« Cette crise que nous vivons aujourd’hui provient des événements du 26 mars 1991 »
L’ancien Premier ministre, Ahmed Mohamed Ag HAMANI évoquant le samedi dernier les faiblesses dans la gestion des crises de rébellion dans notre pays a déploré la dimension internationale donnée par l’Accord pour la paix à la crise comme s’il s’agissait d’un conflit entre deux États. Dans la gestion de cette crise, à travers l’accord pour la paix, le conférencier a dénoncé la duplicité des Nations unies pour avoir imposé unilatéralement des dispositions attentatoires à la paix et au fondement de l’accord.
L’ancien Premier ministre, Mohamed Ag HAMANI, a animé le samedi 28 octobre une conférence sur le thème : « La paix est-elle encore possible au Mali ? Si non, que deviendra le pays ? Si oui, quelle nouvelle stratégie pour la paix ?». Cette conférence intervient dans un contexte où le processus du retour de la paix est menacé par le regain de la violence entre les forces armées maliennes et des membres du CSP.
Plusieurs personnalités politiques, administratives, militaires dont le ministre de la Réconciliation nationale, Ismaël WAGUE, ont pris part à cette conférence dont l’objectif est de contribuer au débat sur le retour de la paix si chère à notre pays pour garantir sa stabilité et son développement.
Rébellion, une crise mal gérée depuis toujours
Personnalité influente auprès des communautés du nord, Ahmed Mohamed Ag HAMANI a, à l’entame de ses propos, rappelé les différentes crises qui ont secoué notre pays de 1960 à nos jours. Il s’agit, a-t-il cité, des crises politiques, de rébellion et des crises naturelles qui ont été mal gérées.
« Les crises politiques et les rebellions ont toujours créé des frustrations d’injustice flagrante, la priorisation des intérêts personnels, l’absence de volonté réelle d’effectuer les changements nécessaires pour les populations et le non-respect des engagements et la défaillance de la classe politique », a soutenu le conférencier.
Dans cette condition, il se demande si l’on peut durablement résoudre au moins la crise de rébellion s’appuyant sur des dysfonctionnements de la gestion de l’appareil politique de l’Etat. C’est pourquoi, sans ambages, il affirme : « La politique politicienne depuis l’accession de notre indépendance est responsable de la crise chronique dans le pays » et en particulier la rébellion dont les causes « ne sont ni ethnique ni raciale ».
Il a indiqué que ce sont des groupes armés agissant contre l’État, malgré les tentatives de certains de vouloir impliquer les populations soit du côté des rebelles que les responsables politiques et administratifs locaux.
En 60 ans, quatre grandes rebellions, notre pays n’est pas parvenu à une solution afin de contenir les colères qui entretiennent ces crises récurrentes, a-t-il déploré.
« La gestion des crises par les différents régimes est hautement critiquable car marquée par la faiblesse des capitalisations, des leçons apprises tirées de chaque crise pour empêcher sa résurgence donnant l’impression d’un éternel recommencent », a dénoncé l’ancien Premier ministre.
Selon lui, les solutions dans la gestion de cette crise ont été marquées par l’impunité et la prime à la rébellion avec l’intégration systématique des combattants sans oublier les avantages matériels et politiques divers. Toure chose qui entache, a analysé le conférencier, leur durabilité.
« Les coups d’Etat ont malheureusement suivi les mêmes règlements que les rebellions auxquelles ils semblent d’ailleurs s’apparentés », a déclaré M. Ag HAMANI, affirmant que la récurrence des crises a un impact dévastateur pour le Mali qui se trouve depuis le pic de 2012 à la croisée des chemins. Il en est résulté l’altération de la cohésion, la perte des valeurs sociétales, d’honneur, de dignité…
« Le Mali est devenu pour des raisons endogènes et exogènes un laboratoire d’idée novatrice pour la paix tous azimuts sans résultat probant », a-t-il indiqué, tout en soutenant que les solutions préconisées n’ont pas pris en compte les racines des crises. Or, il se dit persuadé d’une chose : résoudre une crise sans s’attaquer à ses racines, c’est opter pour un arrangement momentané.
« Les différents accords et conventions proposés pour résoudre ces crises n’ont eu qu’une durée limitée parce qu’ils ne s’attaquent pas aux racines et pour avoir ciblé les conséquences de celles-ci», a critiqué le conférencier, en rappelant les causes profondes des rébellions, en tous cas, vue par les minorités qui sont le sous-développement, l’exclusion, la marginalisation, le racisme, entre autres.
Pour lui, la gestion politique a été marquée par une capitalisation médiocre des leçons tirées du passé. Cela s’explique par la faiblesse de la classe politique depuis la 1ere république affectant toute velléité commune d’approche et de vision.
« Je prends la responsabilité devant l’histoire, cette crise que nous vivons aujourd’hui provient des événements du 26 mars 1991. Depuis cette date, on s’est enfoncé dans une crise interminable qui prend plusieurs formes », a-t-il dénoncé.
Pourquoi l’accord traine ?
Illustrant ses constats, l’ancien Premier ministre a insisté sur le cas de l’Accord pour la paix signé en 2015 entre le gouvernement et les mouvements armés qui traine à atteindre son objectif qui est de relever le défi de la crise qui secoue le Mali depuis des décennies.
Cet accord peine, a-t-il relevé, à cause de plusieurs facteurs et des dispositions dans le document jurant avec des dispositions nationales. Ainsi, plus en détails, M. Ag HAMANI a dénoncé le non-respect des engagements souscrit, la non-résolution des méfiances entre les signataires, l’absence de caution politique nationale parce que le document n’a pas été soumis au vote de l’Assemblée nationale détenant la souveraineté du peuple.
Également, il a cité le caractère contraignant de certaines dispositions qui ne prennent pas compte les limites juridiques définies par le gouvernement, les dispositions contraires aux lois et exigences d’une véritable armée tel que le processus du DDR aboutissant à une armée presque composite voire communautaire.
Parmi les raisons du blocage de la mise en œuvre de l’accord, il y a aussi le problème de l’intégration systématique des combattants avec leur grade acquis depuis leur groupe d’origine ignorant les règles qui régissent une armée nationale et républicaine. La mise en place des Autorités intérimaires non prévue à l’accord a contribué à affaiblir sa mise en œuvre, a-t-il ajouté.
« La duplicité de la médiation internationale, notamment les Nations unies qui imposent unilatéralement des dispositions attentatoires à la paix et au fondement de l’accord, à l’instar du pacte pour le Mali», a aussi souligné l’ancien Premier ministre, avant de s’étonner de la dimension internationale donnée à notre crise par l’accord comme s’il s’agissait d’un conflit entre deux États.
Abordant la question de sortie de crise, même s’il croit à une issue heureuse le conférencier a averti qu’il y aura beaucoup d’obstacles, car « certains acteurs de l’Accord se plaisent dans cette situation parce qu’elle arrange leur ambition politique et matérielle ».
Outre ceux-ci, a ajouté le conférencier, les narcotrafiquants et des réseaux de criminalité organisée constituent aussi des facteurs qui empêchent la recherche de la paix à vouloir sanctuariser le large de la zone sahélienne pour une économie désormais florissante.
« Aujourd’hui, ne nous voilons pas la face, pour des motivations diverses, nombreux sont ceux qui n’ont pas intérêt à ce qu’il y est une paix durable dans notre pays ( extérieur et intérieur) », a déclaré Hamed Mohamed Ag HAMANIE.
Les solutions préconisées par
Ag HAMANI
Admettant qu’il y a eu plusieurs pistes de solutions, toutefois l’ancien Premier ministre a constaté la non prise en compte de l’option de la dimension culturelle et religieuse qu’il faut intégre. C’est pourquoi il a suggéré d’insérer cette option à la recherche de solutions.
Par ailleurs, même si l’Accord pour la paix est menacé avec la reprise des hostilités, le conférencier reste tout de même optimiste au retour de la paix. Cela passe, selon lui, par une profonde remise en cause individuelle et collective, l’union sacrée autour de l’unité nationale, d’intégrité territoriale, la forme laïque de l’Etat, la refondation concrète et réelle du pays. Il a aussi suggéré la tenue d’une conférence nationale de pardon au cours de laquelle il faut réhabiliter la vérité qui est une préalable au pardon.
Également, il a jugé nécessaire de reprendre le dialogue avec Iyad Ag GHALI et Amadou KOUFFA.
« Je sais que des gens sont allergiques à dialoguer avec les terroristes, mais tout conflit se termine par le dialogue. Les Américains n’ont-ils pas dialogué en l’Afghanistan ? Iyad Ag GHALI et Amadou KOUFFA sont des Maliens, le Mali a le droit de les interpeller et les convaincre que la guerre ne mène nulle part », a-t-il insisté.
PAR SIKOU BAH
Info Matin