Les relations entre Yacouba Coulibaly et Tiécoro Bagayoko dit Diango ont été d’une pureté presque parfaite. Camarade d’enfance et de classe, c’est seulement après le certificat d’études primaires (CEP) que chacun va choisir son avenir : Yacouba opta pour l’administration générale et Tiécoro intégra l’Ecole des enfants de troupe de Kati pour une carrière militaire. Jusqu’au dernier souffle de l’ancien directeur général des services de sécurité, ils n’ont pas rompu.
Aujourd’hui, Yacouba Coulibaly retient encore de Diango l’image d’un homme respectable qui, s’il paraissait sévère de loin, était fondamentalement très bon.
La carrière de Yacouba Coulibaly s’est faite en deux temps. Il a tout d’abord servi comme commis d’administration, successivement à Mopti et à Kayes entre 1962 et 1965. C’est après squ’il deviendra policier suite à la décision du pouvoir central de surveiller étroitement tous les secteurs de l’Etat par un service de renseignements officieux. Cela a consisté à recruter des jeunes du parti au sein des différentes composantes de l’armée.
C’est dans ce cadre que Yacouba Coulibaly et certains de ses camarades de la jeunesse de l’US-RDA ont intégré la police nationale pour servir à la Sécurité d’Etat. A sa sortie de l’Ecole nationale de la police, il est affecté à Gao. Tiécoro Bagayoko continuait de lui rendre visite dans la Cité des Askia chaque fois qu’il avait une mission sur Tessalit jusqu’au coup d’Etat du CMLN en 1968. Mais justement en tant que militant de la jeunesse de l’US-RDA, quelle a été sa compréhension de ce coup de force des militaires ?
Yacouba Coulibaly répond qu’après sa formation militaire, il a tourné le dos à la politique, se rappelant qu’il a vécu les événements comme tout autre citoyen à cette différence qu’il était policier, c’est-à-dire que l’allégeance d’office était obligatoire au risque d’être catalogué comme ennemi et traité comme tel.
Il a appris le coup d’Etat par l’intermédiaire de son commissaire, qui a d’ailleurs insisté sur le nom de son ami, Tiécoro Bagayoko, parmi les membres de la junte militaire qui a renversé le père de l’indépendance nationale. La nomination de Diango au poste de directeur général des services de sécurité va donc précipiter l’ascension de Yacouba Coulibaly. Ce qui était tout à fait logique, surtout qu’il n’a pas été propulsé au-devant de la scène, mais nommé d’abord comme commissaire adjoint du 2e arrondissement. Quelques années plus tard, il est confirmé premier responsable du service avec le grade de capitaine.
Hélas ! Son destin va basculer le 28 février 1978. Emporté par le vent qui a détérioré les relations entre les membres du CMLN. Il a payé cash son amitié avec Tiécoro Bagayoko. Le président Moussa Traoré, face à l’orage qui profilait à l’horizon, a conclu qu’il fallait neutraliser Tiécoro en même temps que ses acolytes. C’est pourquoi il a fait arrêter tous ceux qui étaient proches de Diango afin d’éviter une réplique sous la forme d’une révolution de palais.
Ces événements du 28 février 1978 ont suscité beaucoup de commentaires. Chaque camp a donné sa version des faits. Ce qui est sûr : l’Histoire retiendra que des frères d’armes se sont entretués. Alors quelle est la part de vérité d’une des victimes collatérales de ces événements ? Pourquoi et comment il a été arrêté ? Est-ce vrai que la bande de Tiécoro, Kissima Doukara, Karim Dembélé, Charles Samba Sissoko préparait un coup d’Etat ? Quelle analyse fait-il du régime de Moussa Traoré ?
Mensonge, ruse, roublardise
Voici la réponse du capitaine Yacouba Coulibaly : “Je suis prêt à poser ma main sur le Coran pour jurer que je n’étais au courant d’aucune préparation de coup d’Etat. Je n’ai assisté à aucune réunion où Tiécoro aurait manifesté sa volonté de perpétrer un coup d’Etat. J’ai été arrêté à mon domicile près du marché Dibida. On m’a accusé d’être le chef du peloton d’exécution du président Moussa Traoré et ses compagnons, Allah Akbar ! Tout cela est consécutif à mes relations avec l’ancien directeur général des services de sécurité. J’ai été brutalisé, torturé, jugé, condamné à 15 ans de travaux forcés et envoyé au bagne de Taoudéni.
A mon avis, il y avait un réel froid entre le président Moussa Traoré et le lieutenant-colonel Kissima Doukara, ministre de la Défense, de l’Intérieur et de la Sécurité. Le président a sûrement compris que Tiécoro a pris position du côté de Kissima. C’est ainsi qu’il a mal agi, en ne ménageant personne dans leurs entourages respectifs. Il avait aussi ce défaut de croire à tout bout de champ aux rumeurs. C’est l’une des raisons principales qui font que Moussa Traoré a fait trop de victimes innocentes et c’est regrettable.
En analysant les déclarations de Moussa sur la chaine de télévision Africable, il donne l’impression de n’être au courant de rien. Pourtant, il aurait pu dire pourquoi il a fait tuer les Diby Silas Diarra, Yoro Diakité, Tiécoro Bagayoko et Kissima. Il soutient ignorer les causes de la mort de l’ex-président Modibo Kéita, mais qu’est-ce qu’il a entrepris pour situer les responsabilités de ce décès, dont les tenants et les aboutissants demeurent obscurs, eu égard à la tournure des événements ? Aujourd’hui, je tiens à lui rappeler que quand la main faute, c’est la tête qu’on coupe”.
Envoyé à Taoudéni pour purger une peine de 15 ans de travaux forcés, Yacouba Coulibaly y aura passé 10 ans. Parce que le centre de détention a été fermé par les autorités du pays. Pour le reste des détenus, la question était de savoir s’ils seront transférés ou libérés ? Le régime opta pour la libération. Mais le mal était déjà fait selon Yacouba Coulibaly. Il a passé dix ans de traumatisme, avec comme corollaire la psychose de la mort causée par un traitement inhumain.
Cependant, nous avons été surpris quand le policier nous a fait savoir que son ami Tiécoro n’acceptait pas que les autres prisonniers politiques critiquent le président Moussa Traoré en sa présence. Chaque fois que le débat allait dans ce sens entre détenus, Diango s’effaçait. Quelle explication à cette “loyauté” de l’ancien directeur général des services de sécurité vis-à-vis de quelqu’un qui caressait déjà le désir de l’éliminer physiquement ? Parce qu’il considérait toujours Moussa Traoré comme son ami, mais il se trompait à ce niveau et refusait sûrement de comprendre que la rupture était consommée entre eux.
D’anciens bagnards de Taoudéni que nous avons approchés dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?” assurent qu’en plus de l’enfer qu’ils vivaient dans cette partie du pays à l’époque, ils ne cessaient de penser à leurs familles respectives. Aujourd’hui, le capitaine Yacouba Coulibaly a encore en mémoire la manière dont il a perdu en même temps ses deux femmes par le biais du divorce . Comment cela a pu arriver ? L’intéressé soutient qu’il fallait vivre leur cas pour ne pas leur en vouloir. Ce n’était pas facile au moment des faits. Seulement il fallait se résigner. Et il tient encore à rendre hommage à son frère aîné qui s’est occupé de ses enfants durant son calvaire à Taoudéni.
La main sur le cœur
A sa libération, est-ce que les femmes sont revenues à de bons sentiments ? La réponse est on ne peut claire : “Fiston, nous ne voyons pas les choses de la même manière. Au moment des faits, elles étaient très jeunes. Attendre un mari pendant 15 ans n’était pas une chose facile. C’est pour vous dire que je ne leur en tiens pas rigueur. D’ailleurs, il y a une qui vit en France. Il arrive qu’elle téléphone pour prendre mes nouvelles. En partant à Taoudéni, notre retour n’était pas évident, donc il faut voir les choses sous cet angle”.
Deux faits malheureux le rongent encore. Lesquels ? D’abord la mort de son fidèle ami Tiécoro Bagayoko. Il se rappelle encore de ce matin quand ils partaient à la mine pour piocher, puisque Diango devait rester pour d’autres travaux, le capitaine Sounkalo Samaké lui a demandé de penser à sa pitance.
Et Tiécoro de répondre qu’il n’était pas évident qu’ils le retrouvent en vie, parce que sa mort a été annoncée pour ce jour. Effectivement, à leur retour de la mine, Charles Samba Sissoko les informera que Diango a été exécuté et enterré. Yacouba passera plus d’une semaine à le pleurer. Ensuite, il y a le décès de sa sœur, survenu au Gabon des suites d’une brûlure.
Jusqu’aujourd’hui, le compol Yacouba Coulibaly traine les séquelles de sa détention. Est-il prêt à pardonner ses bourreaux ? En musulman convaincu, l’ancien commissaire du 2e arrondissement soutient qu’il lie sa vie au destin, c’est-à-dire prêt à pardonner. A sa libération, il avait même tenté de rencontrer le président Moussa Traoré pour un pardon mutuel, et surtout lui dire qu’il s’est trompé sur sa personne, en l’accusant à tort.
Malheureusement, il n’a pu voir l’ancien président. Entre-temps il est confiné dans sa douleur morale, causée par tout ce qu’il a vécu comme torture pendant sa détention. Il revient sur un de ses calvaires. “Un soir, en puisant de l’eau, je suis tombé dans le puits. Après trois jours, le chef du centre l’adjudant Moussa Camara m’a promis l’enfer si je ne me présentais pas le lendemain. Pour éviter d’être exécuté, je me suis fait transporter au chantier par un policier. Il a fallu l’intervention de l’adjoint du chef de centre pour que je sois exempté de tout effort physique jusqu’à ma guérison, sinon Moussa Camara était venu avec la cravache pour régler mes comptes”.
Faudrait-il rappeler que le capitaine Yacouba Coulibaly n’est toujours pas réhabilité. Il se contente seulement de sa pension. Au moment de prendre congé du vieux commissaire, il a tenu à donner un conseil à Moussa Traoré. Il lui demande de beaucoup prier et d’implorer la clémence du Bon Dieu pour alléger ses péchés parce qu’il est convaincu que le président Moussa Traoré a fait des dizaines de victimes innocentes. Pour rien.
O. Roger
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Source: Journal Aujourd’hui Mali