Avec notre correspondante à Kiev, Anastasia Becchio

Quel rôle Ioulia Timochenko peut-elle encore jouer dans l’opposition ? En prison pour sept ans pour abus de pouvoir, sa libération ou son transfert à l’étranger pour des soins médicaux était la condition de l’UE pour la signature d’un accord d’association avec l’Ukraine… suspendu in fine par le pouvoir. L’ex-Première ministre a cependant mis fin à sa grève de la faim, entamée le 25 novembre, contre le rejet par Kiev d’un accord d’association avec l’Union européenne.

Actuellement hospitalisée à Kharkhiv, dans l’Est du pays, elle ne peut pas s’exprimer directement. Elle purge une peine de sept ans de prison pour abus de pouvoir. Mais l’ancienne chef du gouvernement, très charismatique, continue d’exercer une influence

sur les événements qui se déroulent en Ukraine. Bien sûr, de sa prison, sa voix porte moins que lors de la Révolution orange de 2004, qui avait amené au pouvoir le pro-occidental Victor Iouchtchenko. L’égérie de la Révolution Orange, comme on l’appelait, jouait alors un rôle de tout premier plan.

Cette fois, elle n’est évidemment pas sur le devant de la scène, mais elle est quand même présente, notamment à travers des slogans tels que « Liberté pour Ioulia », régulièrement scandés sur la Place de l’Indépendance. Sa photo géante a d’ailleurs été affichée même si cela ne fait pas l’unanimité. Ioulia Timochenko y apparaît avec sa natte blonde enroulée autour de la tête – sa “marque de fabrique”. Elle a aussi été incluse dans les organes dirigeants d’une structure nouvellement créée, le Mouvement populaire de Maidan, qui réunit politiques et représentants de la société civile en lutte contre le pouvoir en place et pour un rapprochement avec l’Europe.

Une grève de la faim en signe de solidarité

Mais Timochenko envoie surtout des messages aux manifestants sous forme de lettres qu’elle transmet à son avocat ou à sa fille. C’est dans une de ses lettres qu’elle avait affirmé avoir débuté une grève de la faim en signe de solidarité avec les manifestants. A plusieurs reprises, elle a appelé les gens présents sur la place à ne rien lâcher et à continuer à manifester tant qu’ils n’obtiendraient pas gain de cause. Ses appels ont-ils eu une influence tangible sur le mouvement ? Difficile à mesurer.

Sur la place, nombreux sont les gens qui se méfient des politiques, surtout ceux de la génération de Timochenko qui ont pu les décevoir par des promesses non tenues ou par des agissements troubles… Ce qui est sûr, c’est que Ioulia possède un charisme qui fait défaut aux autres chefs de l’opposition, plus jeunes et beaucoup moins expérimentés.

Timochenko est réellement quelqu’un de fort, elle a des ressources. Et face à l’enlisement que connaît aujourd’hui le mouvement, on entend ici et là des commentaires du genre «Ioulia, aurait fait mieux». Il y a une certaine nostalgie de Timochenko – qui aurait peut-être su mobiliser plus massivement les gens. Mais ses idées ne sont pas toujours suivies. Elle était partisane, par exemple, de la manière forte… Elle avait appelé, dans l’une des ses lettres, les manifestants à marcher sur la présidence… Mais les autres dirigeants de l’opposition ne l’ont pas suivie. Au contraire, ils ont tenté de calmer les ardeurs des plus déterminés en insistant sur le caractère pacifique de ce mouvement…

Des liens ont-ils été établis entre elle et Vitaly Klichko, un des trois leaders du mouvement d’opposition ukrainien, et le plus populaire parce que c’est un boxeur de renommée mondiale ? Et avec le nationaliste Oleg Tiagnibok ? Difficile de savoir si elle correspond avec Klichko mais les politologues ne l’excluent pas. Ce qui est sûr, c’est que de sa prison, elle essaie de garder la main sur les processus politiques au sein de l’opposition et surtout de son parti – qui ne doit pas lui échapper au profit d’Arséni Iatseniuk, du parti La Patrie de Ioulia Timochenko, et qui est en train de se faire une bonne expérience sur la scène de la place de l’Indépendance.

Timochenko continue d’exercer une influence au sein de son parti et en particulier auprès de certains membres du mouvement, mais en même temps, celle-ci diminue à mesure que d’autres figures émergent, comme par exemple celle de l’un de ses proches, qui a été son ministre l’Intérieur, Iouri Loutsenko, récemment sorti de prison.

Ce qui est sur, c’est que l’opposition doit se trouver un candidat unique si elle veut être en mesure de battre Ianoukovitch aux prochaines élections. Ce candidat sera-t-il issu du plus grand parti d’opposition, le parti de Timochenko, auquel cas ce serait Arséni Iatseniuk… Mais celui-ci, selon les sondages d’opinion, réaliserait un plus mauvais score que Vitaly Klichko.

Timochenko va-t-elle préférer, comme d’autres, soutenir la candidature de Klichko ? Il faut avoir en tête que Ioulia Timochneko est une femme de pouvoir. Et qu’en cas de victoire de Klichko, elle n’est pas sûre d’obtenir le poste de Premier ministre qu’elle convoite, car celui-ci pourrait le promettre à Iatseniuk, en échange de son soutien. Et un cas de figure similaire se présenterait si Iatséniuk était candidat. Bref, dans tout ça, Ioulia doit habilement manœuvrer pour ne pas risquer de se retrouver complètement hors jeu.

RFI