En 1999, l’artiste Adama Namakoro Fomba lançait un cri de cœur à travers une chanson intitulé ” Allah demè (Dieu, aide-moi) “. Ce morceau brosse, sinon résume, sa vie émaillée de pauvreté, de misère ; d’où son appel pour demander l’assistance divine. A l’époque, on pouvait placer ladite chanson dans un contexte musical, dont les artistes ont le secret pour tenir en haleine leur public. Mais aujourd’hui, la situation misérable et pitoyable d’Adama Namakoro Fomba est réelle, visible et frappante. Installé depuis quelques années dans son village natal, Dioïla, il vient de temps en temps à Bamako pour chercher un peu d’argent avec ses connaissances afin de subvenir aux besoins vitaux de sa famille. Campé à la maison des jeunes, nous l’avons rejoint pour savoir ce qu’il devient. Spontanément, il se met à notre disposition. Répondant à une de nos questions, l’émotion nous envahit quand il affirme que la musique ne lui a rien apporté. Cela est d’autant plus vrai qu’il soutient n’avoir pas gagné un million de Fcfa avec ses cassettes. Convaincu que certains ont abusé de sa timidité, il se résigne et s’en remet à Dieu. Qui est Adama Namakoro Fomba ? Comment a-t-il embrassé la musique ? Quel est son parcours ? Ses difficultés ? L’enfant de Tiendo (dans le cercle de Dioïla) nous entretient sur son histoire, sous les arbres de la Maison des Jeunes, sise au quartier du fleuve de Bamako.
on nombre de gens ont découvert Adama Namakoro Fomba après la production de sa première cassette “Kolon Djugu Yiri”. Cependant, une dose de regret a teinté l’appréciation qui a été faite de l’œuvre musicale : il a commencé à chanter un peu en tard par rapport à son âge (46 ans). Pourtant, il suffit de le rencontrer pour comprendre que la chance lui a manqué. Sinon, depuis l’enfance, il s’est battu pour être une grande vedette. “A cœur vaillant, rien d’impossible”, dit-on. Il a pu se faire découvrir par deux cassettes produites en 1995 et en 1999. Malheureusement, Adama Namakoro Fomba n’a pas eu les retombées à la mesure de son talent et des succès engendrés par ses opus. Son cas est pathétique et il est regrettable que ses cassettes ne lui aient pas rapporté même la très modique somme d’un million de Fcfa. Très timide et naturellement passif, il s’est résigné. Est-ce qu’il pouvait d’ailleurs faire autrement ? Raison pour laquelle il n’a pas voulu s’attarder sur les autres albums qui n’ont pas eu de succès, faute de promotion de la part de ses producteurs.
Un messie nommé Sory Ibrahima Sylla
La source de la musique d’Adama Namakoro Fomba réside dans l’amour qu’il éprouvait pour le balafon, dont son père était un grand joueur. Déjà à 9 ans, il s’amusait avec l’instrument, peu importe que les refrains et les différentes notes ne soient rythmés. L’essentiel pour le jeune Fomba était de satisfaire une curiosité. Devenu très doué, il ne se limitait plus à jouer au balafon en 1965, il profitait des temps morts des travaux champêtres pour en fabriquer, dans le but de les revendre aux villages environnants. Fils unique de son père et soucieux du devenir de ses parents, Adama Namakoro Fomba avait décidé de s’aventurer en Côte d’Ivoire à l’âge de 17 ans, en 1966. Il passa deux ans comme ouvrier dans les champs de cacao, avant de retourner au Mali après le Coup d’Etat du 19 novembre 1968.
La daba devint alors sa principale occupation au village, jusqu’à son intégration dans l’orchestre Banico Jazz dirigé par Mamadou Sylla dit Gorgui. Danseur principal et chanteur attitré du groupe musical, Adama Namakoro Fomba conquit les cœurs dans le Banico lors des concerts, les semaines régionales et nationales. Son véritable exploit fut la biennale de 1978 avec son morceau ” Konya Magni “. Le gouverneur de la région de Koulikoro à l’époque, Sory Ibrahim Sylla, fit de lui son enfant chouchou, et le comblait de cadeaux et d’argent à chaque fois que l’occasion se présentait.
Installé à Tiendo avec ses parents où il cultive pour nourrir la famille, Adama Namakoro était permanemment sollicité par l’arrondissement central pour animer les soirées, lors des visites de hautes personnalités.
La même année, donc en 1978, il décida de fonder un foyer. Pour la circonstance, il avait sollicité un prêt de 40 000 F maliens aux responsables de l’orchestre Banico Jazz. Il n’aura pas l’argent demandé et la démarche alternative qu’il avait entreprise sonna le clash qui le contraint une fois de plus à s’aventurer en Côte d’Ivoire.
Qu’est ce qui s’est passé
exactement ?
Adama Namakoro Fomba explique : “Après la biennale de 1978, j’ai décidé de me marier, mais financièrement mes moyens étaient limités. J’ai demandé aux responsables de l’orchestre un prêt de 40 000 F Maliens. De tractations en tractations, je n’ai pas eu gain de cause.
L’orchestre s’est rabattu sur le Commandant de cercle qui n’a pu rien faire à son tour. Pire, ils m’ont instruit d’emprunter l’argent avec mes connaissances. Si j’avais cette opportunité, je me serais débrouillé sans passer par eux. C’est dans cette atmosphère de désespoir que je suis allé voir le gouverneur Sory Ibrahim Sylla à Koulikoro, pour lui exposer mon problème. Très ému, il m’a dit qu’en sa qualité de chef de la délégation des pèlerins maliens pour la Mecque, il ne pourra honorer de sa présence mon mariage. Il m’a remis 10 000 F Maliens comme frais de transport, pour retourner à Tiendo, mon village situé à 7 kilomètres de Dioïla.
Le Commandant de cercle, Salia Sokona, a estimé que j’ai mal agi en m’adressant directement au gouverneur. Il m’a convoqué pour me faire des remontrances très dures. Comment a-t-il su que j’ai vu Sory Ibrahim Sylla ? Avant que je n’arrive à Dioïla, le gouverneur a envoyé un message RAC au commandant pour l’instruire de me donner à titre gratuit la somme de 200 000 F Maliens, des caisses de boisson et de mettre à ma disposition, le jour du mariage, les véhicules de l’Etat. Avec ce soutien de l’autorité supérieure de la région, mon mariage a été une fête dont les commentaires continuent à présent. Je ne saurai oublier ce geste du gouverneur Sory Ibrahim Sylla”.
Le beau temps !
Pour qui connait la notion de hiérarchie entre le gouverneur et les commandants de cercle à l’époque, l’intervention du chef de l’exécutif régional ne saurait arranger un villageois comme Adama Namakoro face à un puissant commandant.
Les relations entre les deux hommes ne seront plus au beau fixe et Fomba a eu de la peine à se défaire des reproches pour avoir touché le gouverneur pour son mariage. Il s’exila en Côte d’Ivoire pour jouer uniquement de la musique. Durant son séjour, il reconnait avoir gagné un peu d’argent dans le groupe Tintinba Jazz et côtoyé de grands musiciens. C’est de là-bas que notre compatriote Sory Bamba, le chef d’orchestre du Kanaga de Mopti, l’informa de l’ouverture à Bamako de Mali K7, un studio de production pour la promotion de la musique malienne. Cela a coïncidé avec le décès de son vieux père. Adama Namakoro Fomba s’est dit que le temps était venu pour lui d’être à côté de sa maman.
Le 12 juillet 1994, il débarque à Bamako et prend contact avec Philipe Corate, le directeur de Mali K7 qui lui dit avoir reçu une lettre de Sory Bamba lui demandant de s’occuper de son cas. Quelques mois après, il produit sa première cassette, Kolon Djugu Yiri. Cet opus le propulse au-devant de la scène et signale sa présence au Mali. Ses anciens compagnons du Banico Jazz, qui avaient entre temps rejoint le Rail Band, en profitent pour une tournée de quarante jours en France. Cette mission officielle lui permet de découvrir l’Hexagone et de comprendre beaucoup de choses.
Véritable vivier des musiques du terroir, Adama Namakoro Fomba puise dans le grenier musical du Banico pour produire son deuxième album en 1999, Allah Demè, qui a connu un grand succès.
Comme évoqué plus haut, l’artiste soutient que ses productions musicales ne lui ont rien rapporté en termes de retombées conséquentes. Il mettra sur le marché d’autres cassettes, mais qui ont fait long feu.
La détresse
Désemparé, désorienté et déboussolé, Adama Namakoro Fomba se rappelle d’une vérité absolue selon laquelle “la terre ne ment jamais”. Il décide de rejoindre son village natal pour reprendre la daba. Et c’est de cela qu’il vit aujourd’hui. Heureusement que le capitaine Soungalo Samaké et sa femme l’ont aidé à avoir un logement social qu’il occupe actuellement. Ce qui constitue pour lui un grand réconfort. A défaut, il se demande comment il pouvait se construire un bâtiment dans la famille paternelle ? Mais comme l’a dit l’adjudant Guédiouma Samaké : “Au-dessus de la détresse humaine, il y a des anges qui surveillent”.
A-t-il connu de bons souvenirs dans sa carrière ?
Notre héros du jour exprime sa reconnaissance, au sens réel du terme, vis-à-vis de l’ancien gouverneur Sory Ibrahim Sylla, de Chiaka Sidibé ancien cadre du Ministère des Finances, ce grand administrateur qui l’a aussi soutenu à plusieurs reprises et du couple Samaké à Dioïla.
En ce qui concerne les mauvais souvenirs, Adama Namakoro Fomba n’a pas voulu en parler. Selon lui, la vie se caractérise par des bons et mauvais moments pour tout être humain donc il a l’obligation de se battre jusqu’à sa mort. Mais il a été tellement trahi dans sa vie qu’il a décidé de ne pas penser à ces individus qui lui ont causé du tort.
Qu’est ce qui explique sa présence à Bamako ces derniers temps ? A-t-il des enfants ? Qu’en est-il d’une éventuelle décoration ?
Notre héros parle : “Je suis à Bamako pour chercher un peu d’argent avec mes connaissances, afin de subvenir à certains besoins de ma famille. Sinon, je réside à Dioïla et je vis de la culture au sens agricole. Effectivement, j’ai des enfants au nombre de six. L’ainé est le guitariste de l’enfant de feu Daouda Sangaré dit Flany, Alou Sangaré. Les autres sont à l’école. Je n’ai jamais été décoré dans mon pays, mais en France j’ai reçu une médaille lors du festival auquel j’ai participé avec le Rail Band en 1995”.
Très sincèrement, le cas de l’artiste Adama Namakoro Fomba est émouvant. A notre avis, il mérite une aide qui puisse assurer son indépendance. Ne serait-ce que des équipements agricoles pour lui permettre de faire de bonnes récoltes. Ainsi va la vie, qui nous conduit souvent devant des situations que nous ne souhaitons pas voir. Mais hélas !
O. Roger SISSOKO
Source: Aujourd’hui-Mali