Boubacar Sidibé nous a reçus le dimanche 18 août 2024 à son domicile à Djicoroni-Para. Après les formules d’accueil et une brève présentation à sa famille, il nous conduit à l’étage. Là un appartement, composé de trois chambres et une douche moderne, lui sert de bureau où tous ses films sont conçus et scénarisés. Le grand salon est orné de photos de ses différentes réalisations, de diplômes de reconnaissance et les nombreux prix qu’il a décrochés aux Fespaco.
A la conclusion d’un tour d’horizon, il nous installe, pendant que l’aide-ménagère nous apporte un verre de Lipton et une bouteille d’eau. L’interview pouvait commencer dans une atmosphère émotive résultant de la chaleur de l’accueil. Il n’y a pas de raison que l’homme ne réussisse pas dans le 7e art. Parce qu’il aime cette discipline et ne ménage aucun effort pour le hisser par son savoir-faire.
Boubacar Sidibé est un pur produit de la télévision malienne. Il fait partie du lot de techniciens envoyés pour une formation en Libye, afin de conduire les premiers pas du nouveau bébé de Bozola. Cette télévision qui, à son avis, a fait du chemin aujourd’hui grâce à la ténacité et la volonté de certains responsables, notamment le Pr. Younouss Hamèye Dicko (ancien directeur général de la RTM) et Ousmane Samba Touré (directeur des programmes à l’époque). Ils croyaient à l’avenir de la télé, parce qu’ils estimaient que c’est un outil de souveraineté nationale. Cependant un prologue de complément d’information.
Avant-propos
Cela faisait bientôt un an que la rubrique “Que sont-ils devenus ?” était à l’arrêt. La raison ? Votre serviteur est appelé à d’autres fonctions à un autre niveau. Le nouvel emploi du temps est conçu de telle sorte qu’il est difficile de maintenir le même rythme d’animation de la rubrique. Voilà pourquoi nous avons été marqué par les différents coups de fil des fidèles lecteurs. C’est surtout les compliments de notre jeune confrère du quotidien national L’Essor, Seïbou Sambri Kamissoko qui nous ont ému. “Grand frère vous faites du bon travail, et vous êtes une fierté de la presse malienne. Veuillez faire un effort pour reprendre votre rubrique”, disait-il le samedi 13 juillet 2024 lors du lancement de l’émission “Le Parcours” de l’AJSM. Que tous reçoivent ici l’expression de notre profonde gratitude. A partir de ce numéro, la rubrique sera animée deux fois par mois.
Revenons à notre héros du jour, Boubacar Sidibé. Pour l’interviewer, il faut s’armer du maximum de patience et de concentration. Parce qu’il donne beaucoup de détails pour convaincre et rassurer son interlocuteur d’une vérité absolue : il n’y a pas de hasard dans la réussite, il faut aimer son métier. La preuve ? Nous lui avons posé la question de savoir comment il monte ses scénarios ? En plus d’affirmer que cela dépend du thème choisi pour le film, Boubacar Sidibé argumente par des explications sur un tableau installé dans son bureau.
Aussi le fait d’avoir évolué dans le milieu pendant des décennies lui facilite la tâche. Car il connaît et sait apprécier le talent, les atouts de tous les comédiens pour les rôles à confier dans un film à tel ou tel acteur. Surtout que sa passion pour le film n’est pas un saut dans l’inconnu. Il l’a étudiée en Angleterre et en France où il fait six fois.
Son statut de caméraman attitré de la télévision malienne lui a conféré l’opportunité de filmer dans les zones de conflits aux durs moments de la rébellion en 1990 à Gao. Au lendemain des accords et les festivités de la Flamme de paix, il réalise pour le compte du Commissariat au Nord une série de documentaires sur les projets de réinsertion des ex-combattants. Cette expérience du terrain fait de lui un témoin privilégié de la vie sociopolitique de notre pays.
C’est en 1980 que son destin a basculé vers la caméra. En terminale au lycée Bouillagui Fadiga et sous le coup de la suspension pour cause de grève, il saute sur une occasion. Le ministère de l’information, à travers le Centre national de production cinématographique, lance un concours en vue d’une formation à l’extérieur pour rehausser le niveau du cinéma malien. Admis avec brio, au bout d’un stage de neuf mois, il se retrouve dans une situation inconfortable. Les priorités du département changent à la suite d’un remaniement ministériel.
C’est-à-dire que le projet de formation à l’extérieur est abandonné. Autre problème : tous les stagiaires sont des fonctionnaires, hormis Abdramane Somé et Boubacar Sidibé. Ils posent le problème au directeur général du CNPC Mamadou Kaba. Celui-ci décide de les recruter comme contractuels. Mais trois ans après, c’est le divorce. Parce que Kaba s’est opposé à leur départ pour une formation en Libye, en prélude au lancement de la télévision malienne.
Il soutient que ces jeunes ont été formés pour le cinéma et non pour la télé. Finalement Somé et Sidibé s’envolent pour la Libye. Ils sont recrutés à leur retour à la Radiodiffusion télévision du Mali (RTM). En plus du métier de cameraman, Boubacar procède également au montage. En 1986, il bénéficie d’une bourse pour l’Angleterre pour apprendre les techniques de production audiovisuelles et de réalisation.
De 1983 à 1993, il tient la caméra et fait le tour du Mali et du monde avec les différents chefs d’Etat. Pourquoi décide-t-il de l’abandonner de façon inattendue ? “Je voulais valoriser ma formation de réalisateur. Ajouter à cela la déception du président Moussa Traoré par rapport au comportement de certains cadres dans le cadre de la lutte contre l’enrichissement illicite, les difficultés de mise en œuvre du «Kokadjè» dénoncées par le président Alpha Oumar Konaré au lendemain des événements du 26 mars 1991. L’opportunité de voyager régulièrement avec les présidents de la République est une source de connaissance. Mais certaines révélations donnent aussi le dégoût du métier. J’ai décidé de déposer la caméra pour me consacrer au film, à travers lequel je véhicule des messages pour nourrir l’esprit”.
Une filmographie impressionnante
Boubacar Sidibé réalise son premier film en 1999, “le Pacte social”, qui traite l’initiation d’un jeune Bambara dans le bois sacré. Suivront “N’tronkelen” (2000), “les Aventures de Séko Bouaré” (2001), “Sanoudjè” (2002), “Fanta Ni monè” (2003), “Dou la famille” (entre 2004 et 2006), “le Fou du village” (2007), “Bajènè” (2009), “les Rois de Ségou” (entre 2010 et 2012), “Dougouba Sigui” (2013), “Yérèdon bougou” (2014), “l’Enfant béni” (2015), “du Cheval au caméléon” (2017), “les Six serments de l’islam” (2017), “les Langues et les dents ou vivre ensemble” (2018), la fiction “Penda contre les gangsters de Bamako” (2018).
Cette dernière production met en valeur la lutte des Forces de sécurité malienne contre le banditisme, l’insécurité et le crime organisé afin de découvrir et de comprendre le sacrifice et les risques que prennent les porteurs d’uniformes pour protéger les paisibles populations et leurs biens.
Réaliser et produire tous ces films demandent plus de moyens financiers. Comment ses films sont financés ? Boubacar Sidibé dit qu’après la mise sur papier des différents scénarios, la deuxième étape consiste à chercher les financements.
A ce niveau, il arrive que des bailleurs posent des conditions, allant parfois à l’encontre des intérêts du pays ou de nos mœurs. Face à de telles situations, il lui est arrivé de rejeter les exigences pour se rabattre sur d’autres sources de financements.
La problématique des retombées financières nous pousse à poser une question embarrassante. Qu’est-ce que ses films lui ont rapporté ? Boubacar Sidibé sans ambages déclare qu’il mène le combat de la réalité. Sa notoriété dans la société grâce au cinéma est un inestimable trésor. Il insiste qu’au-delà de sa passion pour le film, le message qu’il veut passer, il n’a pas gagné d’argent comme l’on pourrait le supposer. C’est pourquoi il refuse de focaliser ses réflexions sur l’argent au risque de se décourager. Ce qui aurait l’air d’un abandon de combat, d’un échec par rapport aux objectifs fixés.
La riche carrière de Boubacar Sidibé n’est liée qu’à de bons souvenirs : sa rencontre avec le conteur Batoma Sanogo dans la salle de montage du film “N’tronkelen”, le témoignage de feu le président IBK sur ses films, et l’interaction et la contribution de la direction générale de la police nationale pour la réalisation du film “Penda contre les gangsters de Bamako”.
Pourquoi il ne retient pas de mauvais souvenirs ? “Je suis comme une femme, qui après toutes les épreuves de la grossesse décide de tomber encore enceinte, en oubliant tout ce qu’elle a enduré.
En un mot je ne me donne pas le temps de découragement. Autre chose qui m’a marqué l’interpellation d’une vieille femme dans la rue, qui sans se rendre compte m’a inspiré sur la suite du film sur les forces de sécurité”.
Boubacar Sidibé est marié et père de sept enfants. Dans la vie, il aime le sport, les jeux de dame. Il déteste le mensonge.
O; Roger Sissoko
Source: Aujourd’hui-Mali