait déterminé à dépasser les sempiternels regrets pour leur substituer la volonté de conquête.
L’entreprise n’est pas des plus simples. La sélection nationale ne souffre pas d’un déficit de qualités morales, mais d’une absence de style. Le potentiel dont elle dispose contraste cruellement avec la pauvreté de son fond de jeu. Et elle s’en remet trop souvent à la seule clairvoyance de son leader moral, Seydou Kéita.
Les Aigles se trouvent donc à la croisée des choix. Le Néerlandais Beenhakker, entraîneur du Réal de Madrid à la fin des années 1980, disait que «les grandes équipes n’ont pas de rêves, tout justes des ambitions». Notre pays ne possède pas encore une grande équipe. Mais il peut en avoir une très bonne. Et cela l’autorise déjà à être ambitieux.
G. DRABO
Source: L’Essor