Bamako, 10 août 2018 (AFP) – Le Mali, toujours confronté à la menace
jihadiste malgré cinq ans d’interventions militaires internationales, retourne
aux urnes dimanche pour le second tour de l’élection présidentielle avec un
chef d’Etat sortant, Ibrahim Boubacar Keïta, en position de force pour
remporter un second mandat.
Face à lui, Soumaïla Cissé, largement distancé au premier tour, aborde la
seconde manche isolé, après avoir échoué à unir l’opposition derrière sa
bannière, se disant toutefois convaincu de pouvoir encore l’emporter pour
éviter au pays de sombrer dans le “chaos”.
Le vainqueur, qui entrera en fonction début septembre, aura la lourde tâche
de relancer l’accord de paix conclu en 2015 par le gouvernement et
l’ex-rébellion à dominante touareg, dont l’application accumule les retards.
L’accord avait été signé après l’intervention de l’armée française qui, en
2013, avait repris le contrôle du nord du Mali, où les jihadistes avaient
instauré la charia pendant un an.
Au chevet de cet immense pays du Sahel, la communauté internationale
s’impatiente et espère que le prochain président saura enrayer la propagation
des violences islamistes, qui se sont étendues du nord vers le centre et le
sud du Mali et vers le Burkina Faso et le Niger voisins, se mêlant souvent à
des conflits ethniques ayant encore fait plus de 10 morts cette semaine.
Avec l’opération “Barkhane”, la France a déployé au Mali et dans trois
autres pays du Sahel sa plus importante mission militaire à l’étranger, avec
4.500 hommes. Les Nations unies disposent quant à elles dans le pays de leur
plus important contingent de soldats de la paix, avec 14.000 Casques bleus.
S’y ajoutent des membres de la force antijihadiste du G5 Sahel (Mauritanie,
Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad).
Pendant un entre-deux tours au climat pesant, l’opposition a accusé le
pouvoir d’avoir profité de l’insécurité dans le Nord et le Centre pour
manipuler le vote au premier tour, le 29 juillet.
“Pour diverses raisons”, près de 250.000 électeurs n’ont pas été en mesure
de voter, a reconnu le gouvernement. Mais les accusations de fraudes,
notamment de “bourrages d’urnes”, ont été balayées par la Cour
constitutionnelle, qui a officiellement crédité M. Keïta de 41,70% des
suffrages, contre 17,78% pour Soumaïla Cissé.
La mission d’observation de l’Union européenne a réclamé davantage de
“transparence”, ainsi que la garantie que tous les électeurs auront accès
dimanche aux bureaux de vote. En réponse, la diplomatie malienne lui a
sèchement demandé de ne pas “entraver le processus électoral”.
– “Revanche” de 2013 –
Dans ce qui s’apparente à la revanche de 2013, M. Keïta, dit “IBK”, qui
brigue à 73 ans un second mandat, sera donc une nouvelle fois défié par
Soumaïla Cissé, un ancien ministre des Finances de 68 ans à la brillante
carrière politique.
“Il ne faut jamais préempter une élection” mais “nous pouvons y aller avec
confiance et sérénité”, a déclaré M. Keïta vendredi sur RFI. En fin de
journée, il a réuni quelques centaines de ses militants, dans une ambiance
festive, pour un dernier meeting en plein air le long du fleuve Niger à Bamako.
“Il faut finir ce qu’il a commencé”, estimait une fonctionnaire et élue
d’un quartier de Bamako, Silandou Soumaré, vêtue d’un boubou vert. “IBK” doit
être réélu “pour la continuité, pour la stabilité”, abondait Abdil Sanogo, un
gestionnaire de société, estimant qu’il méritait “une deuxième chance” et que
“la situation va s’améliorer”.
Le chef de l’Etat promet en tout cas de “consolider les acquis, amplifier
les réussites et corriger les manques” de son premier mandat, dont le bilan
est en demi-teinte.
Outre la propagation des violences, le pays, célébré pour son rayonnement
culturel avec ses cités légendaires comme Tombouctou et ses musiciens de
renommée mondiale, s’est appauvri. Le revenu par habitant a reculé depuis
2014, selon la Banque mondiale, et quelque 47% des 18 millions de Maliens
vivent sous le seuil de pauvreté. Mais le Mali est redevenu le premier
producteur de coton africain et son économie enregistre un taux de croissance
supérieur à 5% depuis plusieurs années.
Malgré son retard, Soumaïla Cissé restait combatif, se disant convaincu de
pouvoir “renverser la tendance” et multipliant les appels à une “mobilisation
massive” des électeurs.
Confier les clés du pays à la même équipe pour cinq années supplémentaires
“nous précipiterait davantage vers le chaos et l’abîme”, a-t-il prévenu
vendredi, paraphrasant le général De Gaulle.
Pour l’analyste politique Souleymane Drabo, “la question est de savoir s’il
y aura un plébiscite pour IBK, comme en 2013″, où il l’avait emporté avec plus
de 77%.
AFP