Le 18 août 2020, les maliens découvrent sur le petit écran de la télévision nationale, cinq (05) officiers de l’armée (quatre colonels et un colonel-major) annonçant la fin du régime, démocratiquement, élu de feu Ibrahima Boubacar Keïta. Quatre ans après cette prise de pouvoir, quelle est la situation du pays, où en est-on avec l’amélioration des conditions de vie des maliens ?
Il y a quatre ans, c’était la liesse populaire à l’annonce de la fin du pouvoir de feu IBK. Des maliens étaient surtout massivement rassemblés pour se rendre au boulevard du peuple de Bamako pour venir écouter les nouveaux maîtres du pays. Ceux-ci, sans ambages, avaient affirmé qu’ils avaient parachevé la lutte du peuple. Le principal objectif de cette lutte populaire était d’obtenir des meilleures conditions de vie pour tous.
Malheureusement, force est de constater que ce bonheur tant attendu par les populations semble être un mirage. En effet, Nul n’ignore que, de nos jours, la situation économique du Mali est très loin d’être reluisante. Le coût de la vie est excessif. Face à de telle situation, les maliens sont dubitatifs. Si certains ont décidé de faire de la compromission, d’autres majoritaires ont choisi la résilience.
Le Malien n’a jamais été aussi pauvre depuis quatre ans
“Ventre vide n’a point d’oreilles“, dit-on. Autrement dit, le premier indice de toute satisfaction humaine est de pouvoir vivre mieux économiquement. Tel n’est pas le cas aujourd’hui pour la grande majorité des maliens. La pauvreté a atteint un seuil jamais égalé depuis quatre ans. Pour preuve, elle a augmenté de 3,2 points de pourcentage en 2022, passant de 42,1 % à 46,9 %, selon la Banque mondiale. Cette augmentation est due à une croissance économique négative et à une forte inflation, qui ont touché de manière disproportionnée les ménages les plus pauvres. La croissance économique du Mali a été négative en 2022, à -1,3 %, en raison de la crise sanitaire, de la faible croissance de l’agriculture, qui a été partiellement affectée par la situation sécuritaire, et plus tard par la guerre en Ukraine. En plus, l’inflation a atteint 9,9 % en 2022, principalement en raison de la hausse des prix des denrées alimentaires. Les ménages les plus pauvres consacrent une part importante de leur revenu à l’alimentation, ce qui les a particulièrement touchés. La terrible crise énergétique est venue saler la note. Autrement dit, elle a considérablement réduit les revenus des populations, car leurs activités professionnelles ont connu une baisse drastique.
Selon toujours la Banque mondiale, la croissance économique du Mali devrait ralentir à 3,1 % cette année, contre 3,5 % l’année dernière, et les niveaux d’extrême pauvreté devraient augmenter. Il faut souligner qu’environ 90 % des 22 395 489 des maliens (Données Recensement général de la population et de l’habitat 2023) vivent dans l’extrême pauvreté.
De la compromission et de la résilience pour se tirer d’affaire
Pour faire face à la situation économique chaotique, les maliens sont obligés de faire un choix entre la résilience et la compromission. La compromission, pour éviter de porter des voix discordantes au régime qui pourraient déboucher sur la case prison. La compromission se réfère souvent à la situation où certaines personnes abandonnent leurs principes ou modifient leurs positions pour obtenir un avantage politique, souvent au détriment de l’éthique ou des intérêts à long terme du peuple. Cela peut impliquer des alliances contre nature, la manipulation des lois, ou même des concessions faites sous pression ou pour des gains personnels. Et c’est ce qui se constate depuis quatre ans au Mali. Autrement dit, il y a une catégorie d’élites qui ont fait de la compromission et de l’hypocrisie leur sport favori et s’y accommodent bien sans scrupule aucun. Il s’agit de certains leaders politiques et de la société civile ainsi que d’opérateurs économiques.
Viennent s’ajouter à ceux-ci, des influenceurs communément appelés au Mali activistes ou videomen, qui avaient été de grands soutiens du régime passé. Beaucoup d’entre eux agissent par pur opportunisme, très peu étant de bonne foi. Pour ceux- là, l’avenir est sans équivoque.
En dehors de ces classes sociales, il y a le peuple, le grand muet qui s’en remet à Dieu. Il est composé de ce que l’on peut appeler “les indifférents”. Ceux-ci restent médusés en attendant une situation meilleure. Ils ne revendiquent rien et pleurnichent au fonds de leurs maisons. Ils n’échappent pas à leur compromission. Ce sont eux qui payent le plus fort prix avec la cherté de la vie, les coupures d’électricité ayant conduit au chômage de plusieurs d’entre eux, la baisse du pouvoir d’achat, l’inflation, l’incertitude, etc. C’est pourquoi le président de la transition n’a, dans toutes ses adresses, cessé de saluer la résilience du peuple malien.
Le Mali perd son rang de 4è économie de la zone CFA
Selon le média en ligne “Agence Ecofin” qui cite une publication du 22 avril 2024 du Fonds monétaire international (FMI) dénommée “Perspectives économiques régionales“, le Mali a perdu sa quatrième place, au profit du Burkina, dans le classement des économies de la zone franc CFA composée de 14 pays africains (08 pays de l’Union monétaire ouest-africaine et 06 de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). L’institution financière internationale souligne que l’économie burkinabé estimée à 20,3 milliards $ (à prix courants) en 2023, atteindra les 21,9 milliards $ cette année.
Devancée respectivement par les économies de la Côte d’Ivoire, du Cameroun et du Sénégal, le pays des hommes intègres sera suivi du Mali. Ce dernier, qui occupait la quatrième place de la zone CFA avec un PIB de 20,6 milliards $, retombera donc à la cinquième place, malgré une augmentation de son économie à 21,6 milliards $.
Pays principalement connus pour leurs ressources minières, le Mali et le Burkina Faso ont connu ces dernières années des changements politiques majeurs qui continuent d’impacter leurs économies. Après avoir annoncé leur retrait de l’espace d’échange économique commun que représente la CEDEAO, les deux pays semblent désormais préparés à sortir du franc CFA qu’ils considèrent comme une monnaie coloniale. Une décision dont l’impact sur leur PIB n’est toujours pas évalué, d’autant plus que les détails de la nouvelle qui devrait être commune avec le Niger n’ont toujours pas été révélés.
De l’espoir en perspectives
Malgré tout, l’espoir est permis en termes de perspectives économiques. D’après un rapport de la Banque africaine de développement (BAD) de l’année 2023 dénommé « Perspectives économiques en Afrique », le redressement économique du Mali se poursuit, avec une croissance de 4,3% en 2023, contre 3,7% en 2022.
Selon la Bad, cette performance est soutenue du côté de l’offre par la hausse de la production de coton (+49,37%) et d’or (+0,59 %) et du côté de la demande par la relance de l’investissement (+41,8 points de base) et de la consommation des ménages (+0,7 point de base).
Le rapport indique également que : « L’inflation est passée de 9,7 % en 2022 à 2,2 % en 2023, sous l’effet conjugué de la politique monétaire restrictive de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, de l’approvisionnement ininterrompu des marchés locaux en produits et de l’exonération de 25 % des droits de douane accordée par le gouvernement en contrepartie de la fixation de prix plafonds pour le sucre. Le déficit budgétaire a reculé, passant de 4,9 % du PIB en 2022 à 3,8 % en 2023, reflétant une bonne mobilisation des ressources publiques (98,4 % des prévisions) et un contrôle rigoureux des dépenses (taux d’exécution de 87.93 %) ».
La Bad estime que la mobilisation des recettes fiscales s’est améliorée, passant de 13,5 % du Pib (Produit intérieur brut) en 2022 à 14,7 % en 2023, grâce aux réformes fiscales. Le déficit du compte courant, peut-on lire dans le rapport, s’est creusé, passant de 8 % du Pib en 2022 à 8,7 % en 2023, en raison de la hausse des importations de machines et de véhicules (+21,1 %), de produits chimiques et pharmaceutiques (+15,8%), de matériaux de construction (+7,5%), de denrées alimentaires (+3,9 %), de textiles et de cuir (+15,1 %) et de la baisse des exportations de coton (-33,5 %).
Aussi, elle renseigne que «La reprise de l’activité économique devrait se poursuivre, avec une croissance de 4,7 % en 2024 et de 5,3 % en 2025. Cette croissance sera tirée par les activités extractives, avec le démarrage de la production de lithium en 2024, la relance du secteur textile et le développement du potentiel de production et de transformation du blé. Grâce au maintien d’une politique monétaire restrictive, l’inflation devrait continuer à baisser pour atteindre 2 % en 2024 et 1,8 % en 2025. Cependant, le déficit budgétaire devrait s’accroître pour atteindre 4,3 % du PIB en 2024, puis s’améliorer pour s’établir à 3,4 % en 2025».
Selon l’institution financière africaine, le déficit du compte courant devrait s’améliorer pour atteindre 6,4 % du Pib en 2024 et 5,9 % en 2025. Cette amélioration est attribuable à l’augmentation prévue des exportations de coton en 2024 et 2025 et des exportations d’or en 2025, ainsi qu’au début des exportations de lithium en 2024.
Au titre des risques, l’institution panafricaine indique que les principaux qui pèsent sur les perspectives sont le report sine die de l’élection présidentielle initialement prévue en février 2024, la crise énergétique, le retrait du pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les chocs climatiques et l’insécurité.
Pour atténuer ces risques, elle souligne qu’il faut poursuivre les réformes politiques et institutionnelles, soutenir le secteur de l’énergie et la lutte continue contre le terrorisme.
En tout cas en dépit de cette lueur d’espoir, le peuple continue de souffrir. Il ne sent aucun impact de cette croissance. Il attend de voir de jours meilleurs dans un très proche avenir.
Cyrille Coulibaly