Cheick Diallo est un homme que la nature a doté de deux qualités qui vont ensemble : une intelligence extraordinaire à l’école et une technicité inégalée en football. Ses anciens camarades du second cycle et du lycée l’appellent Pythagore, pour sa connaissance des mathématiques.
Paradoxalement, le football était en quelque sorte son dernier souci. C’est-à-dire qu’il n’a pas pensé un seul jour faire carrière dans la discipline.Après avoir raté un contrat au Portugal, celui que l’on surnomme ” Le Seigneur ” décline l’offre du WAC de Casablanca, au motif que son talent lui valait mieux que d’évoluer en Afrique. Fils à papa, il est parvenu à s’imposer au Djoliba à un moment où la rivalité pour les postes était au top au sein du club rouge, avec des sommités comme Idrissa Traoré ” Poker “, Moussa Koné ” Temple Of Heaven “, Bréhima Traoré dit Allah ka Bourama et Mamadou Doumbia ” Ouolof “, entre autres. Il ne s’en est point soucié, convaincu que personne ne peut l’arrêter lorsqu’il décide de dribbler ou de marquer un but. Un atout déterminant dans tout contexte de concurrence. Néanmoins, Cheick savait et en était persuadé que tous les joueurs cités plus haut étaient ses ainés et ses maîtres. Donc seul le travail pouvait lui ouvrir les portes d’un bel avenir au Djoliba et en équipe nationale. Cheick Diallo réussira bien sûr ce pari. Mais contre toute attente, le héros du jour de notre rubrique ” Que sont-ils devenus ? ” prendra une retraite anticipée. Pourquoi ? La réponse dans cet article.
Cheick Diallo est l’un des rares joueurs que nous avons connus dans le quartier avant qu’il ne se donne une renommée sur le plan national et international. C’était au début des années 1980 au FC Union de Niomirambougou dans lequel son père était le principal bailleur. Et l’un de ses grands exploits dans les rues est cette finale de la coupe Udpm, qui a opposé en septembre 1983 son équipe au FC Kotontala du Badialan III Kodabougou.
Très jeunes à l’époque, nous sommes retournés à la maison à Kodabougou déboussolés et le cœur meurtri. Pire, le quartier donnait l’impression d’une ville fantôme, tellement les habitants ont dormi tôt cette nuit-là. La raison ? Cheick Diallo, par ses prouesses, venait d’exécuter le nouveau bébé du quartier, le FC Kotontala par 4 buts à 1 sur le terrain Cmtr (actuel Gms), derrière les rails.
Le football, pour le plaisir !
Un mois après, sa présence au sein de l’équipe senior du Djoliba ne pouvait nullement surprendre. Certes, il est né talentueux, mais à travers notre entretien nous finirons par comprendre qu’il est le fruit du centre de formation des Rouges de Bamako, même s’il n’a pas été régulier, en raison de son désintérêt pour le football.
Parler encore de Cheick Diallo, c’est se rappeler aussi de cette finale de la coupe du Mali en 1984, qui a consacré le premier doublé du Stade malien de Bamako. Certes, le Djoliba s’est incliné lourdement (3-1), mais il a démontré tout son savoir-faire sur un terrain de football. Ses assauts et appels de balles incessants ont mis en difficulté les défenseurs stadistes.
Né à Bolibana en commune III du district de Bamako, Cheick Diallo jouait rarement au football. Il était plutôt fasciné par une autre discipline, le karaté, qu’il pratiquait au dojo de la Biao (actuel Bim-sa). Les quelques rares fois qu’il a accepté de prendre part à un match de football, il a marqué les esprits par ses gestes techniques. Et, c’est au cours d’un match de quartier que l’infatigable Aly Koïta dit Faye est allé le chercher à domicile pour lui proposer de jouer au Djoliba. Cheick Diallo dit avoir accepté cette demande du coach, pour l’amour que lui-même a pour les Rouges. Sinon, à l’époque, révèle-t-il, son père était le premier vice-président de l’AS Réal de Bamako. Donc, la logique commandait bien qu’il évolue chez les Scorpions. Bien que sachant qu’il ne sera pas régulier aux entrainements, il donna son accord à Faye. Entre la catégorie des cadets et celle des juniors, il n’a pas mis assez de temps.
Malgré tout, Cheick Diallo disparut des écrans radars, pour se consacrer à ses études et au karaté. Il se contentait du mercenariat entre les différents quartiers jusqu’en 1981, date du déménagement de la famille à Niomirambougou.
Son retour au Djoliba de façon solennelle se fera quelques mois après son transfert dans son nouveau quartier. Notre confrère et doyen Mamadou Kaloga (qui loge non loin de sa famille) l’intercepta sur la route de l’école, pour lui proposer d’évoluer avec le Ministère de l’Information à la faveur de la coupe Corpo. Surpris par la démarche du doyen, il n’arrivera même plus à la maison. Il embarque avec Kaloga et prêta main forte à l’équipe de l’Information qui atteindra d’ailleurs les demi-finales. D’autant plus que la compétition se jouait au stade Mamadou Konaté, les supporters du Djoliba se posaient la question de savoir si Cheick Diallo n’était pas le petit rouquin qui était chez Faye. Le jour même où l’équipe de l’Information a été éliminée, quelques supporters et dirigeants le présentèrent à Karounga Kéïta dit Kéké, tout en rappelant que c’est un enfant égaré de la famille qu’ils viennent de retrouver lors de la coupe Corpo.
Ce jour, il a décidé de saisir cette chance pour de bon. Cela s’est passé en 1982, il venait d’être admis au lycée, série sciences. Kéké n’a pas tardé à le mettre en confiance et profita d’un match de championnat contre le Sigui pour le jeter dans la bataille. Tout s’est bien passé. Il a réussi son baptême de feu, à l’ombre de Bourama Traoré dit Allah ka Bourama dont la présence l’obligeait à garder le banc.
Feu Seyba Sangaré “Douroulé” s’est dit qu’il faut encadrer le jeune Cheick Diallo, parce qu’apparemment il ne s’est pas rendu compte de son talent. Il venait le chercher à la maison, pour le ramener chez lui où siégeait le “grin” des Youssouf Sidibé, Moussa Koné et autres. Et là, c’est Cheick qui était chargé de “faire le thé” pour ses ainées. A 16 heures, ils quittent ensemble pour le stade Mamadou Konaté (ex Bouvier), terrain d’entrainement du Djoliba AC. Cette surveillance de Douroulé a permis au jeune prodige de rester constamment dans la famille et de s’adapter à ses réalités.
Deux ans après, il porte les galons de titulaire. Son destin se joua lors du premier tour des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe contre les Great Olympics d’Accra (Ghana), d’où le Djoliba ramena un nul vierge. Il n’a joué que quinze minutes.
Au match retour, Kéké l’introduit en deuxième mi-temps. Malgré la débâcle des Rouges 4 buts à 0, Cheick Diallo a marqué les esprits, fruit immédiat de sa titularisation au Djoliba et en équipe nationale (qu’il a intégrée en 1985).
Avec son club, il a gagné 2 coupes du Mali, 7 titres de champion ; il a joué une finale de coupe Ufoa en 1991, perdue contre l’Asec d’Abidjan ; et disputé des éliminatoires de coupes d’Afrique des clubs champions et de vainqueurs de coupe. Il a participé à deux finales du tournoi Cabral en 1987 et 1988 et perdu les deux en finale contre la Guinée Conakry, pays organisateur). Pendant l’édition de 1989 remportés à Bamako par les Aigles (première du genre) contre encore la Guinée, Cheick Diallo était blessé au genou.
Retraite anticipée
Contre toute attente, Le Seigneur met un terme à sa carrière en 1993. Pour quelles raisons ? Cheick Diallo argumente sa décision controversée : “Un jour, j’ai rendu visite à Idrissa Traoré dit Poker. Une fois chez lui, j’ai été surpris et choqué par le fait que je n’ai pas senti les retombées du football sur son environnement familial. Cet homme a tout donné au football malien, non seulement au Djoliba, mais aussi en équipe nationale. Et le voir dans une situation environnementale désastreuse, cela était insoutenable pour moi. Je me suis dit que ma pratique du football n’avait plus son sens. J’ai alors décidé de mettre fin à ma carrière, pour me consacrer à autre chose. Surtout que mes études ont pris une douche froide à cause du football. Chaque chose en son temps, en un moment donné il faut savoir analyser sa situation. En toute responsabilité, j’ai tourné dos au football”.
Auparavant, en 1988, le club Réal de Murcia d’Espagne avait décidé de lui faire signer un contrat. Les émissaires du club l’ont même rejoint en Algérie, quand l’équipe nationale était en stage de préparation. Très sincèrement, Cheick Diallo dit avoir clarifié aux Espagnols son mal de genou. Il le trainait toujours après la finale de la coupe du Mali de 1988 (perdue contre le Stade malien de Bamako 3-1). C’est pourquoi, il a décidé de se rendre en France pour soigner le mal.
Pourquoi a-t-il ensuite refusé un contrat sur le Portugal ? Réponse de Cheick Diallo : “Ce que je vais vous dire est tellement important que je vous autorise à demander à l’intéressé. Après un match retour du Djoliba à Freetown à l’issue duquel le club s’est qualifié pour le tour suivant, Kidian Diallo m’a appelé dans son bureau au Ministère des Sports. Il m’informa qu’en réalité, les Portugais de Lisbonne étaient venus pour moi et Abdoulaye Kaloga. Mais il n’a pas voulu me dire cela, parce que le Djoliba devrait jouer son match retour en Sierra Leone. Donc, si j’étais resté à Bamako avec l’équipe nationale, le Djoliba pouvait être éliminé. Voilà la raison pour laquelle Kidian n’a pas voulu m’informer de cette donne. C’est dommage ! Cela m’a beaucoup perturbé et je n’ai pas pu comprendre cette attitude. Que faire ? Rien, sauf me résigner et dire que c’est un fait de Dieu”.
Il n’a pas fini de digérer ce coup dur quand les Marocains du WAC sont venus le chercher, pour former un duo avec le Sénégalais Moussa N’Daw. Cheick Diallo a rejeté du revers de la main la proposition des Arabes. Il s’est dit que son talent ne lui commandait pas de quitter l’Afrique pour l’Afrique. Il préfère ne rien gagner que de s’aventurer dans une telle situation.
Les émissaires marocains ont tellement insisté qu’il finira par leur proposer Boubacar Sidibé dit Jardin et Bakary Diakité dit Bakaryni. Les tests n’ont pas été concluants. Regrette-t-il cette décision ? L’enfant de Niomirambougou est formel. Il n’y pense même pas. Parce que, selon lui, il a pratiqué le football pour se faire un plaisir. Sinon, avec des primes de 15 000 F, comment peut-il dire que la discipline l’a nourri ?
Son crédo ? Son défunt père qui l’entretenait beaucoup. Il se retrouvait chaque fois d’ailleurs avec deux motos, celle que le vieux Sidi Diallo lui a payée et celle du Djoliba.
Dans une carrière émaillée de coups durs et de déception, Cheick Diallo a-t-il enregistré de bons souvenirs ? Oui, chaque fois qu’il marquait un but, parce qu’il jouait pour marquer ou faire marquer.
Les finales de coupe du Mali perdues en 1985 et 1986 (contre le Stade malien de Bamako respectivement 4-2 et 1-1 puis 2-1) constituent ses mauvais souvenirs.
Actuellement, Cheick Diallo évolue dans le privé avec sa propre entreprise à la recherche des marchés dans l’administration publique.
O. Roger Sissoko
Source: Aujourd’hui-Mali