Incident de séance
C’est ainsi qu’il sera notamment l’avocat de l’ancien président libérien Charles Taylor, lors de son procès devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone. La chronique se souvient d’un accrochage avec la juge, alors que Karim Khan menaçait de quitter la salle d’audience à cause de l’absence de son client, qui refusait de comparaître – et fut finalement condamné à 50 ans de prison en 2012. Karim Khan fut aussi le défenseur de Saif Al-Islam Kadhafi, le fils du dirigeant libyen. Mais inversement, il représentait les parties civiles lors du procès du tortionnaire cambodgien Duch en 2009 et 2010.
Une élection ric-rac
L’élection de Karim Khan au poste de procureur de la CPI en 2021, pour un mandat de neuf ans non renouvelable, avait déjà fait couler beaucoup d’encre à l’époque. Le troisième procureur de l’institution internationale depuis sa création en 2002 n’avait pas bénéficié du même consensus que ses deux prédécesseurs, Fatou Bensouda et Luis Moreno Ocampo. Karim Khan a été élu le 12 février 2021 avec seulement 72 voix sur 123, dont une moitié de suffrages venus des États membres africains.
Le rôle du Kenya dans son accession au poste avait notamment été pointé du doigt : Nairobi aurait poussé sa candidature alors qu’il ne figurait pas dans la liste finale des principaux favoris. Le nouveau procureur était l’avocat de William Ruto, lorsque les accusations contre celui-ci de crimes contre l’humanité ont finalement été abandonnées par la CPI en 2016. 16 des 42 témoins de l’accusation avaient démenti ou modifié leur témoignage avant le procès, amenant à un non-lieu en faveur de celui qui est devenu depuis président du Kenya. Si Karim Khan n’est pas accusé d’avoir favorisé leur subornation, il avait dû, à l’époque, assurer dans une lettre ouverte qu’il avait fait son possible pour l’empêcher.
Origines
La consonance de son nom agite les réseaux sociaux, depuis son entrée en scène dans le dossier israélo-palestinien, que certains mettent en avant pour questionner son indépendance. Karim Khan est le fils d’un dermatologue pakistanais et d’une infirmière britannique. Par sa filiation, il appartient à la communauté ahmadie, un courant de l’islam né au Pendjab au XIXᵉ siècle, alors sous mandat britannique, et considéré par les autorités de ce qui est désormais le Pakistan comme étant “non-musulman”.
La communauté des Ahmadis est régulièrement attaquée au Pakistan où elle compte entre 5 et 7 millions de membres, notamment sous l’accusation de blasphème. Des millions d’adeptes de ce courant ont émigré, principalement pour l’Inde voisine, mais aussi dans les pays européens. On peut relever que plusieurs milliers d’entre eux sont installés en Israël, qui serait, selon le journal Times of Israel, le seul pays du Proche-Orient où ils peuvent pratiquer ouvertement leur culte.
Ciblé par le Kremlin
Depuis son accession au poste de procureur de la CPI, Karim Khan s’est signalé par sa reprise de l’enquête sur les crimes commis par les Talibans et l’État islamique en Afghanistan. Un dossier qui lui est familier, puisque c’est lui qui, en 2018, avait dirigé l’enquête spéciale des Nations unies, concluant sur un génocide perpétré par l’État islamique sur les Yézidis en Irak.
C’est lui aussi qui avait demandé un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine pour crimes de guerre, délivré en mars 2023, fondé notamment sur les exactions russes menées dans la ville martyre ukrainienne de Boutcha. Un acte qui lui a valu d’être placé sur la liste des personnes recherchées en Russie.
Le 29 octobre dernier, Karim Khan s’est rendu au point de passage de Rafah, dans la foulée du raid meurtrier du Hamas et du début de l’offensive israélienne à Gaza. S’il avait alors dénoncé la prise d’otages par l’organisation islamiste, il avait aussi rappelé que l’entrave israélienne à l’aide humanitaire pouvait constituer un crime relevant de la compétence de la CPI. Dans sa déclaration après sa visite au Proche-Orient, Khan faisait une référence explicite au Coran et à Moïse, estimant que les religions juive et musulmane dénonçaient toutes deux les crimes contre des innocents, des “préceptes fondamentaux à partir desquels le droit a été créé”.
Ce lundi 20 mai, Karim Khan a demandé à la CPI l’émission de mandats d’arrêt contre Benyamin Nétanyahou et le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant pour des crimes tels que “le fait d’affamer délibérément des civils”, “homicide intentionnel” et “extermination et/ou meurtre”. Il a également demandé des mandats contre les dirigeants du Hamas Yahya Sinouar, Ismaïl Haniyeh, et Mohammed Deif. Les juges de la CPI doivent désormais décider d’accorder ou non ces ordres d’arrêt, qui seraient dès lors exécutables sur le territoire de chacun des 124 membres de l’instance internationale.
Source : TF1 Info